Couleurs de l'incendie : rencontre avec Léa Drucker, Benoît Poelvoorde et Clovis Cornillac

Couleurs de l'incendie : rencontre avec Léa Drucker, Benoît Poelvoorde et Clovis Cornillac

Pour la sortie de "Couleurs de l'incendie", nous avons rencontré le réalisateur et comédien Clovis Cornillac, ainsi que les acteurs Léa Drucker et Benoît Poelvoorde. Un échange au cours duquel ils ont évoqué leur plaisir à tourner dans une production aussi ambitieuse, leur joie de se retrouver et l'aspect jubilatoire de la vengeance au cinéma.

Couleurs de l'incendie : après Au revoir là-haut...

Adaptation du roman éponyme de Pierre Lemaitre, qui signe le scénario, Couleurs de l'incendie marque le retour au cinéma de Madeleine Péricourt, incarnée par Émilie Dequenne dans Au revoir là-haut. Léa Drucker prête ici ses traits à cette héroïne délestée de sa fortune à la mort de son père Marcel par le banquier véreux Gustave Joubert (Benoît Poelvoorde) et son oncle Charles Péricourt (Olivier Gourmet). Quelques années plus tard, elle décide de se venger avec l'aide son ancien chauffeur Dupré (Clovis Cornillac), tandis que le parti nazi s'est imposé en Allemagne et menace l'Europe.

Couleurs de l'incendie
Couleurs de l'incendie ©Gaumont

Pour la sortie le 9 novembre 2022 de ce long-métrage ambitieux qui assume totalement son statut de divertissement populaire (découvrez notre critique ici), nous avons rencontré le réalisateur et comédien Clovis Cornillac, ainsi que les acteurs Léa Drucker et Benoît Poelvoorde. Avec beaucoup d'humour et de passion, le trio a évoqué le plaisir de participer à cette production dotée d'une reconstitution impressionnante, mais aussi la richesse du travail de Pierre Lemaitre.

Rencontre avec Léa Drucker, Benoît Poelvoorde et Clovis Cornillac

Clovis, qu'est-ce qui vous a convaincu de faire appel à Léa et Benoît ?

Clovis Cornillac : C'était un désir ! La question était d'avoir des acteurs que j'estime très talentueux, qui correspondent à une vision que je peux avoir sur le film, en espérant qu'ils disent "oui". J'ai commencé par le personnage de Léa, Madeleine, parce qu'évidemment, il est plus que central. On raconte vraiment l'histoire de cette femme. Mais dans l'écriture de Lemaitre, tous les personnages - et c'est là où c'est assez fort ! - qui gravitent autour ont une histoire, une vraie trajectoire. Ce qui est extrêmement agréable aussi au cinéma, c'est quand les trajectoires des personnages ne servent pas simplement à être utiles mais qu'elles nous racontent quelque chose de l'humanité.

Le personnage après Léa qui est socle dans le film, c'est celui de Benoît. Et j'étais absolument ravi d'avoir ces deux interprètes, qu'ils soient chauds pour aller sur l'aventure. C'est très étonnant puisqu'on avait déjà eu l'occasion de travailler ensemble et quand tu apprécies les gens, tu es très heureux de les retrouver. Mais quand tu réalises, tu es très fébrile parce que, tout à coup, quand tu vas leur proposer, tu te dis : "J'espère que ça va leur parler, que ça va leur donner envie". C'est une fébrilité que tu n'as pas du tout quand tu es acteur, où tu te dis : "C'est chouette, on va bosser ensemble".

Et quand les deux m'ont dit "oui", il y avait quelque chose pour moi qui était gagné par rapport à mon projet. Pas que ça allait être bon, mais que mon projet était juste. S'ils ont accepté, c'est qu'ils ont bien vu qu'il y avait quelque chose.

Couleurs de l'incendie
Couleurs de l'incendie ©Gaumont

Léa et Benoît, les personnages de Madeleine et de Gustave vous ont tout de suite parlé justement ?

Léa Drucker : Ah moi, oui ! Ce sont des personnages tellement denses, riches et complexes, qui font un vrai voyage. Ce sont des occasions assez rêvées d'interprétation, c'est assez rare hein ! Honnêtement, je pense que j'ai eu avant le film une certaine peur. Je devais avoir un petit peu peur aussi parce que tu as envie d'être à la hauteur du roman, à la hauteur de la confiance que t'accorde Clovis, à la hauteur des partenaires que j'avais, dont Benoît.

