Convention collective/cinéma : cinéastes et acteurs écrivent à François Hollande

Une centaine de cinéastes et d'acteurs parmi lesquels Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Tonie Marshall ou Jacques Audiard en appellent à François Hollande afin que soit suspendue l'entrée en vigueur ce mardi de la nouvelle convention collective contestée du secteur.
Dans une lettre adressée dimanche au chef de l'Etat et rendue publique lundi, ils lui demandent "d'attendre que le Conseil d'Etat rende son jugement sur le fond et de faire suspendre dans l'attente l'arrêté d'extension de cette convention".

Le 6 septembre, le Conseil d'Etat, saisi en urgence, avait suspendu en partie l'exécution du texte concernant les films de moins de 2,5 millions d'euros de budget mais l'avait validée pour les autres.

Les opposants à cette nouvelle convention, les principales organisations de producteurs indépendants, ont aussi saisi la haute jurifiction sur le fond. Le jugement ne devrait pas être rendu avant six voire douze mois.

Le 7 septembre, les ministres du Travail et de la Culture avaient lancé un appel aux partenaires sociaux pour qu'ils "poursuivent la négociation" afin de conclure un accord avant le 1er octobre concernant les films plus fragiles économiquement.

Les partenaires sociaux étaient toujours en négociation lundi, sans pour l'instant qu'un accord soit annoncé.

Si toute la profession est d'accord sur la nécessité d'une nouvelle convention collective, les partenaires sociaux sont divisés.

Les producteurs indépendants, qui représentent 95% des films produits en France, et la CFDT, refusent le texte signé par la CGT, le SNTPCT et l'API, qui regroupe les "grands" groupes de cinéma (UGC, Pathé, Gaumont, MK2...).

Les opposants au texte ont contesté devant la haute juridiction la représentativité de l'API. Début septembre, le juge des référés relevait à ce sujet qu'il "existait un doute sérieux" sur la légalité de l'arrêté tenant à la condition de représentativité exigée.

Pour les signataires de la lettre au président de la République, "le cinéma français mérite mieux (qu'une) mauvaise négociation".

Ils dénoncent une convention qui "sous certains aspects produit de vraies avancées sociales pour les salariés mais qui nie la spécificité artistique du secteur et la souplesse nécessaire à la création des films".

"Votre choix nous engage tous, monsieur le Président. Car en fonction de lui, l'équilibre historique entre la part artistique et la part industrielle de notre cinéma pourrait à jamais être bouleversé", concluent les signataires.

(30 Septembre 2013 - AFP)

La Lettre en intégralité

"Monsieur le Président de la République,

Le 6 septembre, le Conseil d’Etat, saisi en urgence sur le dossier de la convention collective cinéma, a suspendu temporairement l’application de cette convention – fixée au 1er octobre - pour les films à moins de 2,5 Millions d’euros et a prononcé un premier avis défavorable sur le fond, concernant la représentativité du seul syndicat d’employeurs signataire. Le juge des référés du Conseil d’Etat relève que « la convention en litige n’a été signée que par une seule organisation d’employeurs (l’API), regroupant quatre sociétés de production (Gaumont, Pathé, UGC, MK2) qui n’ont assuré la production que d’environ 1% au total des films d’initiative française et ne représentent ainsi que 5% environ des salariés dans le secteur de la production des films. »

Le jugement sur le fond devrait être rendu par le Conseil d’Etat d’ici six à douze mois.
Si ce jugement final venait confirmer la non-représentativité de l’API, c’est la convention collective dans son ensemble qui serait remise en cause, obligeant tout le monde à retourner autour de la table des négociations, et retardant d’autant l’indispensable mise en place d’une convention collective acceptable par tous.

Nous sommes réalisateurs de long-métrage. Nous pensons qu’une convention collective est absolument nécessaire pour encadrer les métiers de ceux qui font les films et reconnaître enfin leur travail à leur juste valeur.

Mais nous savons aussi que cette convention est née sous de mauvais auspices :
Pensée et signée, d’un côté, par un syndicat d’employeurs (l’API) dont la première activité n'est plus la production mais l’exploitation des films en salles et pour qui le cinéma est devenu avant tout un commerce et, de l’autre, par un syndicat de techniciens (le SNTPCT) qui considère que le cinéma est un secteur comme un autre et qu’un « film qui n’est pas suffisamment financé par le marché ne devrait pas exister ».
Aucun d’eux ne mesurant, semble-t-il, la rupture que cela implique avec le principe même de l'exception culturelle.

Cette alliance entre un syndicat conservateur (rejoint ensuite par d’autres) et les quatre grands groupes d’exploitation a abouti à une convention maximaliste, profondément inadaptée à la majeure partie de notre cinématographie. Une convention qui, sous certains aspects, produit de vraies avancées sociales pour les salariés, mais qui nie la spécificité artistique du secteur et la souplesse nécessaire à la création des films, et les enferme tous dans des obligations salariales très rarement pratiquées jusqu’à lors : interdiction des forfaits hebdomadaires, même pour les hauts salaires (au-dessus de 2.000 € par semaine), comptage individuel des heures et majorations très importantes pour les heures de préparation en tournage, les heures de nuit et les heures supplémentaires.

