Céline Sallette (Les Algues vertes) : "C'était un tournage intense"

Céline Sallette (Les Algues vertes) : "C'était un tournage intense"

À l'occasion de la sortie du très réussi "Les Algues vertes", nous avons rencontré la comédienne Céline Sallette, qui prête ses traits à la journaliste Inès Léraud. L'actrice nous a notamment parlé de sa rencontre marquante avec la lanceuse d'alerte, du constat d'impuissance face à la découverte d'un tel scandale et du pouvoir de transmission de la fiction.

Les Algues vertes : l'enquête passionnante d'Inès Léraud

Depuis les années 1980, plusieurs personnes et des dizaines d'animaux sont morts sur les plages de Bretagne après avoir inhalé du sulfure d'hydrogène, un gaz toxique dégagé par les algues vertes qui envahissent les plages de la région. À travers son Journal breton diffusé sur France Culture puis dans la bande dessinée Algues vertes, l'histoire interdite, la journaliste Inès Léraud s'est penchée sur ce scandale écologique et a cherché à en comprendre les causes, liées à l'agriculture intensive.

Des recherches que Pierre Jolivet (Ma petite entrepriseLes Hommes du feu) retranscrit dans Les Algues vertes, portrait particulièrement touchant d'une lanceuse d'alerte déterminée qui tente d'ignorer les pressions qu'elle subit. Une lutte pour la vérité haletante, qui rappelle Dark Waters de Todd Haynes et qui réussit à traiter d'un problème majeur sans mettre de côté aucun des personnages impliqués et sans jamais verser dans le manichéisme.

Les Algues vertes
Les Algues vertes ©Haut et court

À l'occasion de la sortie du passionnant Les Algues vertes, nous avons rencontré la comédienne Céline Sallette, qui incarne Inès Léraud. Figure d'un cinéma engagé (Rouge, Geronimo), l'actrice nous a parlé de son attirance pour ce genre de rôles mais aussi de ses rencontres déterminantes avec la journaliste et le réalisateur Pierre Jolivet.

Rencontre avec Céline Sallette

Comment avez-vous découvert le travail d'Inès Léraud ?

Céline Sallette : J'avais lu la BD (Algues vertes, l'histoire interdite, ndlr) et j'ai découvert les podcasts après que Pierre m'a proposé le rôle. Je dois avouer que j'étais hyper fascinée par la manière dont Inès faisait du journalisme de façon tout à fait innovante, c'est-à-dire que je n'avais jamais entendu quelqu'un faire des interviews aussi puissantes et surprenantes parce qu'on sent qu'elle n'est pas dans un endroit d'interview. Elle est dans un endroit de lien privilégié et d'écoute qui crée quelque chose de différent.

Ce procédé hyper novateur et bouleversant, le fait qu'elle soit partie vivre en Bretagne pour se rapprocher du territoire et pour avoir d'autres informations, pour donner d'autres voix, tout ça fait la richesse du Journal breton, et puis de la BD, et puis du film.

Les Algues vertes
Inès Léraud (Céline Sallette) - Les Algues vertes ©Haut et court

Vous connaissiez le scandale avant cela ?

Céline Sallette : Non, c'est quelque chose que je ne connaissais pas avant la BD. Et puis, en dehors de ça, le fait de pouvoir travailler à incarner cette BD à travers le parcours d'Inès, comment elle est entrée en Bretagne, dans l'enquête... En fait, on a en quelque sorte incarné le trajet qu'elle fait dans Le Journal breton. C'est ce qui, je pense, rend le projet de Pierre tout à fait singulier par rapport à la BD, ce n'est pas juste un travail didactique mais c'est un travail à un niveau intime, à un niveau humain et émotionnel.

C'est ce qui m'a permis de découvrir tout ce qui sous-tend ces enjeux économiques puissants, c'est-à-dire la prise au piège des agriculteurs dans un système qui les exploite, qui les broie tout en les enchaînant à une situation. Ils ne peuvent pas s'en défaire. C'était incroyable de pouvoir aussi donner la parole aux agriculteurs à travers le film.

Les personnes que l'on a rencontrées pendant le tournage étaient des gens qui étaient acquis, d'une certaine façon, au mouvement qui est en train de naître en Bretagne et qui pour l'instant oppose pratiquement deux catégories de populations. Mais c'est pour ainsi dire un leurre, une illusion puisque je pense que tout le monde essaie de se bagarrer pour une forme de survie et de grandeur de la Bretagne.

Les Algues vertes
Les Algues vertes ©Haut et court

Comment avez-vous travaillé avec Inès ?

Céline Sallette : J'ai eu la chance qu'elle me partage beaucoup de choses très intimes, les bouleversements qu'elle a vécus. C'est quand même de sacrées épreuves qu'elle endure en se confrontant à ces questions, puisque ces questions amènent de la violence. De la violence politique, de la violence sociale, de la violence financière.