(Benoît Poelvoorde se met à rire)

Léa Drucker : (à l'attention de Benoît Poelvoorde) Non mais c'est vrai ! Ricane ! (Elle reprend en essayant de ne pas rire) Cette appréhension-là, c'est un moteur aussi. C'est vrai que c'est une occasion rêvée pour profiter d'un métier que j'aime beaucoup, et de partager ça avec les autres.

Couleurs de l'incendie
Couleurs de l'incendie ©Gaumont

Benoît Poelvoorde : Et je vais te rendre un hommage Léa ! Parce que je me souviens quand on a commencé, je me suis dit : "Bon sang, je n'aimerais pas être à la place de Léa !" Le film repose sur ses épaules. Il faut qu'elle soit à la fois fragile, et en même temps, elle doit faire des trucs... On ne va pas raconter l'histoire pour ne pas divulgâcher comme on dit... Mais le personnage doit être charismatique. Donc même si le cinéaste décide de te faire confiance, tu dois arriver le matin en te disant, dès le premier jour de tournage, qu'il y a le livre, qu'il y a les attentes...

Parfois c'est beaucoup plus simple d'être au second plan. Tu te dis : "Je suis derrière, moi je m'en tape ! Si jamais..." (Rires) Et j'étais impressionné parce que c'est un petit bout de femme quand même. Et ça m'a impressionné ! Bon, je savais que c'était une déesse...

Quand on parle des attentes et de la lourdeur, il y a la lourdeur des décors. Je me souviens, on tournait dans un château, tu arrives les pièces font huit mètres de haut, tu vois que le décorateur a mis le paquet. Donc tu arrives et tu te dis : "Il ne me reste plus que ma bite et mon couteau". C'est pour ça qu'il y a plein d'acteurs qui se sentent un peu merdeux et qui s'entourent de coachs. Ils se disent : "Là maintenant il y a 50 personnes qui ont travaillé, tout le monde attend... Si je ne suis pas crédible au moment où j'ouvre la bouche, c'est mort !" (Rires) Non mais c'est vrai ! (à Léa Drucker) C'est pour ça que je tenais à te rendre hommage.

Couleurs de l'incendie
Couleurs de l'incendie ©Gaumont

C'est un film qui navigue entre plein de genres. Il y a une dimension historique, il y a de la comédie, il y a de l'espionnage, il y a du drame... Clovis, est-ce qu'il y a une appréhension avant de se lancer sur un tel projet ?

Clovis Cornillac : Il y a une chose qui me protège et je m'en rends compte de plus en plus, c'est que j'ai une forme de naïveté qui est assez proche d'une forme de bêtise, de bêtise sympathique. C'est-à-dire que je n'ai peur de rien. À partir du moment où on me propose et que j'y vais, il n'y a rien qui me fait peur. J'ai une capacité à ne pas subir la pression. On te dit : "Attends, Au revoir là-haut, ça a marché..." Je n'ai aucun problème avec ça, au contraire ! C'est super, les films marchent ! Je les aime ou je ne les aime pas, peu importe. Moi mon film, je suis à fond dedans et je suis hyper heureux de le faire.

Il n'y a qu'un truc qui est désagréable en réalisation, c'est le montage financier. Ça c'est vraiment anxiogène et il ne faut pas perdre toute ton énergie avant le travail effectif. Ce qui compte, c'est de faire le film. Et quand tu vas chercher le pognon, franchement, et sans vous agresser, mais il y a deux endroits où on n'est à mon avis pas légitimes, c'est aller chercher l'argent et la promo. Ce sont deux endroits qui ne sont pas les métiers qu'on a choisis.

Benoît Poelvoorde : Et qui peuvent d'ailleurs nuire à ta concentration.

Clovis Cornillac : Ouais, et où tu te dis : "Je ne suis pas vraiment juste à cet endroit-là". Mais une fois que c'est fait, je n'ai aucune pression. La seule pression, dont on parlait avant, c'est quand tu vas chercher tes acteurs, ou un chef de poste auquel tu tiens beaucoup. J'ai par exemple perdu mon steadicameur à quinze jours du tournage et là j'ai eu peur de ne pas trouver la personne à la hauteur de ce que je demandais. Mais pas d'angoisse sur le projet.

