"Cannes, Berlin, Venise, personne n’en voulait" : Jean-Baptiste Durand revient sur le fabuleux destin de Chien de la casse

"Cannes, Berlin, Venise, personne n’en voulait" : Jean-Baptiste Durand revient sur le fabuleux destin de Chien de la casse

Malgré le succès critique et public de "Chien de la casse", son auteur et réalisateur Jean-Baptiste a encore du mal à y croire. Revenu au Festival d'Angers, là où tout a commencé pour un des meilleurs films de 2023, il nous raconte les débuts difficiles du film, son travail avec Raphaël Quenard, son nouveau projet et comment va Malabar...

Chien de la casse, succès de 2023

Jean-Baptiste Durand, c'est une histoire de pronostics déjoués. Avec sa voix douce et posée, sa timidité naturelle, on n'imagine pas forcément que c'est d'abord à la peinture et au dessin qu'il s'est exercé aux Beaux-Arts de Montpellier, avant de se lancer dans le cinéma. Technicien, puis réalisateur de clips et documentaires, acteur aussi, il passe à la réalisation de court-métrage qui sont remarqués en festivals.

Et puis arrive Chien de la casse. Un premier long-métrage pour lequel il s'est battu et a encaissé pas mal de refus avant que le Festival Premiers Plans d'Angers ne le sélectionne en 2023. À partir de là, c'est une histoire aux allures de conte de fées qui débute.

Chien de la casse
Chien de la casse ©BAC Films

Plébiscité par le public et primé à ce festival qui promeut les premiers courts-métrages et longs-métrages européens, cette magnifique histoire d'amitié et de vulnérabilité masculine qui offre son premier rôle principal à l'étourdissant Raphaël Quenard passe par d'autres festivals, La Ciotat et Cabourg, où il est encore primé. Aujourd'hui, il cumule sept nominations aux César 2024 : Meilleur film, Meilleur premier film, Meilleur acteur, Meilleur acteur dans un second rôle et Meilleure actrice dans un second rôle, Meilleur scénario original et Meilleure musique originale. Vertigineux, pour un film dont personne ne voulait à l'origine.

Revenu au Festival d'Angers 2024, où il parraine la lecture de scénarios courts-métrages, on a rencontré Jean-Baptiste Durand, juste avant l'annonce des nominations des César, qui n'a pas encore complètement réalisé qu'il avait réalisé un des plus beaux films français de l'année 2023.

Rencontre

Quel sentiment avez-vous aujourd'hui, à Angers, là où tout a commencé pour Chien de la casse ?

Jean-Baptiste Durand : Ce festival m’a sauvé. Personne ne voulait de nous avant, c’est le premier festival qui l’a pris. En plus ici on a eu le Prix du public. C’est un super festival. Beaucoup de gens l’ont vu ici, c’était fou, parce que j'ai fait un film pour les gens. C’était beaucoup d’émotion, et Anthony Bajon et Galatéa Bellugi étaient là aussi, c’était une petite bulle de grâce.

Cette année je parraine et je coache les lectures de court-métrages. On m’a proposé de revenir et j’ai accepté direct. Il y a les ateliers d’Angers, les lectures, et j’étais d'ailleurs venu y lire le scénario de Chien de la casse. Ils accompagnent du court au long, c’est un festival qui permet l’émergence et il y a aussi des cinéastes confirmés qui viennent, qui sont parrains.

Difficile d'imaginer aujourd'hui que le film a eu du mal à être considéré...

Jean-Baptiste Durand : Je n’avais aucune attente. J’ai passé un an à me prendre des vents. Cannes, Berlin, Venise, personne n’en voulait. On m’a dit que si je n’avais pas un de ces gros festivals, la carrière du film était déjà condamnée. On me l’a dit. Pour moi, j’allais faire une petite sortie, cinq semaines en salles avec de la chance, et 25 000 entrées auraient été un miracle.

Alors à partir de la sortie, tout n’a été que miracle, bonus, et je suis très content. Moi, j’avais surtout conscience des défauts de mon film. Le film ressemble à ce que j’avais en tête, mais j’ai été surpris par le succès. Je n’ai jamais été la star, mes courts-métrages n’ont jamais été des gros succès, c’est la première fois qu’il y a une relative unanimité et une reconnaissance.

Il va y avoir dans quelques jours l'annonce des nominations aux César 2024. Vous y croyez ?

Jean-Baptiste Durand : Pour Raphaël, sans doute, pour moi j’y crois un peu moins. J’essaye de rester à ma modeste place de filmeur. Et je pense à des films comme Le Ravissement, qui sont vraiment des « masterpieces ». On verra. Si je suis nommé, déjà, je serai content. Mais je me considère comme un outsider, je ne me dis pas que je pars vainqueur. Il y a beaucoup de paramètres, et je découvre tout ça !

Vous parlez de défauts de Chien de la casse. Vous avez des exemples ?

Jean-Baptiste Durand : Il y en a plein, mais c’est entre moi et moi. On a eu très peu de temps pour le faire. Il y a des défauts liés au fait que je n’ai pas pu faire mieux, dans le temps qu’on avait. Après, ce sont des détails qu’on ne voit pas forcément. Je suis quelqu’un d’intuitif, mais tout de même assez rigoureux avec la préparation de toute une grammaire. Sur le tournage j’ai besoin de cette boussole pour peaufiner le point de vue, et je suis parfois trop resté accroché à la théorie que j’avais mise en place.

