Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'attouchements

Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'attouchements

Ces révélations pourraient être décisives. Alors que le cinéma français peine à se remettre en question sur l'environnement toxique et au moins délictueux révélé par le mouvement #MeToo, l'actrice Adèle Haenel a déclaré avoir été victime d'harcèlement sexuel et d'attouchements par le réalisateur Christophe Ruggia, alors qu'elle était enfant. Une enquête de Mediapart révèle les agissements du réalisateur et le drame vécu par l'actrice, qui est aujourd'hui décidée à ce que le silence cesse, enfin.

Depuis sa révélation au grand public dans La Naissance des pieuvres de Céline Sciamma en 2007, l'actrice Adèle Haenel s'est construite une remarquable carrière, et elle est aujourd'hui une comédienne reconnue dans le monde entier, multi-récompensée, et une des femmes les plus puissantes du cinéma français. Consciente de son pouvoir, elle a décidé, pour elle et pour les autres, de sortir de son silence, sur un épisode dramatique de sa vie.

Mediapart publie une enquête édifiante

Dimanche 3 novembre, Mediapart a publié une enquête exemplaire sur le harcèlement sexuel et les attouchements subis par l'actrice entre ses 12 et 15 ans, de 2001 à 2004, des faits dont l'auteur n'est autre que Christophe Ruggia, réalisateur du film Les Diables, premier film d'Adèle Haenel, sorti en 2002. L'enquête, particulièrement détaillée et recueillant plusieurs témoignages à visage découvert - une rareté dans ce type d'investigation, fait état d'une emprise perverse du réalisateur, alors âgé de 36 ans, sur l'actrice, alors âgée de 12 ans au début de la production des Diables. Une expérience traumatisante qui l'a poussée à arrêter le cinéma, avant d'y revenir grâce à Céline Sciamma.

L'actrice explique que le documentaire sur Michael Jackson, Leaving Neverlanda été un déclencheur pour elle, et l'a convaincue de sortir de son silence. Par ailleurs, c'est aussi la conscience de son statut, et la constatation que le mouvement #MeToo n'a eu que peu d'écho dans le cinéma français, qui l'ont poussée à briser ce tabou.

Je suis vraiment en colère. Mais la question ce n’est pas tant moi, comment je survis ou pas à cela. Je veux raconter un abus malheureusement banal, et dénoncer le système de silence et de complicité qui, derrière, rend cela possible.

Parce qu'il y a une part affective dans la fabrication d'un film, parce que les réalisateurs peuvent être fascinés par leurs acteurs, et inversement, le milieu du cinéma est propice aux dérives, avec l'établissement de mécanismes d'emprise sous-jacents, dissimulés, parfois difficiles à percevoir. Les déclarations d'Adèle Haenel, couplées à l'enquête de Mediapart, révèlent un milieu dominé par le silence, le malaise, l'incrédulité, et une certaine complaisance à l'égard de ceux considérés comme puissants. Beaucoup des témoins cités reconnaissent ne pas avoir vu, ou compris, se sont posés des questions sans oser dénoncer.

Il se trouve qu'à l'époque, et jusqu'à ces derniers jours, Christophe Ruggia était une figure importante du cinéma indépendant français. Pas tant par sa filmographie que par son implication dans la Société des Réalisateurs Français, dont il a été de nombreuses années co-président. Il en a été radié le 4 novembre, une décision unanime du conseil d'administration de la SRF.

Le "J'accuse" d'Adèle Haenel, pour enfin briser le silence et changer les mentalités

C'est en avril 2019 que l'actrice a décidé de parler, ouvrant ainsi l'enquête de Mediapart. Il y a peu, elle insistait pour que la sortie du film J'accuse de Roman Polanski soit encadrée de débats sur la culture du viol. Le film du réalisateur franco-polonais, toujours poursuivi pour abus sexuel sur mineur, des faits survenus aux États-Unis en 1977, a vraisemblablement touché Adèle Haenel, puisque son sujet est bien celui du silence, de l'injustice, des violences faites aux individus et de l'impunité des bourreaux. Un film effectivement vertigineux de malaise si on le pense dans le contexte actuel...

Cette affaire devrait, et c'est nécessaire, provoquer une véritable remise en question dans le milieu du cinéma, et plus largement dans la société française, encore très frileuse sur les sujets de prédation, d'harcèlement moral et sexuel, et de consentement, particulièrement dans les relations entre individus mineurs et majeurs. C'est en partie pourquoi l'actrice ne souhaite pas porter l'affaire devant la justice, estimant que celle-ci « condamne si peu les agresseurs » et « un viol sur cent  La justice nous ignore, on ignore la justice. »