Cédric Ido (La Gravité) : "J'ai voulu reprendre les codes des yakuzas et les affilier à la cité"

Cédric Ido (La Gravité) : "J'ai voulu reprendre les codes des yakuzas et les affilier à la cité"

Pour la sortie de "La Gravité", long-métrage qui mêle thriller et science-fiction, nous avons rencontré son réalisateur Cédric Ido. Le cinéaste nous a parlé de ses influences et de son envie de traiter un sujet personnel en l'adaptant à certaines de ses influences majeures.

La Gravité : une proposition rare dans le cinéma français

La Gravité s'ouvre sur une chute mortelle avant de raconter comment les trois personnages qui y ont assisté sont retenus au sol. Daniel (Max Gomis) rêve de quitter sa cité avec sa compagne Sabrina (Hafsia Herzi) mais n'arrive pas à tourner le dos à son frère Jooshua (Steve Tientcheu), dealer qui a besoin de lui pour beaucoup de ses déplacements, ayant perdu l'usage de ses jambes. Lorsque leur vieil ami Christophe (Jean-Baptiste Anoumon) sort de prison, il ne sait que faire et retombe très vite dans ses vieux travers.

La Gravité
La Gravité ©Alba Films

Alors que ces trois hommes font face aux Ronins, une bande de jeunes qui entend bien faire régner l'ordre en les rayant de la carte, un mystérieux alignement des planètes menace leur existence. Pour certains, ce phénomène pourrait marquer le début d'une nouvelle ère. À moins qu'il ne soit le signe d'un anéantissement...

Mélange des genres audacieux, La Gravité ne cesse d'intriguer jusqu'à son final métaphorique. Âpre et violent, le long-métrage propose plusieurs rebondissements inattendus qui symbolisent la prise de risque du réalisateur et co-scénariste Cédric Ido (La Vie de château). Pour la sortie du film, le cinéaste nous a parlé de son envie de mettre en scène un projet très personnel, entre science-fiction et thriller, et donc particulièrement rare dans le cinéma français.

Rencontre avec Cédric Ido

La Gravité est un film audacieux et singulier. Est-ce que c'est un projet qui a été difficile à concrétiser ?

Cédric Ido : Forcément, on s'est confrontés à une certaine frilosité. Mais la vraie chance que j'ai eue, c'est d'avoir été bien entouré pour ce film, d'avoir des gens qui comprenaient le propos et où j'essayais d'aller, en l'occurrence la productrice Emma Javaux et le distributeur et coproducteur Alain Attal. Ils ont compris le film que je voulais faire et se sont mis au service du film. Ils savaient que ça n'allait pas être simple de proposer quelque chose qui est un film d'auteur, qui se passe en banlieue et avec des relents de genre et de fantastique vraiment assumés.

La Gravité
La Gravité ©Alba Films

On savait qu'on allait avoir un plafond de verre qui allait s'ériger au-dessus de notre tête. Souvent, on peut être piégés par le fait de se dire : "Le marché me demande quelque chose de beaucoup plus traditionnel". Et là, tu te retrouves à édulcorer totalement ton propos et ce que tu as envie de faire. La chance que j'ai eue, c'est qu'Emma et Alain m'ont toujours dit qu'il ne fallait pas hésiter à pousser, à aller dans le sens de la proposition et à briser le plafond de verre, ce qui est d'ailleurs le propos du film. Ils m'ont encouragé à faire quelque chose de radical. Je pense que c'est aussi ce qui a attiré Canal+, le CNC et d'autres partenaires.

Quel était le point de départ du film ? Est-ce que c'était justement cet aspect métaphysique et métaphorique ? Ou le parcours des trois personnages principaux ?

Cédric Ido : C'est assez ténu maintenant de dire quel était le point de départ parce que je pense que tout ça s'est tellement imbriqué dans mon esprit. J'avais envie de raconter quelque chose de très personnel mais pas de manière frontale. Donc je me suis demandé, puisque je ne voulais pas le faire de manière frontale, où aller puiser dans mes références pour raconter cet espèce de plafond de verre, comment montrer comment ce système nous tient tous, pas juste les habitants d'une cité.

La Gravité
La Gravité ©Alba Films

Je voulais assumer ces références et montrer, comment j'ai pu me les approprier une fois que je les ai digérées. Ramener du manga, ramener des choses très populaires et assumer ce côté populaire, montrer ma vision du cinéma et tenter de ramener quelque chose de très personnel tout en étant le plus universel possible.

Ça se ressent évidemment avec les Ronins...

Cédric Ido : Oui. Je suis très friand de cinéma japonais, du chanbara et des codes de ces films-là. Littéralement, le terme "ronin" veut dire "vagabond", mais cela évoque aussi les samouraïs sans maître, livrés à eux-mêmes, un peu comme ces gamins qui ne veulent plus se rattacher à un système mais qui fonctionnent en communauté. J'ai aussi voulu reprendre les codes des yakuzas et les affilier à la cité.

