Hippocrate : Thomas Lilti met en scène d'autres urgences

Hippocrate : Thomas Lilti met en scène d'autres urgences

CRITIQUE SÉRIE - Avec ses comédiens dévoués et ses vues perçantes, la série "Hippocrate", huit épisodes réalisés par Thomas Lilti et inspirés de son succès de 2014, s'installe immédiatement aux côtés des récentes performances françaises comme "Le Bureau des Légendes" ou "Dix pour cent".

L'évènement sous-tend toute l'action, et pourtant on l'oubliera très vite. Dans cet hôpital à la périphérie d'une grande ville française, un décès dû à un virus potentiellement contagieux contraint les médecins titulaires à rester isolés. L'autorité et l'expérience ainsi mises en quarantaine, c'est à trois internes inexpérimentés et à un médecin légiste, d'abord tous inconnus les uns des autres, que va échoir le bon fonctionnement du service. Mais cette béquille d'introduction s'efface rapidement devant la véritable thématique d'Hippocrate. Thomas Lilti veut filmer au plus juste une réalité et une routine balancées entre l'ordinaire et l'exceptionnel, animée par une jeunesse prête à se brûler. Si l'absence des médecins référents tétanise certains, d’autres vont l'utiliser à leur avantage. Jetés dans le grand bain et responsables d’un service débordé, Hippocrate raconte leur formation in situ et leur parcours personnel.

Hippocrate, le geste juste

La série ne présente pas d’opération spectaculaire, ou d’urgences vitales à chaque minute. Pas d’attentat, de carambolage gigantesque ou d’épidémie massive, mais des situations tristement banales : l’alcoolisme, les tentatives de suicide, un AVC. En parallèle de la pratique médicale, on pénètre aussi les arcanes d'une administration de bonne volonté mais défaillante, pour peindre un monde constamment au bord de la rupture. La présentation d'un hôpital public est ici brutale, mais faite tête haute, sans misérabilisme. On voit beaucoup de choses dans Hippocrate, et son intention souvent exhaustive lui donne une richesse brute, sans aucun ornement artificiel mais avec une image crue et directe. Certains plans très graphiques prennent par surprise, mais sans violence ou gratuité.

Chaque personnage développe une intrigue personnelle, et toutes s'articulent ensemble sans se confondre. Hugo (Zacharie Chasseriaud) et Chloé (Louise Bourgoin), qui sont chacun très personnellement liés à ce monde, assurent des fonctions dramatiques nécessaires, plus qu’ils ne se donnent vraiment chair. Leur combat respectif semble de nature évidente, quand Alyson (Alice Belaïdi) et Arben (Karim Leklou) apportent eux plus de mystère, d’hésitation et de passion. Tous les deux crèvent l’écran dans des caractères opposés mais réunis par la qualité de leur incarnation très réaliste de véritables médecins et individus d’aujourd’hui, à la recherche de repères en milieu hostile. Ensemble mais dans des registres différents, tout le casting rayonne, et la sensation de découvrir une nouvelle "famille" dépareillée et très attachante est immédiate.

On avait déjà rencontré le magnétisme troublant de Karim Leklou, notamment dans Le Monde est à toi. C’est ici une magnifique première pour Alice Belaïdi, remarquable en interne de première année submergée par les évènements. On retrouve par ailleurs Anne Consigny et Géraldine Nakache, ainsi qu'une participation décalée et assez géniale de Jackie Berroyer.

Hippocrate, le syndrome du control freak ?

L’écriture des intrigues est remarquable, et le schéma dramatique fonctionne bien malgré sa grande complexité. En effet, chaque destin personnel tend à impliquer tous les autres, et la série le fait de manière équilibrée et patiente. C’est par exemple une erreur fugace et innocente d’Hugo qui va déclencher le cas médical majeur de la série, où chacun aura son rôle à jouer, différemment mais également. Il en va ainsi pour la quasi totalité des évènements, à la différence notable de la narration classique où un épisode se concentre sur certains personnages, pour passer à d’autres au suivant, et ainsi de suite. Ici, la dimension chorale persiste durant les huit épisodes et structure tout le récit.

Cette écriture définit ainsi un rythme particulier, et celui-ci a son avantage : les relations s’épanouissent dans le temps, celles des médecins entre eux et celles avec les patients, pour parvenir à un superbe épisode final. Mais il a aussi son inconvénient : une mise sous tension continue épuisante, où les problèmes ne sont jamais entièrement résolus. À l’instar de ces héros ordinaires, le spectateur peut se trouver épuisé dans cette garde sans fin.

Prise de rendez-vous

Thomas Lilti disserte ainsi avec une grande réussite sur ces géniales prises et pertes de contrôle, mais garde le sien. Il le garde si bien qu'on pourra regretter un petit manque de folie, une absence de dérapage alors qu'on aura tout parcouru à la limite. Le dernier épisode présente une conclusion réussie, ainsi qu'une ouverture soignée pour que soit exigée une deuxième saison. Très appliquée, intense, et finalement d’une rigueur presque académique, cette première saison d’Hippocrate s’impose avec style comme la meilleure série médicale française jamais créée.

 

Hippocrate, une série créée par Thomas Lilti et diffusée sur Canal + à partir du 26 novembre. Ci-dessus la bande-annonce

 

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Conclusion

Note de la rédaction

Après sa trilogie cinématographique Hippocrate - Un Médecin de campagne - Première année, Thomas Lilti signe une excellente première saison pour la série Hippocrate. Adaptée du film mais beaucoup plus tendue et dramatique, sublimée par des comédiens inspirés, Hippocrate est une belle et franche réussite.

Note spectateur : 3.75 (1 notes)