Charlotte Colbert (She Will) : "Le traumatisme se vit comme un film d'horreur"

Charlotte Colbert (She Will) : "Le traumatisme se vit comme un film d'horreur"

Excellente surprise horrifique de cette fin d'année, "She Will" raconte comment une femme parvient à se libérer d'un traumatisme en recevant l'aide de forces mystérieuses. Pour la sortie de ce film à l'esthétique superbe, nous avons rencontré la réalisatrice Charlotte Colbert.

She Will : les sorcières bien-aimées

Premier long-métrage de l'artiste franco-britannique Charlotte ColbertShe Will débute dans un train qui emmène Veronica (Alice Krige) au fin fond de la campagne écossaise. Accompagnée d'une jeune infirmière prénommée Desi (Kota Eberhardt), cette actrice vient de subir une double mastectomie et espère pouvoir se remettre dans un endroit isolé. Peu de temps après son arrivée près d'une forêt où de nombreuses femmes accusées de sorcellerie ont été brûlées vives, elle est atteinte de visions et replonge dans un traumatisme.

Alors qu'elle débutait sa carrière en tournant pour un réalisateur renommé, Hathbourne (Malcolm McDowell), Veronica a subi des abus de ce dernier. Aidée par des forces mystérieuses, l'héroïne va se venger en défiant l'espace-temps.

She Will
Hathbourne (Malcolm McDowell) - She Will ©Alba Films

Inquiétant et oniriqueShe Will bénéficie d'une superbe esthétique et fait voyager le public dans plusieurs lieux emblématiques du thriller et de l'horreur, commençant dans un train et se poursuivant dans un manoir, avant de le plonger dans une forêt marquée par un passé douloureux. Un lieu où l'histoire est littéralement ancrée dans la terre, où la tourbe est en partie constituée des cendres des sorcières, ce qui donne au film son aspect visuel si singulier. Le long-métrage dresse également le portrait d'une héroïne d'abord glaciale et ensuite extrêmement touchante, formidablement incarnée par Alice Krige.

Produit par Dario ArgentoShe Will comporte plusieurs points communs avec les films du cinéaste, à commencer par une fascination pour la sorcellerie. Pour la sortie de ce récit fantastique qui réussit à rester constamment à la frontière entre le réel et l'irrationnel, nous avons rencontré la réalisatrice Charlotte Colbert, artiste franco-britannique venue des arts plastiques qui vient de faire une entrée impressionnante dans le cinéma de genre.

Rencontre avec Charlotte Colbert

C'est votre premier long-métrage en tant que réalisatrice. Est-ce que c'est un projet qui a été difficile à concrétiser ?

Charlotte Colbert : Oui ! (Rires) J'imagine qu'il n'y a pas de premier film qui ne soit pas difficile à faire.

She Will
Desi (Kota Eberhardt) - She Will ©Alba Films

C'est peut-être encore plus compliqué pour un film de genre.

Charlotte Colbert : Oui, sûrement. En plus le scénario était assez surréaliste, il avait vraiment tous ces éléments oniriques. On a eu de la chance parce que les acteurs ont répondu à l'appel, et ça nous a vraiment aidés pour le financer. Ce n'était pas un énorme budget, on n'avait pas beaucoup de temps pour tourner. J'aimerais tellement avoir plus de temps pour qu'on puisse rêver ensemble, avec l'équipe, pendant ces moments. C'était très sportif. (Rires) Il n'y a pas beaucoup d'effets numériques. Pour certains effets, on a travaillé au microscope avec des liquides. Ça a permis de faire en sorte que le microscopique reflète l'infiniment grand, le ciel, les étoiles.

Les équipes créatives ont toujours compris ce que je voulais faire. C'étaient tous des rêveurs, qui repoussent les limites du questionnement. (Rires)

Vous aviez des acteurs comme Alice Krige ou Malcolm McDowell en tête dès le départ ?

Charlotte Colbert : En fait, au départ, Sigourney Weaver était attachée au projet. Elle a lu le scénario et m'a invitée à New York pour en parler. On a commencé à développer le scénario ensemble, ce qui a aidé à concrétiser le projet. Après, on avait le choix d'attendre pendant qu'elle faisait Avatar : La Voie de l'eau ou de continuer d'avancer parce qu'on avait déjà toute l'équipe. Après, j'ai rencontré Alice qui avait lu le scénario sans que je le sache. Elle voulait vraiment faire le projet, donc on s'est rencontrées, et j'adore cette femme ! Elle est arrivée, elle incarnait déjà le personnage, notamment dans la manière dont elle s'était habillée.

