"Quelque chose de fin et de tragique" : Anne Fontaine nous emmène dans les coulisses de son "Boléro"

"Quelque chose de fin et de tragique" : Anne Fontaine nous emmène dans les coulisses de son "Boléro"

On a rencontré la scénariste et réalisatrice Anne Fontaine, qui infuse dans son nouveau film "Boléro", biopic libre de Maurice Ravel, la fantaisie et l'intimité trouble dont elle s'est fait experte sur grand écran. Elle nous explique son idée de se saisir de ce compositeur et de sa grande oeuvre et le casting de Raphaël Personnaz, très inspiré pour cette incarnation complexe.

Anne Fontaine raconte le Boléro de Ravel

Trois ans après Présidents, où elle confiait à Jean Dujardin et Grégory Gadebois les incarnations fantaisistes de deux anciens présidents de la République, c'est à un autre homme célèbre que s'intéresse Anne Fontaine dans Boléro : Maurice Ravel. Boléro est un biopic du compositeur français, mais un biopic libéré sur ses temporalités et sur certains faits pour raconter surtout la composition de sa plus grande oeuvre : le Boléro.

Un des airs et morceaux les plus connus et célébrés de la musique classique, dont Anne Fontaine a cherché l'origine dans l'intimité trouble du personnage, formidablement interprété par Raphaël Personnaz.

Comment en êtes-vous venue à réaliser un biopic sur Maurice Ravel ?

Anne Fontaine : J'ai été élevée dans un contexte très musical puisque mon père était musicien. Il était organiste de la cathédrale de Lisbonne, donc j'ai toujours vécu avec des répétitions d'orchestre, des choeurs, de l'orgue... Probablement, quand je me suis attaché à l'idée de Ravel, l'idée était de faire un film où la musique est au centre de l'histoire.

J'ai réfléchi, quel compositeur avait cette force et ce génie ? Je suis tombée sur Ravel, parce qu'il est exceptionnellement riche musicalement. Puis je me suis demandé comment traverser sa vie de manière non chronologique. J'ai alors découvert son existence, sa vie, à travers le Boléro.

Boléro
Boléro ©SND

C'est une musique que tout le monde peut s'approprier parce qu'elle est envoûtante. Comment cet homme a réussi à trouver cet air si contemporain, si magnétique, comment ça lui est venu ? L'idée était de voir l'envers du décor et mettre le spectateur à cette place, dans cette façon incroyable d'écouter les sons, et essayer de constituer comme un puzzle, d'associer des morceaux ensemble. J'ai pensé que c'était une expérience très riche sur la musique, et sur la création. C'est ce qui m'a attiré le plus, voir comment il a pu créer cette musique qu'il n'arrivait pas à trouver.

C'est cette ambiguïté qu'on ressent pleinement dans Boléro, celle d'un créateur qui se refuse presque à créer...

Anne Fontaine : On a l'impression qu'il ne voulait pas trouver, mais ce n'est pas qu'il ne voulait pas, c'est que rien ne lui arrivait comme inspiration, donc on le voit sécher. Et quand on voit un génie de son niveau ne pas être capable de trouver la façon de s'y prendre, c'est assez spectaculaire, parce qu'on se dit que ce n'est pas possible. Comment va-t-il y arriver ? Donc il y a du suspense. Et il y arrive, presque à son insu, en disant : "Voilà, je vais répéter dix-sept fois ce thème".

Boléro
Boléro ©SND

Comme d'autres artistes avec leur plus grande oeuvre, Maurice Ravel entretenait un rapport compliqué au Boléro.

Anne Fontaine : C'est vrai qu'il a eu une sorte de fascination-haine à cette chose qui a un peu éclipsé toute son oeuvre. Pour un créateur, il y a toujours l'ambiguïté du succès. Est-ce que c'est la chose dans laquelle on se sent le plus reconnu qui est celle qu'on aime le plus?

Il y a aussi cette pathologie qu'il se cache à lui même, et qui fait qu'il adopte le Boléro quand il ne reconnaît plus son auteur, et c'est bouleversant. Je trouve ça incroyable d'apprécier un morceau, qu'il rejetait, au moment où il ne sait plus de qui il est. La fin de sa vie est très émouvante.

Boléro raconte ce surgissement du génie musical, à la fois laborieux et spectaculaire, et très motivé par l'entourage féminin de Ravel.

Anne Fontaine : Ce qui est intéressant, dans la construction du scénario, c'est que ces quatre femmes étaient autour de lui. Celle du début, sa mère (Anne Alvaro), qu'il aimait profondément. Il avait une relation extrêmement fusionnelle avec elle. Misia Sert (Doria Tillier), qui représente un idéal non atteignable, par le fait qu'il préfère, comme il dit, lui composer de la musique, comme un transfert érotique, amoureux.

Boléro
Boléro ©SND

Il y a Emmanuelle Devos qui fait Marguerite Long, sa pianiste favorite, un peu maternante et en même temps une collaboratrice. Et puis, bien sûr, Ida Rubinstein (Jeanne Balibar) qui était ce personnage baroque. Ces femmes font autour de lui une sorte de rempart de protection, car il est un éternel jeune homme, comme elles lui disent. Ravel a quelque chose de Dorian Gray, sans sa noirceur évidemment. C'est pour ça que je l'ai fait très peu vieillir, à part les cheveux du personnage quand il a soixante ans parce que, au fond, il a toujours cette chose enfantine. C'est ce qui m'a beaucoup plu chez lui.

Vous aviez Raphaël Personnaz en tête dès l'écriture ?

Anne Fontaine : Non, pas du tout, j'ai été menacée par Raphaël (rires). Il est venu un jour chez moi et il m'a dit : "C'est moi et c'est pas autrement". J'ai fait des essais avec des acteurs et je n'y arrivais pas. C'était très difficile pour moi, parce que c'est un rôle complexe. Je n'avais pas besoin qu'il ressemble littéralement à Ravel, mais il fallait qu'il y ait quelque chose de fin et de tragique.

Avec Raphaël, on a fait des essais chez moi avec un vrai caméraman. Qu'est ce que son visage disait en écoutant le Boléro ? Dans les essais que j'ai faits, la chose la plus importante, c'était de me dire : "Est ce que ce visage, cette expression, est ce que c'est crédible ?". Je voulais, en tant que metteur en scène, voir ce que ce visage exprimait au moment où il ne reconnaît plus la musique. C'est surtout ses plans que j'ai étudiés et que je me suis projeté sur un grand écran.

Et là, je me suis dit que c'était lui, parce que je savais que Raphaël était un bon acteur, un acteur très vrai, très juste, mais je cherchais autre chose. Je cherchais le personnage tel que je l'avais écrit, et je trouve Raphaël extraordinaire dans le film. C'est très difficile de jouer un personnage existant, frappé du bon génie, et le prendre sur la fragilité, sur le questionnement et sur l'humilité.