Pentagon Papers, le nouveau Steven Spielberg en 10 points

Pentagon Papers, le nouveau Steven Spielberg en 10 points

Lors de leur venue à Paris, le 13 janvier 2018, Steven Spielberg, Tom Hanks et Meryl Streep, évoquaient en conférence de presse leur film "Pentagon Papers", leurs inspirations, leur travail et ce que le film leur inspire.

1 - Sur la lutte de la presse

Le nouveau film de Steven Spielberg retrace un événement précédant le Watergate. La directrice du journal le Washington Post, Katherine Graham (Meryl Streep) s’allie à son chef de presse Ben Bradlee (Tom Hanks), pour révéler des mensonges de certains gouvernements américains durant la guerre du Viêtnam. Bien que cette histoire se passe dans les années 70, la résonance avec la presse d’aujourd’hui et sa liberté s’avère bien réelle. Steven Spielberg ne conteste pas les connexions des deux époques.

Steven Spielberg : La presse doit lutter encore plus aujourd’hui, parce que la presse est encore plus attaquée que dans les années 70. Ils doivent lutter pour leur dignité, pour la vérité qu’ils doivent au public. La première chose qui m'a attiré dans le scénario, c'est le caractère de Katherine Graham et son rapport avec Ben Bradlee. C’est la première chose qui résonnait pour moi. L’histoire d’une femme dans une grande position d’autorité qui ne savait pas comment s'imposer, parce qu’elle ne fait pas encore entendre sa voix.

2 - Sur le travail de Meryl Streep et Tom Hanks

Dans ce film, Meryl Streep interprète Katherine Graham, propulsée en première ligne. Tom Hanks, est lui Ben Bradlee, journaliste aux convictions fortes, qui considère son travail d’informer comme un devoir qui dépasse tout. Les deux acteurs sont donc dans la peau d'une personne qui existe ou a existé. Tous deux ont effectué un travail de l’ombre pour construire leur personnage et pour en restituer l’essence à l’écran. Ainsi, au-delà de leur performance, c’est leurs propres investigations qui sont admirables.

Meryl Streep : Plus j’en ai appris sur Katherine Graham, plus j’étais dans son rôle. Son intellect, sa curiosité, sa capacité de mener. Mais la chose la plus importante que j’ai apprise en la lisant, en ayant des conversations avec ses enfants, avec la femme qui l’a aidé dans ses recherches pour sa biographie, c'était combien elle était peu sûre d’elle, et comment systématiquement elle se dévalorisait. Et c’est quelque chose qui donne un accent particulier à l’histoire. Parce que c’est l’histoire de beaucoup de femmes. Pas seulement de sa génération, mais des femmes de nos jours qui se retrouvent propulsées dans des rôles de leadership. Elles subissent toujours les mêmes doutes sur leur capacité à aller de l’avant, d’être agressive, de prendre des risques, de mener. Je partage beaucoup de ces insécurités en tant qu'actrice.

Tom Hanks : J’ai rencontré Ben Bradlee, nous avons dîné ensemble, j’ai été chez lui, je connais sa femme, Sally Queen... Son enthousiasme correspond, je crois, à son sens de la responsabilité d’être journaliste. Il avait ce dicton : « La vérité est la vérité et tu dois la pourchasser, si ce sont les faits, vous devez les mettre. Sinon, pourquoi avoir un journal ? Pourquoi faire ce travail ? ». C’est une manière très énergique d'appréhender le travail. De plus, je travaille avec Steven pour la cinquième fois, et il m'a toujours dit : " Sort, trouve tout ce que tu peux trouver sur le gars, sur l’événement, et montre moi ce que tu as".

3 - Sur la collaboration des comédiens

Tom Hanks : J'ai l'habitude de travailler avec Steven, ce qui n'est pas le cas de Meryl. Du coup je suis resté silencieux, à l'écart et je l'ai observé avec lui. Je ne lui ai pas dit que Steven n’est pas du genre à répéter, et qu'il vaut mieux avoir des idées avant. Et dès les premiers jours, elle était prise à défaut. J’ai aimé chaque minute. Juste à la regarder se démêler, se demander ce que c'était que cet enfer, et moi d'arriver et dire : "Hey bébé, tu dois continuer, ne lâche pas !". C’était amusant.