Ce qui est très intéressant avec ces jeunes, c'est qu'ils ont un vrai recul sur l'existence qu'ils paraissent finalement plus sages que les grands, ce qui est très rare au cinéma.

Cédric Ido : C'est ça. En fait, j'avais envie de les conscientiser d'une certaine manière. Pour moi, les grands frères, la génération à laquelle j'appartiens, ils ont été bouffés par ce système, ils n'ont pas su exploiter leurs talents, ils se sont noyés dans un espèce d'individualisme et sont tombés dans des pièges, comme vendre de la drogue...

La Gravité
La Gravité ©Alba Films

Les petits, ils se sont affranchis de ça. Ils n'ont pas envie de prendre les conseils de ces aînés. Donc j'ai voulu les conscientiser en les poussant à un extrême, dans un espèce de fondamentalisme qui n'évoque aucune religion particulière. Ils n'hésitent pas à sacrifier les anciens afin de pouvoir exister.

Les trois anciens, Daniel, Christophe et Jooshua, on les comprend notamment à travers leurs passions respectives : l'athlétisme, le dessin et les inventions. Mais l'empathie envers eux naît tardivement.

Cédric Ido : Complètement, il ne fallait pas qu'ils soient sympathiques. Daniel est tellement torturé et tiraillé qu'il finit par faire des choix de merde. Jooshua, son frère, n'est pas aimable et ne pense qu'à sa gueule. Il est juste individualiste. Et Christophe fait aussi n'importe quoi, par pure vengeance et parce qu'il ne sait pas quoi faire ni où aller. Il ne sait rien faire d'autre que foutre la merde.

J'ai vraiment voulu les rendre déplaisants mais aussi très attachants. Ces mecs-là sont simplement devenus des failles vivantes. Ils ne savent pas quelle direction prendre parce qu'ils savent qu'au-dessus d'eux, inconsciemment il y a quelque chose qui les empêche d'avancer. C'était vraiment ça. Contrairement aux gamins qui avancent, qui sont très concentrés et très terre à terre.

La Gravité
Christophe (Jean-Baptiste Anoumon) - La Gravité ©Alba Films

Ces différences de tempéraments entre les générations, elles viennent d'un constat que vous avez pu faire ?

Cédric Ido : Oui, c'est un constat que je fais. Il y a une génération qui a été victime. Une génération de parents qui a courbé l'échine et qu'on n'a pas reconnue. Il y a un nihilisme chez les jeunes, qu'eux ne maîtrisent pas forcément. Ils ne savent pas à quoi c'est dû mais je pense qu'inconsciemment c'est dû au fait d'avoir vu leurs parents se vautrer, quelque part.

Ce que je trouve aussi intéressant dans le film, c'est de confronter deux générations et de se demander comment on règle les choses. Est-ce qu'il faut qu'à un moment ça explose, que les choses s'effondrent littéralement et qu'on reprenne sur d'autres bases, qu'on s'entende ? Ou est-ce qu'il faut attendre que les choses viennent de l'extérieur ?

D'ailleurs, la philosophie "ni dieu, ni maître" des Ronins finit par s'effondrer.

Cédric Ido : Elle s'effondre parce qu'il faut qu'il y ait un socle. S'il n'y a pas de socle, s'il n'y a pas de transmission, ça ne marche pas. C'est cette main tendue dans les deux sens, c'est-à-dire que personne n'est fautif et en même temps, tout le monde est victime.

La Gravité
La Gravité ©Alba Films

Le simple fait que Daniel veuille partir de la cité, ça évoque quelque chose que je vois beaucoup. Il y a plein de sportifs, de rappeurs, etc., dès qu'ils réussissent, le seul truc c'est de se dire : "Je me barre". Alors qu'il y a plein de choses à faire justement... Il y a plein de choses à reconstruire et à se réapproprier, faire de cet environnement un espace de création.

Les éléments fantastiques et les effets spéciaux sont dévoilés au compte-gouttes dans le film. Est-ce que le budget a pu être un frein dans la représentation de ces éléments ?

Cédric Ido : Pour la représentation du ciel, il fallait doser entre l'étalonnage et les effets spéciaux. Évidemment, comme on n'avait pas le budget de Marvel, il fallait trouver des solutions, il fallait être malin. Tant mieux, parce que ça te force aussi à être plus ingénieux, notamment sur la manière dont on allait se servir du fauteuil. Au final, pour cet objet, on a utilisé moins de CGI que d'effets pratiques sur le plateau, ce que je trouve cool. Ça ramène un côté artisanal que j'aime beaucoup.

La Gravité de Cédric Ido, à découvrir au cinéma dès le 3 mai 2023.