Cheryl Hines, Waitress si touchante

Dimanche 2 Septembre, rendez-vous est pris à la Villa Cartier de Deauville, une grande bâtisse hype située face à la mer, entre les deux hôtels principaux de la ville.
16h. Plus rien ne laisse à penser qu’ici même a eu lieu, la veille au soir, la soirée Bourne… Autre film, autre style, c’est avec la délicate Cheryl Hines que nous avons rendez-vous, à l’occasion de la présentation de Waitress en compétition du Festival. Méconnue en France (mais co-star du sitcom Curb Your Enthusiasm aux US), elle illumine discrètement le très féminin film d’Adrienne Shelly.
Le temps de décider du lieu de l’interview (elle se fera finalement au bar, l’équipe du film En Cloque, mode d'emploi monopolisant la salle principale) et en route pour le magnéto, au rythme de la douce Cheryl.

Une belle rencontre…

Ca vous fait quoi d’être à Deauville ?
C’est incroyable, tout est si beau et si excitant. Vous savez, on s’imagine souvent venir ici et une fois sur place, c’est spectaculaire.

Quel accueil espérez-vous pour Waitress ?
Je pense que les festivaliers vous l’apprécier. L’accueil américain a été plutôt chaleureux envers ce merveilleux voyage intérieur porté par des personnages hauts en couleur. C’est un très beau film.

C’est d’ailleurs étonnant car le film aborde des thèmes difficiles comme la maltraitance conjugale, la grossesse non désirée, les adultères en série, etc. et pourtant, on ne tombe jamais dans le glauque : le ton reste léger et l’humour prime toujours…
Adrienne Shelly – qui a écrit, réalisé et joué dans le film - a vraiment abordé tous ces thèmes de façon subtile. Elle a réussi à capturer l’essence de la vie sans y mettre une once de manichéisme. Rien n’est jamais blanc ou noir. Vous avez raison, à l’écran, malgré la tristesse latente, les personnages vivent et cherchent le bonheur partout où ils peuvent le trouver.

Comment avez… Là, Judd Apatow – qui pose pour une série de clichés à seulement 2 mètres de nous – l’interpelle en jouant la vedette glamour. S’ensuit un court échange (comment veux-tu que je me concentre sur mon interview alors que tu joues avec tes cheveux juste à côté ?). Comment avez-vous réagi à l’annonce de la sélection de Waitress à Sundance puis à Deauville ?
J’étais très surprise. Vous savez, c’est un petit film indépendant et dont le tournage fut très court, dans une petite ville aux alentours de Los Angeles, … Nous l’avons tourné en seulement 3 semaines. C’est très court et, du coup, ça rend les choses « furieuses », brûlantes, … épuisantes aussi. Jamais nous n’aurions eu le temps de nous arrêter et de dire « Où seront-nous dans un an ? », sans même avoir vu le résultat ! Donc, c’est vraiment extraordinaire.

Pourquoi, alors, accepter un projet si incertain ?
J’adorais tout simplement le scénario. Pour toutes ces raisons : un ton léger, des personnages forts. Et j’aimais également beaucoup le fait que, pour une fois, on découvrait une « vraie » femme enceinte - effrayée, déconcertée – et pas une énième image d’Epinal avec une future mère euphorique et épanouie. Ça existe bien sûr, et la grossesse n’est pas une complète torture, mais ce n’est pas non plus une promenade de santé physiquement ou émotionnellement. C’est réellement une tornade de sentiments contradictoires et j’appréciais le message positif du film qui est : « Ne vous inquiétez pas. Tous les doutes que vous ressentez ne feront pas de vous une mauvaise mère, au contraire. »
Et puis, dans un autre registre, j’aimais beaucoup l’omniprésence de l’adultère. Ça m’amusait, à la lecture du scénario – et je suis sûre que le spectateur pensera comme moi – de voir tous ces personnages infidèles sans jamais parvenir à les juger, tout simplement parce qu’ils essaient – à leur façon – d’être heureux.

Jenna sera d’ailleurs bien plus heureuse sans homme au final…
C’est vrai ! Elle ne trouve sa voie qu’à la fin du film, à la naissance de son bébé. Tout devient enfin clair… Aujourd’hui, personne ne peut se déclarer fondamentalement heureux : on a tous, à un moment ou un autre de notre vie, l’impression d’être coincé, bloqué dans une situation qui nous dépasse et en ce sens, Waitress est une forme de « thérapie ». Voir ces êtres pleins d’espoir, se battre pour sortir de l’impasse, je trouve ça beau.

Vous avez des enfants ?
Un fils de 3 ans.

Dans le film, Jenna est complètement flippée à l’idée d’avoir un enfant et de l’éduquer alors qu’elle-même ne parvient pas à assumer sa vie d’adulte. C’est quelque chose que vous avez connu ?
Bien entendu. Avoir son premier enfant, c’est terrifiant. Vous ne savez pas quoi faire, tout est si incertain. Tout ce que vous savez c’est que votre vie va changer du tout au tout.

Les personnages étaient-ils déjà si clairement établis à votre arrivée sur le projet ?
Oui. Adrienne avait une idée très claire de ce qu’elle désirait. Elle-même venait d’une toute petite ville et toutes ces amusantes petites répliques ironiques que mon personnage dit dans le film venaient d’elle. On me demande sans arrêt si j’ai improvisé pendant le tournage (notamment parce que c’est ce que je fais dans Curb Your Enthusiasm puisqu’il n’y a pas de script), mais là, tout était écrit.

Comment vivez-vous le fait d’être ici sans Adrienne Shelly ?
Ca me brise le cœur. Elle serait si heureuse d’être présente pour défendre son film. Etre ici sans elle, c’est bien entendu la partie la plus « difficile » de cette aventure. Demain je vais revoir le film – je ne l’ai pas revu depuis un certain temps – et j’appréhende ce moment… la revoir sur grand écran. Ça me brise le cœur. Mais c’est « normal » de l’évoquer.

C’est un film très typique, très « regional », comment pensez-vous, ou aimeriez que le public français réagisse ?
Adrienne a situé cette histoire dans une petite ville anonyme, et même si le film est très typique – les dinners, les pies – les thèmes abordés et les personnages sont plus qu’universels. Grandir dans un bled paumé, subir sa famille ou un mauvais mariage, etc. On peut tous se reconnaître ! Je crois d’ailleurs qu’il est très intéressant que des non-américains voient ce film et arrivent à s’y reconnaître…

Propos recueillis par Eléonore Guerra (Deauville, Septembre 2007)