C'est la première fois que vous collaborez avec Pierre Jolivet.

Céline Sallette : Je connaissais un peu son cinéma mais c'est vrai que j'ai découvert un homme hyper engagé, un grand metteur en scène. Honnêtement, sur le plateau, j'ai vraiment été admirative de sa façon de conduire l'équipe. Il s'est retrouvé face à des difficultés assez grandes, d'abord en termes de soutien financier parce que personne ne voulait l'aider à raconter cette histoire. Et puis ensuite sur le terrain, c'était compliqué de poser un pied de caméra, un rail de travelling et de faire du cinéma à cause d'interdictions.

Ça faisait un cinéma très mobile. C'est un cinéma que je connais et que j'ai déjà pratiqué donc ce n'est pas quelque chose qui m'a effrayée particulièrement, c'était même plutôt amusant de déjouer des pièges et d'être dans cette aventure. Mais c'est vrai que pour Pierre, c'était différent. (rires)

Comment s'est passé le tournage ?

Céline Sallette : C'était un tournage qui en réalité était assez éprouvant physiquement parce que les premiers rôles, c'est toujours assez intense. Mais c'était aussi assez génial d'aller se baigner dans la mer alors que personne ne voulait y aller.

J'ai de grands souvenirs du tournage, surtout avec Nina Meurisse (qui interprète sa petite amie Judith, ndlr). On tournait dans la maison d'Inès et d'Alice, dans leur première maison. Il y avait dans ce décor beaucoup de charge. Donc c'était assez beau de venir là, de jouer là avec elles. On a passé beaucoup de temps toutes les quatre et c'était hyper beau, c'était vraiment de très beaux moments.

Le rôle d'Inès évoque certains de vos autres personnages, comme ceux de Corporate ou Rouge, des films qui prennent eux aussi la forme de thrillers. C'est important pour vous de pouvoir faire des films qui ne font pas la distinction entre cinéma social et cinéma populaire ?

Céline Sallette : Oui, carrément ! Ce qui est important, c'est que le cinéma ne prenne pas le dessus sur le fond d'une certaine façon. On s'efface derrière le fond.

Les Algues vertes
Les Algues vertes ©Haut et court

En tout cas, ce qui est un peu étrange dans mon parcours d'actrice, c'est que c'est vrai que ce sont ces rôles-là qui viennent à moi aussi. Je pense qu'il y a une forme de magnétisme qui fait que c'est ça qui vient à moi... C'est probablement ça que je dégage, et c'est quelque chose qui me va parfaitement.

Comment avez-vous vécu les premières réactions des spectateurs ?

Céline Sallette : La première projection à laquelle j'ai participé, c'était à Brest je crois. C'était hyper impressionnant. Les débats sont assez beaux, les gens se sentent assez bouleversés, ça les concerne de près.

Le fait de participer à un film comme Les Algues vertes, ça fait plutôt naître de l'espoir ou à l'inverse, ça donne un sentiment de désillusion ?

Céline Sallette : J'avoue que c'est un peu les deux. Il y a d'abord un constat d'impuissance parce que ce n'est pas la première fois que ce problème est mis en lumière. Au contraire, ça fait 50 ans que ce problème est mis en lumière. Les ministres sont venus sur les plages, le film commence comme ça. Et qu'est-ce qu'il s'est passé ? Rien. C'est fou !

La puissance financière qui fait loi, elle est épouvantable à constater et à combattre mais malgré tout, le film donne espoir parce qu'alors que plein de lanceurs d'alerte se retrouvent seuls et acculés, Inès réussit dans la bataille collective à trouver des appuis qui la renforcent et qui font qu'elle ne se sent pas seule, et que son combat finit par être partagé sur le territoire. Elle sert d'exemple autant que d'appui et ça continue, ça n'est pas terminé. Et ça devient beau.

Les Algues vertes
Les Algues vertes ©Haut et court

De toute façon, j'ai écouté le président de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles, ndlr) il y a quelques jours au micro de France Inter qui disait que les agriculteurs sont tous les jours aux prises avec le climat, plus que n'importe quel autre être humain. Et donc, cette façon de produire de manière intensive, elle va se terminer parce qu'on est par exemple en concurrence avec les Chinois et qu'on ne peut pas lutter pour faire de la viande à bas coût. Il va falloir qu'on fasse à manger de façon qualitative, pour qu'on arrête de s'empoisonner. On ne va pas avoir le choix.

Là-dedans, la fiction a encore un pouvoir de transmission parce qu'elle poétise, elle met en exergue les émotions, elle est un outil puissant quand elle est au service d'une forme de vérité. Inès était présente sur le projet en tant que garante de la justesse du traitement du sujet. Dans ces conditions, je pense que la fiction acquiert toute sa puissance.

Les Algues vertes est à découvrir au cinéma dès le 12 juillet 2023.