Jeux d'influence : les rouages d'un monde opaque

Jeux d'influence : les rouages d'un monde opaque

CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Jeux d’influence" est un brillant thriller politique qui met en lumière tous les moyens de pression utilisés par les lobbies sur les pouvoirs publics et les individus. Avec Alix Poisson, Laurent Stocker et Jean-Pierre Sivadier.

Une fois n’est pas coutume, on vous parle d’une série française de haute tenue, diffusée sur Arte en 3 x 2 épisodes pendant ce mois de Juin. Jeux d’Influence, réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, a d’ailleurs remporté le Prix de la meilleure mini-série au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2018. Jeux d’influence se révèle une brillante mise en perspective du rôle et de l’influence des lobbies et autres conseils en relation avec les pouvoirs publics, notamment en matière de santé publique. Un sujet brûlant et encore d’actualité au vu de tous ces scandales sanitaires reconnus ou pas encore en France, tels l’amiante, la Depakine, le Médiator, Monsanto… La série décrit très bien la façon dont ces groupes de pression tissent leur toile d’araignée, en frisant sans vergogne l’illégalité et en parvenant par tous les moyens à leur disposition, à faire reporter un amendement ou à éviter un procès à leurs clients.

Loin d’être un documentaire, Jeux d’influence est pourtant extrêmement documenté par les co-créateurs, Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez. Ils ont longuement enquêté et recueilli de nombreux témoignages d’hommes politiques, d’attachés parlementaires, de journalistes, de scientifiques ou de conseillers en communication. C’est donc par le biais de l’œuvre fictionnelle que le spectateur pénètre ce monde opaque et s’attache à plusieurs personnages emblématiques au sein d’un formidable maillage d’intrigues.

Guillaume Delpierre (Laurent Stocker), député de la majorité qui doit composer entre son ambition et son éthique, est écartelé entre son souhait de sauvegarder l’emploi dans sa circonscription et ses priorités. Il est bouleversé par le cancer qui foudroie son ami d’enfance agriculteur Michel (Christophe Kourotchkine). Persuadé que le responsable est un pesticide qu’il utilise depuis longtemps, Guillaume l’encourage à porter plainte contre l’entreprise Saskia, qui le produit. Accompagné de son fidèle assistant parlementaire Romain Corso (Pierre Perrier), il se lance de son côté dans le vote d’un amendement visant à interdire le produit en question. Évidemment, ce combat haletant de David contre Goliath fait penser à ceux racontés dans Erin Brockovich de Steven Soderbergh ou dans La fille de Brest de Emmanuelle Bercot.

Un brillant décorticage du rôle et des missions des lobbies

En parallèle, on suit la quête de la vérité d’une jeune fille, Chloé Forrest (Marilou Aussilloux), qui ne se remet pas du suicide de son père Didier (Marc Citti) qui travaillait précisément chez Saskia. Mais Jeux d’influence ne se contente pas de filmer le seul camp des indignés qui veulent mettre en lumière les débordements de Saskia et faire changer les mentalités. La série offre également le point de vue des protagonistes de l’autre versant, plus sombre, permettant ainsi un regard passionnant de type 360 degrés sur l’intrigue. Ainsi le PDG de Saskia, Andrew Percy (Thierry Hancisse), donneur d'ordres à son avocat lobbyiste Mathieu Bowman (Jean-François Sivadier).

Les créateurs et leurs coscénaristes Pierre Linhart et Sophie Hiet ont certes un peu chargé la barque de l’ambiguïté et de la rudesse des décisions prises par ces hommes, mais elles sont adoucies par la présence de la journaliste Claire Lancel (Alix Poisson) que Bowman vient d’engager à ses côtés. Par ses doutes, ses prises de conscience et sa vulnérabilité malgré la teneur de sa mission, cette dernière provoque une grande empathie.

Jeux d’influence donne ainsi à voir des personnages fascinants qui avancent leurs pions sur un échiquier glaçant où s’entremêlent judicieusement enjeux politiques et financiers, vérités et faux-semblants. Les lobbyistes, sous couvert de l’élégance à laquelle appartiennent ces élites, emploient des méthodes dignes de celles de voyous. Dans le but de faire peur, de salir une réputation, de décrédibiliser une victime et de faire plier ceux qui osent s’élever contre la grosse machine. Ainsi les menaces, les coups bas et les coups montés, les tentatives d’intimidations, les mensonges et les rumeurs dévoilés aux médias n’auront plus aucun secret pour le spectateur.

Et on saura également tout des conséquences, entre renvois d’ascenseur et poids des dettes, qui obligent les parties à avoir cédé à la pression. Car Jeux d’influence, sans manichéisme et avec une certaine audace, montre parfaitement la complexité des hommes. Et il est d’ailleurs passionnant de voir évoluer le regard que chacun parvient à porter sur lui-même et ses actes, à prendre conscience de ses limites et parfois à se transcender. Et pour chaque personnage, même le pire, se posent les questions empreintes d’humanité : en qui peut-on réellement avoir confiance ? peut-on tout accepter par loyauté, jusqu’à en perdre son âme ? peut-on jouer longtemps double jeu sans en payer le prix fort ? les convictions et les principes font-ils réellement le poids face aux menaces ? Et enfin, peut-on parvenir à laisser les proches en dehors de toutes ces manœuvres et éviter les dommages collatéraux ?

En donnant une image sans concession du noyautage du monde politique par les lobbyistes, Jeux d’influence se révèle donc une puissante réflexion sur le pouvoir et l’abus de pouvoir, la liberté, l’éthique, l’intégrité et l’exemplarité. Servie par une palette de comédiens formidablement justes, la série est une vraie réussite, à ne manquer sous aucun prétexte.

Jeux d’influence créée par Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez, diffusée sur Arte à partir du 13 juin 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Jeux d'influence" est une brillante plongée dans le monde opaque des lobbyistes auquel sont confrontés des héros des temps modernes, au risque de perdre leur âme.

Note spectateur : 2.66 (7 notes)