Un silence : dommage collatéral sur une famille

Un silence : dommage collatéral sur une famille

CRITIQUE / AVIS FILM – "Un silence", le dernier long-métrage de Joachim Lafosse, aborde avec le plus grand tact le sujet difficile de la pédo-criminalité. Avec Daniel Auteuil et Emmanuelle Devos.

Un film inspiré d'une histoire vraie

On ne mesure jamais vraiment l’impact et les ravages sur une famille des comportements déviants de l’un de ses membres. C’est le grave sujet abordé par le réalisateur Joachim Lafosse dans son dixième long-métrage, Un silence. Il s’est inspiré de la sordide affaire de Victor Hissel, avocat des parties civiles dans l’affaire Dutroux en Belgique. Comme souvent dans ses films, le réalisateur filme la banalité du mal et s’attache au plus près de ses personnages, faisant parfaitement ressentir au spectateur l’évolution de leurs émotions.

La caméra suit ainsi ses protagonistes tourmentés par la honte, la culpabilité, la lâcheté, la déception, la tristesse, le remords, la colère. Les pièces du puzzle de la vérité s’imbriquent doucement, grâce aux regards et échanges entre Astrid Schaar (Emmanuelle Devos) et Raphaël (Matthieu Galoux), son fils adopté de 18 ans. Ainsi qu'avec la fille aînée Caroline (Louise Chevillotte), jeune maman qui ne met plus les pieds chez ses parents.

Daniel Auteuil - Un silence ©Les Films du Losange
Daniel Auteuil - Un silence ©Les Films du Losange

Leur vie est rythmée par les affaires dont s’occupe François Schaar (Daniel Auteuil), avocat très médiatique. Il exige d’Astrid et Raphaël soutien, attention, calme et respect. Il les rend presque responsables de son propre bien-être, nécessaire pour affronter des causes moralement justes. Sa parole a du poids et il dénonce régulièrement les dysfonctionnements de la justice et de la police.

« Qui ne dit mot consent »

Les clients de son affaire en cours de pédophilie sont d’ailleurs souvent chez François, rajoutant au malaise de non-séparation qui devrait en toute logique exister entre vie privée et vie professionnelle. Leur existence sans limites clairement définies est ainsi à l’image de l’absence de limites de François en matière d’éthique. Car ce que raconte Un silence, c’est comment le silence et les stratégies d’évitement pour parler ont conduit les membres de cette famille bourgeoise à se voiler la face. Dans le but de maintenir à tout prix une réputation professionnelle et préserver un pseudo équilibre familial.

Mais François, Astrid et Raphaël ne vivent pas vraiment ensemble, ils cohabitent. Ils font semblant de partager des moments car, au fond, ils sont seuls. Ils portent avec de plus en plus de difficulté le poids du long silence au sein de leur grande maison bourgeoise, refuge qui n’en n’est pas un. Seul Raphaël n’a pas été mis au courant verbalement des mensonges sur lesquels est construite la famille. Mais le film montre parfaitement que la vérité qu’on refuse de nommer est toujours perceptible, d’une manière ou d’une autre. Au travers de comportements, de gestes, de non-dits, de secrets, de réactions inappropriées.

Un père qui n'est plus un repère

En parallèle de la vie de famille, Un silence montre aussi le travail de planque de la police, puis d’interrogatoires menés par la Commissaire Colin (Jeanne Cherhal) et son équipe. Le réalisateur et ses coscénaristes Thomas Van Zuylen, Chloé Duponchelle et Paul Ismael veillent avec justesse à ne pas dévoiler trop brusquement la vérité crue. Grâce à des hors-champs et de nombreuses suggestions, ils préfèrent amener le spectateur souvent incrédule à tirer les conclusions de lui-même. Voire à se rendre compte qu’il est peut-être sur la mauvaise piste.

Emmanuelle Devos - Un silence ©Les Films du Losange
Emmanuelle Devos - Un silence ©Les Films du Losange

Grâce à l’incarnation de Daniel Auteuil, qui résonne avec son rôle dans la série Le Mensonge de Vincent GarencqUn silence réussit à identifier le paradoxe d’un homme qui nie le pouvoir de ses démons, tout en donnant des leçons de dignité à tout le monde. Malgré quelques scènes un peu longues dans des voitures, mais grâce à une mise en scène glaçante et à une interprétation toute en sobriété, Un silence se révèle donc un film puissant. Le film, dont « les scènes, propos ou images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs », évoque brillamment comment la parole doit se libérer dans les familles sous emprise, et permettre à la honte de changer de camp.

Un silence de Joachim Lafosse, en salles le 10 janvier 2024 - Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Un silence" raconte avec beaucoup de tact comment l'équilibre d'une famille, bien sous tout rapport, vole en éclat lorsque les raisons d'un silence familial sont révélées au grand jour.

Note spectateur : 3.24 (17 notes)