Christophe Honoré (Le Lycéen) : "La mort, c'est aussi aimer quelqu'un qui ne peut plus nous aimer"

Christophe Honoré (Le Lycéen) : "La mort, c'est aussi aimer quelqu'un qui ne peut plus nous aimer"

Pour son nouveau film "Le Lycéen", Christophe Honoré a choisi de raconter un bout de sa vie, un moment chaotique qu'il a confié à Paul Kircher, premier rôle de son film. Une histoire de mort, d'amour et de passage à l'âge adulte, sur laquelle on lui a posé quelques questions.

Quand Christophe Honoré raconte un chaos intime

Avec Le Lycéen, Christophe Honoré part d'une matière autobiographique - la mort de son père alors qu'il n'était qu'adolescent -, pour raconter un chaos. L'intensité ressentie lors d'une perte d'un être aimé, la solitude qui en découle, mais aussi l'amour qui se présente comme issue, comme la solution pour comprendre ce monde nouveau. Un film riche de plusieurs thèmes et servi par un casting parfait qui affiche dans les rôles principaux Paul Kircher, Vincent Lacoste et Juliette Binoche.

Le Lycéen
Le Lycéen ©Memento Distribution

Rencontre

Comment aborder votre nouveau film Le Lycéen ? Depuis le thème du deuil ?

Christophe Honoré : Je suis toujours très embêté avec ce terme de deuil. Je ne peux pas le faire, ou alors j'ai toujours l'impression de le faire. C'est comme la résilience, ce sont des mots avec lesquels j'ai du mal... Je reconnais que ça peut avoir quelque chose de complaisant. C'est une question d'intensité, quand la mort survient dans la vie, ce qu'il se passe quand on perd quelqu'un. Et ça correspond sans doute bien à cette période de l'adolescence, où il y a un romantisme, quelque chose de poétique.

La perte, l'absence, le caractère insensé et injuste, inexplicable. Quelqu'un était là et il n'y est plus. C'est ce chaos qui m'intéressait, et comment en rendre compte. Comment dans la vie familière, tout devient mystérieux, inconnu, parce qu'on vous a annoncé une mort, et que quelqu'un manque.

Lors de cette métamorphose du réel, qu'on a tous vécue, tout paraît comme avant mais on ne le comprend plus. Alors on essaye d'y donner du sens. Mais malgré toute la bienveillance des gens qui nous entourent, c'est une expérience de très haute solitude, qu'on ne peut pas partager. C'est ce qui m'intéressait dans Le Lycéen, je voulais qu'il porte la trace de ce chaos-là.

Un chaos qu'on retrouve aussi dans la narration et le montage du film.

Oui, je voulais que Le Lycéen soit un film qui n'ordonne pas le récit. Comme pour le personnage qui ne sait pas, déjà, comment il va s'en sortir, que le film lui-même ne sache pas comment se sortir de cette annonce.

Il y a aussi d'autres thèmes, celui de la renaissance du personnage notamment. Comment lui donner de l'énergie, comment exprimer la tentation du renoncement. Comment réussir à, aussi, ne jamais oublier la tendresse. Une tendresse familiale qui, dans ces moments qui suivent un deuil, prend une grande sensualité. On se prend dans les bras, parfois avec des gens avec qui on ne l'avait jamais fait. Je voulais aussi voir comment cette tendresse émerge.

Il y a un double événement dans Le Lycéen, la mort qui survient et la naissance du sentiment amoureux. Quel rapport y a-t-il entre ces deux expériences ?

Il y a l'acceptation de la mort par l'initiation amoureuse. Un coup de foudre qui va faire réaliser au personnage qu'il ne suffit pas d'être amoureux pour être aimé en retour. C'est une révélation banale, mais qui est pour Lucas une explication de la mort. La mort, c'est aussi aimer quelqu'un qui ne peut plus nous aimer. Et comprendre que, néanmoins, on peut admettre cette absence de réciprocité sans que ça interdise d'aimer.

Paul Kircher est formidable dans le rôle de Lucas. Comment l'avez-vous trouvé ?