Chien de la casse
Chien de la casse ©BAC Films

Et souvent mon intuition est plus juste. Sur des plans frontaux par exemple, je voulais à l'origine de la théâtralité, mais ça ne marchait pas. Je les ai quand même tournés comme ça, alors que j’aurais dû être encore plus instinctif. Après, il y aussi l’équilibre sur la direction de production, où j’aurais dû lâcher un truc, avoir plus de temps pour telle ou telle scène par exemple.

La scène dans la voiture à la fin, où ils se disputent, on l’a tournée en vingt minutes. Alors que c’est une des scènes les plus importantes du film. Mais il n’y avait plus de temps, plus de soleil. J’aurais dû parfois mieux anticiper le montage, accorder moins de temps à une scène à la con, des choses comme ça. Au final, la scène est bien. Mais je sais, vu que j’étais sur le tournage, qu’on l’aurait montée différemment si on avait eu une heure de plus.

Ça ne transparaît cependant pas dans le résultat.

Jean-Baptiste Durand : Ça ne se voit pas à l’écran, mais je connais le potentiel de mes copains, si on avait eu trois heures, ça n’aurait rien à voir et ce serait encore mieux. Il y aussi certains plans d’établissement, des plans un peu plus oniriques sur lesquels j’aurais aimé avoir plus d’air. Ce sont des choses qu’on n’écrit pas forcément dans le scénario. Il y aurait peut-être une grâce supplémentaire au film si j’avais eu plus d’expérience sur ces sujets-là.

Le film et l'acteur, Chien de la casse et Raphaël Quenard, s'accordent d'une manière époustouflante. On le perçoit notamment dans cette formidable scène de dîner.

Jean-Baptiste Durand : C’était notre premier jour de tournage. Cette scène, comme tout le film, est très écrite. Vous l’avez vu avant que Raphaël Quenard ne fasse la une des médias, sans forcément connaître sa personnalité, et il y a effectivement des choses de sa personnalité qui collent au rôle. Mais beaucoup de gens ont pu ensuite penser que c’était peut-être lui qui avait écrit son rôle et ses dialogues.

C’est à 80% écrit au mot près, et ensuite le montage vient effacer les frontières entre l’écrit et l’improvisation. Par exemple, « cacochyme », c’est lui qui l’a sorti au milieu de la phrase, et on pourrait croire qu’il était écrit, alors que non.

Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse
Mirales (Raphaël Quenard) - Chien de la casse ©BAC Films

En réalité, il y a eu une rencontre miraculeuse entre nos deux personnalités, où Raphaël ressemblait, dans son amour des mots et de la phrase étonnante, au personnage que j’avais écrit. Mais il a fait un vrai travail d’acteur sur ce qui était écrit. Bien sûr, à des endroits, je voyais son génie de l’improvisation. Alors je lui demandais de se libérer un peu du texte, et j’ai ensuite équilibré au montage.

C'est ce qui s'est passé pour cette scène du dîner, centrale dans le récit ?

Jean-Baptiste Durand : La scène du dîner était majeure dès l’écriture, avec ce point de bascule. Il y a eu un peu d'impro au tout début de cette scène, où Mirales est d’abord très lumineux, quand il offre le cadeau. Puis il fallait faire passer ce personnage lumineux dans une bascule parce qu'il est blessé.

Je disais souvent à Raphaël pendant le tournage : « tu dois débuter tes scènes avec l’envie de bien faire, de déclamer ton amour, de dire à ton pote que t’as compris que t’avais déconné, et au moment de faire la paix, de dire des choses belles, tu trébuches et c’est encore pire. »

Cette bascule, c’est qu’il se dit : « Dog a une meuf stylée, elle a du caractère et elle va m’en priver, je vais lui faire mal. » C’est un peu comme Vincent Cassel dans le film de Xavier Dolan (Juste la fin du monde, ndlr), où il se déteste encore plus et il est encore pire. Il y avait ce truc, plus il s’enfonce dans la colère plus il est en colère contre lui-même. Et après il ne peut plus faire marche arrière.

Comment va Malabar ?

Malabar va très bien ! Je l’ai vu il y a une semaine. Il vieillit, il a 9 ans maintenant, il habite Place des Fêtes. Il a une belle gueule, mais il était compliqué sur le tournage. Heureusement on a une super monteuse, mais il arrivait à faire les choses compliquées qu’on lui demandait, alors que rester assis, marcher à côté du comédien, c’était l’enfer. Raphaël avait un jouet dans la poche qui faisait "couic-couic", c’était plein de petits trucages comme ça pour y parvenir. Il est beau Malabar, dès que la caméra est sur lui il a ce regard qui transperce. Mais c’est compliqué les chiens !

Est-ce que vous avez un nouveau projet en cours ?

J’écris mon second film, qui s’appelle pour l’instant L’homme qui a peur des femmes, c’est un peu 40 ans, toujours puceau dans l’univers d’un petit village. Pour le cadre je pense aller vers les Terres Rouges (au nord de Marseille, ndlr), pour affiner plus encore une idée de western. Il y a des paysages vers chez moi qui donnent immédiatement cette sensation-là.

Ça va être un film un peu plus ample que Chien de la casse, mais qui restera dans cet univers de petits villages, avec des quarantenaires, le rapport hommes - femmes, un mariage, et qui explorera de manière plus large la vulnérabilité masculine. Disons que ça pourrait être Dog 10 ans plus tard !