C'était vraiment une rencontre hyper importante pour moi. C'est quelqu'un de vraiment incroyable, qui a tout pris du film, tous les thèmes, en elle. C'était un rêve de l'avoir. Elle était très rock'n'roll. Elle était toujours partante pour courir dans la boue, la nuit, dans le froid. (Rires)

She Will
She Will ©Alba Films

Dario Argento produit le film. Il y a d'ailleurs des thématiques communes entre She Will et certains de ses films, comme la sorcellerie. À quel moment est-il arrivé dans le processus ?

Charlotte Colbert : Il est arrivé assez tard en fait. C'était merveilleux parce que Dario, avant de le rencontrer en chair et en os, pour moi c'était un nom, une typographie. Son soutien a été incroyable, il nous a donné une approbation géniale. J'adore ses films, c'est tellement complet au niveau artistique. Il réfléchit tellement son esthétique, le son, la musique, il est très audacieux. Il a aimé le film, on a eu beaucoup de chance, il trouve que la manière d'aborder la sorcellerie est hyper réaliste. Lui aussi est hyper intéressé par les rêves et les contes de fées, la récurrence des images... C'était formidable qu'il nous aide.

She Will démarre dans un train avant que l'on arrive dans un grand manoir. Il y a aussi le rapport à la forêt, à la sorcellerie et à la vengeance. Vous vouliez jouer avec différents codes de l'horreur et du thriller ?

Charlotte Colbert : Oui ! Je voulais jouer avec ces codes-là et les subvertir un peu. Le film est un peu comme cette citation qui nous a beaucoup inspiré, et qui dit : "Pourquoi on apprend à avoir peur des sorcières et pas de ceux qui les ont brûlées vivantes ?" Il fallait travailler avec cette imagerie, avec ces thèmes et les repenser de manière différente.

She Will
Veronica (Alice Krige) - She Will ©Alba Films

Pourquoi avoir choisi la campagne écossaise comme cadre du film ?

Charlotte Colbert : L'Écosse, c'est tout un poème, c'est un endroit incroyable ! Déjà, rien que les paysages, les ciels... On a l'impression qu'un gobelin va sortir de derrière un buisson. C'est vraiment un endroit qui est riche en mythologie, en mythes. Il y a déjà toute cette esthétique qui existe. Puis, l'endroit où on a filmé, c'est l'endroit d'où venait la dernière femme à avoir été exécutée pour sorcellerie. Énormément de femmes et d'hommes ont été exécutés pour sorcellerie en Écosse, bizarrement, plus qu'ailleurs. Un des grands massacres a eu lieu là-bas.

Il y avait un désir gouvernemental d'oblitération, de les effacer, de les détruire complètement, de ne laisser aucune trace. Leurs cendres sont là.

She Will
Veronica (Alice Krige) - She Will ©Alba Films

Mais vous ne vouliez pas faire un film d'époque ?

Charlotte Colbert : Je trouve qu'il y a quelque chose d'intéressant dans cette idée d'historique cellulaire, dans l'idée que l'on porte vraiment nos ancêtres en nous. Il y avait quelque chose d'intéressant dans l'idée d'un traumatisme d'une femme d'aujourd'hui qui réveille, remue un traumatisme commun très ancien. Et il y a une sorte de communication, d'entraide, qui va au-delà de l'espace-temps.

Pour vous, le cinéma d'horreur est le genre le plus efficace pour aborder la question du traumatisme ?

Charlotte Colbert : Oui, en tout cas c'est le plus honnête. Le traumatisme se vit comme un film d'horreur. C'est un peu comme le film The Father avec Anthony Hopkins, sur la maladie d'Alzheimer. C'est un film d'horreur ! Ce qui le rend hyper authentique dans sa manière de traiter Alzheimer.

She Will
Veronica (Alice Krige) - She Will ©Alba Films

Comment s'est passée votre collaboration avec Clint Mansell et le travail sur le son, extrêmement important dans le film ?

Charlotte Colbert : C'était super important pour moi de créer une voix pour la terre et donc d'utiliser un choeur. Et dans le sound design, on a beaucoup travaillé avec l'électricité statique et l'idée que l'électricité nous connecte à la terre. On a voulu reprendre ça dans la musique, lier les voix à ce côté électronique. Les voix représentent celle du passé de Veronica (le personnage d'Alice Krige, ndlr) et celles de ces sorcières qui communiquent. Il fallait que la première voix ait beaucoup plus de vulnérabilité.

She Will est à découvrir dès le 30 novembre 2022 au cinéma.