On a vu en tout 308 candidats. Le casting a débuté avant d'avoir terminé le scénario. J'avais donc des journées doubles, j'écrivais le matin et j'assistais à des essais l'après-midi. J'ai gardé une dizaine de personnes à la fin, et je me suis décidé pour Paul. Mais il n'est pas arrivé dans le bureau et je me suis dit "c'est lui". C'est au fur et à mesure que ça s'est fait.

Il y a quand même eu très tôt une complicité entre nous, on pouvait se parler, parce qu'il avait la volonté d'être au plus près de ce que je disais. La difficulté de travailler avec des jeunes actrices ou acteurs est qu'ils sont souvent perdus, ils projettent une certaine attente de votre part, et ils y répondent soit de manière scolaire soit de manière trop investie. Paul lui était très libre, je sentais que ça l'amusait, qu'il aimait bien ces rendez-vous.

Lucas (paul Kircher) - Le Lycéen
Lucas (paul Kircher) - Le Lycéen ©Memento Distribution

Puis, pendant peut-être quatre cinq mois, entre le moment où je lui ai dit que ce serait lui et le début du tournage, on ne s'est pas vus, et quelque chose avait changé. Il s'est chargé pendant ces quelques mois, et il a notamment appris le scénario par coeur, ce que je lui avais conseillé. Comme ça, pas besoin de connaître le plan de travail, d'annoncer les scènes à savoir. Là, je me suis aperçu que j'avais affaire à un très grand comédien.

J'ai eu la chance, et c'est un privilège pour un cinéaste, de filmer Louis Garrel pour "Ma mère", Léa Seydoux pour "La belle personne". On sait, on se rend compte qu'il y a des jeunes comédiens qu'on rencontre et pour qui on n'est qu'une étape de leur carrière. Ils sont déjà dans la suite, dans les films qu'ils vont faire.

Paul était à l'aise, partout et tout le temps. C'est plus que du simple ordre de la révélation d'une nature, c'est la révélation d'un très grand comédien. En réalité, je ne sais pas s'il continuera à être acteur, s'il ne va pas trouver autre chose qui l'intéresse. Mais c'était très agréable sur ce tournage de sentir que ce qu'il vivait était la chose la plus précieuse de sa vie, à ce moment-là.

C'est votre troisième film avec Vincent Lacoste. Dans Le Lycéen, il a un rôle principal mais est comme en retrait de l'émotion, pourquoi ?

Vincent Lacoste s'impose (rires). Son personnage a déjà quitté la famille. Il a déjà fait cet abandon, et il s'en sent un peu coupable. Quand vous quittez votre famille, que vous montez à Paris pour devenir artiste, il y a comme une double trahison, trahir les siens et son milieu d'origine. Quand il revient, on sent donc qu'il ne veut pas refaire ce qui lui a été difficile : partir. C'est pour ça qu'il prévient dès son arrivée qu'il ne va pas rester. Il y a ce côté : "il ne faut pas compter sur moi", ce qui lui confère une certaine froideur.

Quentin (Vincent Lacoste) - Le Lycéen
Quentin (Vincent Lacoste) - Le Lycéen ©Memento Distribution

C'était ce qui m'intéressait pour Vincent, parce qu'en général on s'appuie plutôt sur sa bonté. Je voulais l'amener vers un personnage plus dur, tout en montrant toute son humanité. En réalité, il est dans une détresse, comme sa mère et son frère le sont, mais il s'interdit de ressentir son chagrin. Ça donne une complexité, ce sont des sentiments plus difficiles à jouer, avec une tension paradoxale. On se connaît très bien maintenant, donc c'est comme des petits défis que je lui donne (rires).

On l'a connu tellement jeune que c'est difficile de penser qu'il l'est encore. Quand je me moque de lui je l'appelle Jean Gabin. Parce que sur un plateau de tournage, il connaît tout le monde. Je pense vraiment qu'il a déjà travaillé avec tout le cinéma français, et ça lui donne une assurance assez drôle à observer sur un plateau.