Nous pensons que l’addition de ces contraintes, particulièrement en période de tournage, va être néfaste à la qualité de nos films. Mais ces majorations vont aussi produire un surcoût considérable (de l’ordre de 10% à 20% des budgets) au point qu’un grand nombre de films d’auteur ne devrait pas s’en remettre.

Nous parlons ici de films à petit ou moyen budget, dont le marché, en particulier télévisuel, ne veut que du bout des lèvres mais qui font le rayonnement du cinéma français à l’étranger et dans les grands festivals internationaux. Nous parlons aussi de films à très petits budgets, souvent des premiers et deuxièmes films, qui sont le garant de l’émergence de nouveaux talents.

Or, s’il nous semble nécessaire et urgent d’instituer de nouvelles règles pour revaloriser le travail des techniciens, nous ne pouvons pas accepter l’idée que des films disparaissent et de nombreux emplois avec eux, juste parce que ces films ne peuvent pas assimiler le surcoût de majorations exorbitantes. Le cinéma français mérite mieux que cette mauvaise négociation.

A plusieurs reprises cet été, la Ministre de la Culture a promis publiquement que de "nombreuses améliorations" seraient apportées à la convention avant son extension, "pour préserver les films de la diversité". Aujourd’hui, force nous est de constater que ces promesses n’ont pas été tenues.

Aussi, parce que nous considérons que le cinéma d’auteur français est mis en danger par cette convention collective, nous vous demandons solennellement, Monsieur le Président, d’opter pour la voie de la sagesse : d’attendre que le Conseil d’Etat souverain rende son jugement sur le fond et de faire suspendre, dans l’attente, l’arrêté d’extension de cette convention.

Dans l’intervalle, il est essentiel que de véritables négociations reprennent avec l’intégralité des syndicats représentatifs, et que soit rédigée une bonne convention collective, c'est-à-dire une convention collective équilibrée qui prenne en compte les spécificités de notre activité. Pour cela, il est indispensable qu’elle soit signée par tous ceux qui font du cinéma français l’une des cinématographies les plus riches, les plus variées et les plus reconnues dans le monde.

Votre choix nous engage tous, Monsieur le Président.
Car, en fonction de lui, l’équilibre historique entre la part artistique et la part industrielle de notre cinéma pourrait être à jamais bouleversé."

Siegrid Alnoy, Yves Angelo, Solveig Anspach, Mathieu Amalric, Yvan Attal, Jacques Audiard, Xavier Beauvois, Lucas Belvaux, Mehdi Ben Attia, Olivier Babinet, Djamel Bensalah, Claude Berne, Diane Bertrand, Julie Bertuccelli, Serge Bozon, Guillaume Brac, Jacques Bral, Patrick Braoudé, Catherine Breillat, Stéphane Brizé, Guillaume Canet, Laurent Cantet, Marilyne Canto, Catherine Castel, Laurent Chevallier, Malik Chibane, Hélier Cisterne, Jean-Paul Civeyrac, Samuel Collardey, Catherine Corsini, Dominique Crèvecoeur, Emmanuelle Cuau, Isabelle Czajka, Jean-Pierre Darroussin, Stéphane Demoustier, Dante Desarthe, Arnaud Desplechin, Antoine Desrosières, Rachid Djaidani, Lola Doillon, François Dupeyron, Bruno Dumont, Philippe Faucon, Léa Fazer, Léa Fehner, Pascale Ferran, Laurence Ferreira Barbosa, René Féret, Hélène Fillières, Emmanuel Finkiel, Marc Fitoussi, Tony Gatlif, Denis Gheerbrant, Thomas Gilou, Delphine Gleize, Fabienne Godet, Yann Gonzales, Robert Guédiguian, Eugène Green, Mia Hansen-Love, Mikhaël Hers, Anh Hung Tran, Christophe Honoré, Raphaël Jacoulot, Agnès Jaoui, Sam Karmann, Abdellatif Kechiche, Liliane de Kermadec, Cédric Klapisch, Héléna Klotz, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, Gérard Krawczyk, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Eric Lartigau, Michel Leclerc, Louis-Do de Lencquesaing, Anne Le Ny, Serge le Péron, Sophie Letourneur, Katia Lewkowicz, Sébastien Lifshitz, Jean-Pierre Limosin, Philippe Lioret, Julie Lopes Curval, Fred Louf, Mahamat-Saleh Haroun, Jean Marboeuf, Gilles Marchand, Tonie Marshall, Agnès Merlet, Nadir Moknèche, Xabi Molia, Dominik Moll, Gérard Mordillat, Emmanuel Mouret, Anna Novion, Claude Nuridsany, Michel Ocelot, François Ozon, Arnaud des Pallières, Nicolas Philibert, Thierry de Peretti, Laurent Perreau, Pierre Pinaud, Martin Provost, Katell Quillévéré, Alain Raoust, Magaly Richard-Serrano, Bruno Rolland, Axelle Ropert, Brigitte Rouan, Jacques Rozier, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori, Julien Samani, Céline Sciamma, Julien Seri, Coline Serreau, Charlotte Silvera, Claire Simon, Juan Solanas, Jean-François Stévenin, Brigitte Sy, Carine Tardieu, Pascal Thomas, Christopher Thompson, Danièle Thompson, Justine Triet, Cyprien Vial, Virgil Vernier, Marion Vernoux, Elie Wajeman, Alice Winocour, Xiaoling Zhu, Rebecca Zlotowski, Erick Zonca …