Un beau matin : l'inéluctable beauté de l'amour et de la mort

Un beau matin : l'inéluctable beauté de l'amour et de la mort

CRITIQUE / AVIS FILM - En gommant certains des travers de ses précédents films, Mia Hansen-Løve fait avec "Un beau matin" un plein acte de foi cinématographique en confiant avec une humilité inédite son récit intime à la puissance des images et à l'interprétation monumentale de ses formidables comédiens. Brillant.

Mia Hansen Love continue son cinéma familial

Après Bergman Island, production internationale avec un casting lui aussi international pour un résultat presque exotique, Mia Hansen-Løve reprend à pleines mains le fil autobiographique de sa filmographie. Même si, dans Bergman Island, existent les réminiscences de sa relation passée avec Olivier Assayas, dans Un beau matin sa perspective est plus franche, plus intime aussi et plus émouvante.

Sandra(Léa Seydoux), traductrice et mère d'une petite fille de huit ans, est l'alter ego de Mia Hansen-Løve, une femme éduquée et lettrée, fille de deux professeurs de philosophie. Son père - à Mia - était Ole Hansen-Løve, qui a souffert à la fin de sa vie du syndrome de Benson, une maladie neuro-dégénérative. Dans Un beau matin, Sandra doit s'occuper de son père Georg (Pascal Greggory), professeur de philosophie en classes préparatoires lui-même atteint de cette maladie. Devenu dépendant, celui-ci perd peu à peu contact avec la réalité et perd ses pensées. Dans le même temps, Sandra retrouve un ami perdu de vue, Clément (Melvil Poupaud), et va avec lui entamer une relation passionnée.

Un beau matin
Un beau matin ©Les Films du losange

Mia Hansen-Løve ne réalise pas toujours des films aimables. Abandonnée entièrement à la réflexivité, c'est sa vie et celle de ses proches qu'elle représente, cherchant dans ces existences l'universalité d'un sentiment, d'une sensation, d'un événement. Parisienne de naissance, fille de philosophes et petite-fille d'un écrivain, l'endroit d'où parle Mia Hansen-Løve n'attire pas naturellement la sympathie.

Que ce soit dans Eden, inspiré de la jeunesse de son frère Sven, que ce soit L'Avenir, où Isabelle Huppert joue un rôle inspiré de sa mère, ou donc Un beau matin, son cinéma a quelque chose de privilégié et d'élitiste. Mais dans ce nouveau film, Mia Hansen-Løve réussit avec une grâce inédite un très beau drame sentimental.

Une délicatesse formidable pour un sujet de douleur

Si Un beau matin insiste parfois trop par le verbe sur l'intelligence et la distinction de ses personnages - Clément n'est pas astrophysicien mais cosmo-chimiste, il y tient - Mia Hansen-Løve choisit les émotions silencieuses, les yeux embués de Léa Seydoux et la pression des corps pour raconter comment une jeune femme compose avec la disparition progressive de son père et la naissance d'un amour incertain. Ainsi, Sandra, traductrice, finira à un moment par perdre ses mots, de fatigue. Avec Clément, amoureux hyperactif, qui veut lui parler et l'emmener ailleurs, elle préfère se taire et faire l'amour.

Et puis il y a Georg, interprété par un magistral Pascal Greggory, qui n'a plus beaucoup de mots, pour qui il est difficile de dire déjà "oui", encore plus de formuler une question. Quasiment privé de toute vue, on devine qu'il ne reste plus beaucoup de temps avant qu'il ne perde aussi l'usage de la parole. C'est avec lui que Léa Seydoux, encore au sommet, délivre ses plus belles scènes, pleines de tendresse, de dignité et d'amour. Elle pleure, elle fait exactement ce pourquoi elle est souvent moquée, mais ses larmes ont là la saveur de l'authenticité et déploient une sensibilité bouleversante.

Un beau matin
Un beau matin ©Les Films du losange

À côté de cette ligne tragique se déroule celle, joyeuse, d'un amour naissant. Un amour adultère, Clément a une femme et un petit garçon, mais qui a la fougue de la jeunesse, de l'insouciance, un amour qui est un élan vital éclatant. À ce propos, on remarquera l'éternelle jeunesse de Melvil Poupaud, qui à l'aube de ses cinquante ans en fait presque quinze de moins sans effort apparent. Acteur inégalé dans l'expression de la sensualité, il compose avec Léa Seydoux un amour suspendu, une passion arrachée aux affres d'un quotidien triste marqué par l'inéluctabilité d'une disparition.

Quand la grande beauté balaye la gravité

Un beau matin n'est pas un mélodrame et il ne sort jamais les violons. Au contraire, l'alternance des séquences à l'hôpital puis à l'Ehpad avec celles où Sandra et Clément s'enlacent se fait dans une fluidité et une forme de légèreté troublante et bouleversante, loin d'une gravité facile. À un moment, la famille reconstituée par la circonstance de la maladie - Nicole Garcia joue la mère et Elsa Guedj la soeur de Sandra - procède à une installation de Georg dans un établissement à Courbevoie, loin de ses livres et hors de Paris, sa ville. Mia Hansen-Løve filme l'intime, mais elle le fait souvent à l'extérieur, dans des endroits dont elle montre les distances - on voit Sandra à vélo, marcher dans les rues, dans les transports en commun - et les recoins.

Ici, Paris est sublimé pour accueillir à la fois les deux dimensions d'Un beau matin, dans une harmonie qui émeut et rassure. Montmartre, le Jardin des Tuileries, un laboratoire sous les toits, le voyage de Sandra est un voyage plus physique que mental dans une ville protectrice. Elle avance, elle continue, ce qui est rendu tangible aussi par Linn, sa fille qui apprend, souffre du genou parce qu'elle grandit, part en colonie de vacances. La marche de Sandra est courageuse, stoïque, elle est parfois fatiguée mais n'abandonne jamais. Un beau matin raconte la vie humaine dans son entièreté et son flot inarrêtable, et le fait dans une magnifique lumière, par le portrait d'une femme accomplie, sensible, désirable et désirante, enfin profondément humble et humaine.

Un beau matin de Mia Hansen-Løve, en salles le 5 octobre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Mia Hansen-Løve réussit un très beau film avec ce drame familial lumineux sur une inspiration autobiographique. Pascal Greggory et Léa Seydoux sont bouleversants de justesse dans "Un beau matin", qui tire sa grande beauté et son émotion de son humilité bienvenue. À voir sans hésiter.

Note spectateur : Sois le premier