4 - L'avantage d'un thriller journalistique

Lorsque Steven Spielberg a commencé à développer le script de Pentagon Papers, il était sur un autre projet d’un tout autre genre, Ready Player One, un film de science-fiction. Il est très surprenant de travailler simultanément sur deux genres tellement éloignés. La science-fiction, qui permet beaucoup de liberté dans l’imagination, et à l’inverse un thriller journalistique tiré de faits réels et qui oblige à rester dans les limites des faits. Pour Steven Spielberg, cette contrainte s’avère tout à fait intéressante.

Steven Spielberg : Quand vous faites un film de science-fiction où il n’y a aucune règle, vous savez que vous utiliser une imagination illimitée. Évidemment, quand j’ai lu sur cette histoire vraie, sur ce qui est arrivé dans les années 70 avec Nixon s’en prenant au New York Times et au Washington Post, et cette femme qui essaye de se faire une place dans cet océan d’homme, il y avait tant de choses intéressantes par rapport aux deux thèmes. Donc je me suis senti tout à fait à l'aise avec l’Histoire comme "co-auteur" de mon film. C'est un confort même d'avoir un tel scénario. Et les choix se font alors sur la manière de montrer l’arrière-cour d’un tirage.

Reporter, ça consiste à utiliser le téléphone de la cuisine, à connaître les cabines téléphoniques, vous devez frapper aux portes, faire en sorte que votre source réponde. Aujourd’hui, ce n’est plus aussi compliqué que le travail d’avant. Mais il y a tellement de compétition et tellement d’histoires et de sources à examiner que, dans ce sens, c’est beaucoup plus difficile de réussir dans ce business aujourd’hui. Et enfin, si on compare 1971 et aujourd’hui, deux présidents déclarent la guerre aux médias d’information. Nixon n’a pas réussi et il a été contraint de démissionner. Je sentais vraiment qu’il fallait y revenir en toute objectivité pour repenser aux 16 derniers mois.

5 - Steven Spielberg, sur son envie de toujours tourner

Le réalisateur américain travaille la même année sur deux projets de film simultanément. Il a une longévité aussi impressionnante que sa filmographie. Mais quel est donc son secret ? Et bien, pour Steven Spielberg, la raison se trouve en partie dans son film.

Steven Spielberg : Je crois que ce qui me motive et qui me fait garder une grande énergie est similaire à ce qui poussait Ben Bradlee à se lever chaque matin avec l’envie de trouver une bonne histoire. Il voulait une histoire qui mette un bon coup de pied au cul. Et il était prêt à aller partout pour la trouver et à tout faire pour qu’elle soit publiée. J’ai le même feu sacré pour une bonne histoire que Ben Bradlee. Je perds 20 ans et je me retrouve soudainement comme si j’en avais 15 ans.

6 - L'importance du scénario

Ce qui fait également la réussite de Pentagon Papers, au-delà de son sujet, c’est son style. En effet, dans ce film, le spectateur est pleinement embarqué dans l’histoire. Cette œuvre possède un véritable suspens. Le spectateur partage les difficultés dans lesquelles sont plongés les personnages. Cette réussite n’est pas étrangère aux talents d’un scénariste. Car Steven Spielberg ne s’y trompe pas, un grand réalisateur doit aussi s’entourer de grands scénaristes. Petite leçon donnée par le maître.

Steven Spielberg : Le style du film est venu assez rapidement parce que j’ai travaillé en étroite relation avec le second scénariste Josh Singer, qui a fait, je crois, 27 versions du scénario et qui a réécrit des nouvelles scènes. Avec Josh, on a insufflé beaucoup d’énergie au scénario, en se demandant ce que l’on devait montrer, ce que l’on ne devait pas montrer, si ça devait tenir sur deux pages, sur une, sur une demie. Ça m’a alors donné l’impression que nous racontions l’histoire du point de vue d’un département de presse, qui met beaucoup d’énergie à poursuivre l’information et la vérité. Et cette énergie me donnait l’impression d’être dans une rédaction. Combinée au peu de temps dont je disposais pour sortir l’histoire cette année, c'est, je pense, ce qui est responsable de la manière dont a été tourné le film.

