Mosaic : plongée dans le puzzle de Soderbergh

Mosaic : plongée dans le puzzle de Soderbergh

Après « The Knick », Steven Soderbergh renoue avec la série en réalisant d’une main chirurgicale une enquête ambigu pleine de faux-semblants.

Dans le couloir d’un hôtel, l’officier Nate Henry discute avec Joel. Il explique à ce dernier que l’autopsie d’Olivia Lake indique qu’elle aurait été frappée par un droitier. « Je ne sais pas si tu es au courant, mais Eric Neill est gaucher. Alors que toi, ta main droite était rouge de sang ». Tout porte à croire que cet interlocuteur est donc le meurtrier. Clap de fin ? Non, ce ne sont que les premières secondes de Mosaic, la nouvelle mini-série de HBO réalisée par Steven Soderbergh et écrite par Ed Solomon.

En livrant ainsi ce qui semble être la fin de l’histoire, le cinéaste annonce que Mosaic se jouera de son audience. Ce n’est pas pour rien qu’aux Etats-Unis, et pour l’heure uniquement dans ce pays, elle a d’abord été diffusée à l’aide d’une application permettant de choisir de suivre le récit en privilégiant différents points de vue. Une immersion unique qui a fait de Mosaic la première série interactive. En France, il faudra donc suivre la série de manière linéaire, par le point de vue dicté par Soderbergh (même si les différents choix se laissent parfois entrevoir).

Le plaisir de se laisser berner

L’instant d’après, nous voilà quatre ans plus tôt, à la découverte de la future victime Olivia Lake. Une vieille diva rendue célèbre en vendant des livres pour enfants, et qui mène désormais une association artistique et caritative appelée Mosaic, destinée aux enfants défavorisés. Soderbergh se joue évidemment de l’image de l’interprète de ce personnage, Sharon Stone, l’ancienne femme fatale de Basic Instinct en montrant son incapacité à mettre dans son lit Joel (très bon Garrett Hedlund), le jeune et beau dessinateur qu’elle accueille chez elle pour « l’aider dans sa carrière », et qui est déjà pointé du doigt comme le tueur.

Mosaic : plongée dans le puzzle de Soderbergh
© 2017 Home Box Office

La manipulation ne fait plus effet, et la pauvre femme apparaît plus pathétique et fragile qu’autre chose. D’autant plus lorsqu’elle s’éprend d’Eric Neil, engagé par un tiers pour la pousser à vendre sa luxueuse propriété. Ce dernier, interprété par Frederick Weller, laisse autant entrevoir le petit diable menteur que l’homme honnête à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Symbole de l’ambiguïté scénaristique de la série.

Une série d’un genre à l’autre

On connaît bien le style de Soderbergh. Ou plutôt SES styles. Car il est difficile de cataloguer le réalisateur entre la trilogie Ocean’s, son remake de Solaris, Traffic, Erin Brockovic ou encore Magic Mike. Les genres varient – film de braquage humoristique, science-fiction philosophique, thriller, drame social… – et sa mise en scène s’adapte. Avec Mosaic, on a droit au Soderbergh froid et chirurgical. Celui de The Girlfriend Experience (entre autres), et davantage encore de la série dérivée qu’il a lui-même produite. Les plans sont précis et ne laissent pas respirer. Et un simple champ/contre champ laisse place à diverses interprétations concernant les intentions des personnages.

Mosaic : plongée dans le puzzle de Soderbergh
© 2017 Home Box Office

Des personnages qui, d’ailleurs, évoluent dans un milieu tout aussi glaçant, celui des blancs bourgeois (qu’on voit souvent dans le cinéma américain) antipathiques qui vivent dans un grand chalet et sont confrontés à des problèmes de riches. Le cinéaste semble jouer la carte de l’évidence, il ne fait en réalité qu’embrouiller l’esprit de ses témoins (nous) en ouvrant les pistes. Car au fil des épisodes, des minutes mêmes, une autre vérité se révèle.

La poignée de protagonistes présentés s’évapore doucement et laisse place à d’autres personnages qui vont mener à de nouvelles pistes et suppositions. Nouveau bon en avant, quatre après les faits. La sœur d’Eric, Pietra, tente de rouvrir l’affaire pour faire sortir son frère de prison. Soudain, le regard cynique sur la société huppée est mis de côté pour laisser place au genre du film d’enquête, proche du thriller.

Mosaic : plongée dans le puzzle de Soderbergh
© 2017 Home Box Office

Un duo d’enquêteurs inattendu

Les vrais héros de l’histoire sont alors Pietra (excellente Jennifer Ferrin), et l’officier Nate (touchant et très humain Devin Ratray). L’une partant en quête de justice, l’autre faisant preuve d’un sens moral décisif à l’enquête. Tandis que le scénario gagne en profondeur, Soderbergh évolue en conséquence, se permet davantage de mouvements de caméra et de rapides plans-séquence. Le ton lui-même apparaît plus léger. L’imperméabilité de Pietra contrebalançant avec la vulnérabilité de Nate – rassuré en pleine crise de panique par sa femme au téléphone.

La série prend alors son envol et les mots de Soderbergh, pour qui « le public qui aimait les mêmes films que ont migré vers la télévision », font soudain écho. Car Mosaic fait sens sur la durée, de par sa construction proche d’un long-métrage – tout en respectant les règles du format sériel, qui n’en font pas un long film scindé n’importe comment. Forcément plus classique en diffusion linéaire, Mosaic reste une enquête prenante. Un puzzle fascinant aux multiples possibilités, enrichi par le ton acerbe de son auteur.

 

Mosaic créée par Steven Soderbergh, le 23 janvier 2018 sur OCS. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Derrière un récit aux allures simplistes, Soderbergh tire de « Mosaic » une série fascinante sur la longueur dans laquelle on appréciera de se laisser berner.

Bilan très positif

Note spectateur : Sois le premier