Benoît Poelvoorde : C'est vrai. Et d'ailleurs, c'est très agréable pour les acteurs parce que t'as jamais affaire à un type qui est complètement stressé. Sur le plateau, tu as le premier assistant, le réalisateur et les acteurs, ce sont les trois qui peuvent foutre la merde. Tu peux foutre une ambiance de merde. Si l'autre arrive et est hyper stressé, ça va se répercuter sur tout le monde, jusqu'au mec qui fait les sandwichs. Alors que Clovis, même si tu te dis : "Putain, comment tu vas faire ?", il est cool, il a son horrible petit chien. (Rires)

Couleurs de l'incendie
Dupré (Clovis Cornillac) - Couleurs de l'incendie ©Gaumont

Je pense au plan-séquence de l'introduction, qui présente tous les personnages principaux. C'est compliqué à coordonner une scène comme ça ?

Clovis Cornillac : Tout est compliqué. Le fait que ce soit compliqué, c'est ça qui est passionnant. Il y a un plaisir vis-à-vis de ça. C'est pas le fait de chercher la complication, c'est de te dire : "On va y arriver". Tu vois ce que tu as pensé, posé, écrit sur un papier, tu le fabriques avec des humains qui mettent toute leur énergie à rentrer dans ton univers. On s'en fout que ce soit compliqué. En vrai, à la fin de journée, quand tu vois ton plan, tu te dis : "Wah !" Moi je veux bien être compliqué comme ça. Quand je réalise, je ne dors pas. Je dors deux heures, et jamais je ne m'en plaindrais.

Benoît Poelvoorde : Et tu t'endors bien ?

Clovis Cornillac : Alors, je m'endors d'un coup et je me réveille deux heures après.

Benoît Poelvoorde : Mais c'est lié au film ?

Clovis Cornillac : Ouais ! Et le truc, c'est que sur mon premier long-métrage, j'ai eu peur de devenir insomniaque. Mais je me suis rendu compte que c'était pendant la préparation, et pendant le tournage. Et à partir du montage, je redors mes six heures tranquille.

Benoît Poelvoorde : Et à quel moment tu t'es mis à boire ? (Rires)

Clovis Cornillac : Avec Poelvoorde ! (Rires) Non mais c'est pour dire que la difficulté n'en est pas une. C'est une chance inouïe de faire un film.

Benoît Poelvoorde C'est ça ! On a l'impression de tourner pour lui faire plaisir. Après, il est très très concentré. Et comme moi, je suis très perturbateur, il a toujours un petit mot gentil.

Léa Drucker : En même temps, toi tu dis que tu es perturbateur mais sur les séquences dramatiques, tu es très engagé. Tu es vraiment au service de ton personnage, tu ne plaisantes pas avec ça.

Clovis Cornillac : C'est ça qui est intéressant, c'est qu'on est avec des natures de personnes... Je veux dire, Fanny Ardant n'est pas pareil qu'Alice Isaaz, qui n'est pas pareil que Jérémy Lopez... Mais ce qu'il y a d'intéressant, c'est que tous sont au travail. Je prends un bonheur à regarder ce film, j'ai pas de fausse pudeur avec ça, j'adore ce film. Et Benoît c'est un boucan, il a besoin de ça pour que ça vive. Mais au moment où je dis "Moteur", et je lui ai demandé des choses qui sont des vraies galères à faire, comme à Léa, et il faut arriver à le faire. Quand vous regardez la trajectoire de Benoît, son regard sur Léa, ça me bouleverse. Oui il est méchant, mais on ne naît pas méchant. On le comprend. Il y a deux vengeances dans le film, la sienne et celle de Léa.

Benoît Poelvoorde : Je l'aime vraiment. Moi je l'ai joué comme ça.

Couleurs de l'incendie
Madeleine Péricourt (Léa Drucker) - Couleurs de l'incendie ©Gaumont

Il y a un côté jouissif à jouer la vengeance ou une crapule ?

Léa Drucker : Oui, c'est vrai. Moi ce que j'adore dans les films, c'est surtout quand les personnages subissent, qu'ils sont passifs et qu'ensuite ils se mettent en action.

Benoît Poelvoorde : Absolument.

Léa Drucker : C'est génial à la fois pour l'acteur et pour l'histoire.

Clovis Cornillac : Et pour le spectateur. Moi ce que j'aime dans ce qu'écrit Lemaitre, c'est que ça vient du polar. Cette littérature du polar, elle est toujours sociologique et en même temps, tu tournes les pages, tu dévores. Dans le film, c'est happant. C'est chouette de réunir les gens avec ça, parce que dans ces récits-là, on peut être emporté à n'importe quel âge.