7 - Sur les similitudes avec Les Hommes du Président

Pentagon Papers n’est pas sans rappeler un autre film non moins célèbre : Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula. Steven Spielberg ne cache pas son admiration pour ce film et révèle ce qui les rapproche.

Steven Spielberg : Les Hommes du Président est le plus grand thriller journalistique de tous les temps. Je suis heureux d’être associé à ce registre, et que mon film soit un peu le cousin de ce chef-d’oeuvre. J’aimerais rendre hommage à Pakula, que je n’ai jamais rencontré par ailleurs. Mon film se termine là où le sien démarre, avec le début du Watergate. Mais mon film est très différent des Hommes du Président. Le scandale du Watergate a un peu trouvé ses racines dans le courage de Ben Bradlee et Katherine Graham. Ils se sont battus contre la décision d’une cour de justice. Avec cette action, le Washington Post est devenu le journal numéro un dans la ville alors qu’il n’était que le deuxième, il est devenu un journal national alors qu’il n’était que local.

8 - Le personnage principal

L’une des particularités du personnage de Katherine Graham, et qui fait son enjeu intérieur, est qu’elle doit parvenir à imposer son autorité dans un univers d’hommes. Par leurs recherches Meryl Streep et Tom Hanks donnent ainsi un point de vue intéressant sur cette question.

Meryl Streep : J’ai assisté à des réunions où l’on était que deux femmes au milieu d’une nuée d’hommes. Je me souviens d’avoir vu une scène où une femme faisait une suggestion et les hommes y prêtaient à peine attention en disant vaguement « Oui, oui, oui...». Puis, un homme prenait la parole et faisait la même suggestion. Et là, j’ai entendu : « Voilà, c’est exactement ça qu’il faut faire !». Je ne connais pas une seule femme qui n’a pas été dans ce genre de situation.

De plus, quand la première version du scénario est arrivée sur le bureau de la productrice, elle l’a acheté tout de suite. C’était six jours avant les élections américaines. Elle pensait anticiper l'élection d’Hillary Clinton. Puis il s’est passé ce qu’il s’est passé. Et on avait soudain un autre film ! C’est une chance d’avoir pu le faire. C’est comme une histoire d’Apartheid, avec le monde des femmes et la rédaction du journal où il n’y a que des hommes. Le monde était comme ça en 1971, je m’en souviens très bien. Mais Pentagon Papers est une description précise encore du monde d’aujourd’hui.

9 - La subtilité de son collègue masculin

Tom Hanks : Ben Bradlee savait le coût que c’était d’être Katherine Graham à ce moment-là. Il connaissait le passé, il savait que son père avait confié la direction à son mari plutôt qu’à elle. Que ce dernier était mort dans des circonstances particulières, qu’elle se retrouvait à la direction de manière inattendue. Surtout, Bradlee admirait le fait qu’elle ait pris cette responsabilité. Quand j’ai lu le scénario, j’y ai surtout vu un film sur comment cette femme est devenue ce qu’elle est devenue.

Ce moment où elle doit décider si l’on publie tout cela ou pas est digne d’un film comme Le Parrain ! Mon personnage avait un petit quelque chose d’égoïste en fait. Il est là à dire « On doit publier cette histoire !» , mais il n’a rien à perdre lui. D’ailleurs, ce moment a été l’un des plus excitants de toute ma carrière. J’étais dans une tente, au téléphone, j’avais juste à crier « On doit le faire !» et écouter Meryl Streep prendre la décision... Mémorable.

10 - Le premier film féministe de Spielberg ?

Steven Spielberg : Mon premier film féministe est La couleur Pourpre. Je pense que cela vient du fait que j’avais une mère avec un caractère très fort, et que j’ai grandi entouré de femmes, car je n’avais pas de frère. Ma société de production a toujours été dirigée par des femmes, chaque département avait une femme à sa tête. C’est dans ce type de monde que je me sens le plus à l’aise !