Au Service secret de Sa Majesté : quand James Bond était un mannequin qui perdait au poker

Au Service secret de Sa Majesté : quand James Bond était un mannequin qui perdait au poker

Avec un James Bond qui a des sentiments complexes dans une mégalomanie enneigée et psychédélique, "Au Service secret de Sa Majesté" s'est défini dès sa sortie comme un 007 à part. On se penche sur l'acteur alors inconnu qui prit le rôle du célèbre agent.

Dans une franchise qui se distingue par sa fidélité à elle-même, Au Service secret de Sa Majesté ferait presque figure de stand alone. Sorti en 1969, sixième film après On ne vit que deux fois, ce 007 est unique en son genre, pour de nombreuses raisons. Une des principales tient à l'incarnation unique de George Lazenby, coincée entre les deux derniers films de Sean Connery (exception faite du hors franchise Broccoli Jamais plus jamais). Une seule apparition dans le costume de James Bond qui illustre bien le statut aléatoire du film : une absurdité pas désagréable mais une absurdité quand même, ou peut-être le meilleur James Bond de tous les temps.

George Lazenby, bon 007 et mauvais joueur de poker

Après cinq films à succès portés par Sean Connery, le rôle de James Bond est déjà un bel objet de convoitise et la popularité de l'acteur qui l'incarne est un bonus sans être une exigence. Mais le choix interpelle quand même, puisque c'est un jeune acteur et mannequin australien largement inconnu des spectateurs de cinéma qui décroche le rôle : George Lazenby. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé plus localement, puisque le jeune Timothy Dalton, 22 ans à l'époque et brillant comédien de théâtre est pressenti pour le rôle. Finalement jugé trop jeune, c'est donc à George Lazenby que reviennent le smoking et le matricule 007. Il devient et reste à ce jour le plus jeune James Bond, puisqu'il a 29 ans dans Au Service Secret de Sa Majesté.

Le film tend à être plus réaliste que ses prédécesseurs, plus ancré dans son temps avec une esthétique psychédélique appuyée et des vues plus modernes. George Lazenby s'en tire très bien à l'écran, mais l'aventure est courte. En effet, il refuse de signer pour un autre film, en partie convaincu - à tort - par son agent que la franchise James Bond n'aurait pas de succès. Mais George Lazenby n'aura pas eu la vie facile durant la production. Pour pallier à son manque d'expérience - il n'a tourné que des films publicitaires -  et pour acquérir une attitude plus british, il s'inspire énormément de Sean Connery, reproduisant avant d'être choisi, sa coupe de cheveux et s'efforçant de perdre son accent australien. À son propos, le producteur historique Albert R. Broccoli déclara :

Ce type ferait un bon James Bond, mais il ressemble à un homme d'affaires.

On a connu des invitations plus sympathiques... Mais il est vrai qu'avec ses faux airs de Clive Owen, George Lazenby offre une prestation moins claire et univoque que son prédécesseur. Pour le meilleur ? Sans doute, pour ce film où il est question de démission du MI6, de mariage, d'assassinat d'être aimé, de drogues et de kilt... Tout ça bien avant la complexité apportée par le cycle Daniel Craig. Mais ce film différent, malgré son succès en salles avec 65 millions de dollars de recettes pour 7 millions de budget, n'aura pas de suite.

Au service secret de sa majesté

Entre autres désagréments rencontrés par George Lazenby, une anecdote se remarque. Pendant le tournage d'Au Service secret de Sa Majesté, les acteurs jouaient très régulièrement au poker et Telly Savalas, qui incarnait Blofeld et était un joueur expérimenté, avait littéralement récupéré la grande partie du cachet de George Lazenby, qui lui était versé quotidiennement en espèces. Heureusement pour l'acteur australien, le producteur Harry Saltzman parvint à regagner cet argent pour lui et lui conseilla d'arrêter définitivement les cartes. Une sage recommandation pour celui qui était arrivé en Angleterre en 1964 sans un sou, ayant tout perdu au jeu pendant la traversée depuis l'Australie. Ajoutons à ces défaites répétées au jeu que l'acteur s'est cassé le bras pendant le tournage. Une blessure qui ne l'empêchera pas de tourner la scène de la visite du laboratoire, où le plâtre est dissimulé par un manteau posé sur le bras.

Toutes ces mésaventures ont joué dans la décision de George Lazenby de ne pas donner de suite à son aventure James Bond. Ironie du sort, il est nommé au Golden Globe de la révélation masculine de l'année en 1970 pour son rôle dans Au Service secret de Sa Majesté. Une distinction d'autant plus appréciable qu'elle est unique pour un interprète de James Bond. S'il continuera par la suite à jouer devant les caméras daue cinéma et de télévision, ce sera pour une présence tout à fait négligeable, dont on peut retenir pour nourrir ce sentiment de sympathique anomalie des participations aux téléfilms érotiques Emmanuelle. On peut ainsi considérer qu'un acteur 007 n'a jamais autant épousé son film, une performance et une production à percevoir comme des stand alone bizarres mais pas dénués d'élégance, au contraire, et qui créent une anomalie charmante et très réussie dans la franchise James Bond.