Dans la tête du réal de Mon Fuhrer...

Détendu, serein et visiblement amusé du défilement des journalistes présent ce jour-là, à l’Hotêl Louis II, c’est avec une certaine distraction que Dani Levy nous a reçu. Véritable pince sans rire du cinéma allemand, le réalisateur de I’m « The Father » mais aussi de l’impétueux « Alles Auf Zücker » semble comblé de pouvoir converser et discuter de son nouveau brûlot « Mon Fuhrer », sorti le 12 mars.
Ce qui est sûr, c’est que Dani n’a pas la langue dans sa poche et entend bien affirmer ses idées …

Après Alles auf Zücker, vous revenez au cinéma dans une nouvelle et énième comédie. Est-ce un genre qui vous colle particulièrement à la peau ?
La comédie est une grande source d’inspiration pour moi. Le succès de mon précédent film « Alles auf Zücker » était surprenant et même si nous avons mis beaucoup de temps à le produire, je me suis rappelé combien la comédie et son genre étaient une agréable expérience pour moi. J’ai eu beaucoup de doute et d’hostilités vis-à-vis de ce projet et la présentation des personnages juifs, que beaucoup considérait comme diffamatoire, mais finalement le succès est venu frapper à ma porte de la part du public et des critiques. Un vrai petit miracle avec 6 Lolas à la clé qui ont été vraiment un excellent point de départ pour continuer dans ce style et dans ce ton.
C’est à partir de ce moment-là que j’ai réalisé qu’il y avait vraiment un grand besoin dans notre pays de faire des comédies tragi-comiques, avec un humour beaucoup plus fouillé et plus expérimental que par le passé.
Et c’est dans cette optique que j’ai continué à voguer dans les eaux troubles du genre, à saisir une nouvelle fois ma chance en réalisant une comédie où les thèmes ne se prêtent pas du tout au rire. Les portes étaient ouvertes, j’avais une grande envie de traiter ce sujet avec un regard extérieur et surtout d’être perçu comme un innovateur dans le style.

Dans Mon Fuhrer, vous mettez à nu le personnage d’Adoph Hitler, en le caricaturant, en lui donnant un nouveau visage. À quel moment avez-vous senti que vous teniez « la bonne idée » pour ce scénario. ?
Tout a débuté avec ma découverte du livre de Paul Devrient, véritable professeur d’Adolf Hitler qui a récemment été réédité en Allemagne. Quant j’ai pris connaissance de ce livre, intitulé Mein Schüler, Adolf Hitler » (Adolf Hitler, mon élève), j’ai vraiment réalisé qu’Hitler avait eu, au commencement de sa carrière, un professeur pour répéter les discours.
Et là, je me suis immédiatement demandé pourquoi tout le monde ignorait l’existence de ce professeur et pourquoi cette information n’avait pas été remontée. C’était absurde de ne pas savoir cela et j’ai commencé alors à entrevoir une histoire basé sur ces faits réels.

Le professeur serait Juif, on ne parlerait pas des années 30 mais bien des années 44, là où Hitler était au plus mal après les attentats de Stauffenberg. Au plus mal dans sa vie, dépressif et usé, je savais que le récit devait débuter par ces anecdotes. Je me souviens que cette histoire m’est apparue lorsque j’ai eu cette vision de Goebels qui avait pour mission de trouver un coach. Un éminent entraîneur qui se révélait être juif. Et de là, je suis partie et le scénario était déjà là en moi. Bien sûr, il a fallu que je mette sur papier l’ensemble du récit, mais c’était tellement facile et tellement automatique pour moi que j’ai pris l’histoire comme un échappatoire, une sorte de libération. L’idée avait déjà sommeillé en moi et était fortement ancrée, car j’avais déjà voulu entreprendre une comédie sur les Nazis dans les années 90. Bien sûr, je n’avais pas eu l’opportunité et tous les concepts en main pour la réaliser. Et puis les années sont passées et j’ai eu de nouveau cette idée qui m’a traversé l’esprit pour sortir des sentiers de tous les films sérieux et d’horreurs de la guerre. Il fallait de toute manière faire autre chose avec un humour piquant et une autre intelligence qui vienne titiller le spectateur.

Il y a beaucoup d’humour dans Mon Fuhrer, beaucoup d’ironie et de dérision. Pensez-vous avoir eut assez de recul avec l’histoire pour que le spectateur comprenne votre démarche ?
Je ne peux pas être sur à 100% mais je l’espère en tout cas, car le film n’est pas intellectuel, sans aucune difficulté de compréhension en soi. Il faut juste savoir lire entre les lignes. Mais justement avec l’humour noir, on peut s’attendre à tout de nos jours. Les spectateurs sont soit attentifs et touchés par le style, capable de saisir au plus près les messages, soit réfractaires à cet humour si particulier. L’avenir nous le dira de toute manière, mais il y a toujours une partie du public qui adhère bien au message, au concept et toujours des personnes qui ne saisissent à aucun moment les particularités du film.
Mon but n’était pas de faire un projet accessible et grand public, loin de là. J’attends des gens une véritable réflexion et comprendra bien qui voudra.

Votre film est principalement dédié au personnage d’Hitler, mais vous développez autour de lui, un univers froid, des images de peur, un Joseph Goebbels imperturbable. Le petit coté dramatique rattrape t-il toujours les auteurs sur un sujet aussi délicat ?
Je ne me sentais pas de réaliser une comédie pure et dure. Non seulement je n’étais pas dans la bonne position, mais je ne savais pas comment dessiner avec humour le rôle du professeur juif (Grünbaum) qui est vraiment un personnage dramatique et existentiel.
Je n’ai pas eu assez d’idée franche pour exprimer avec un humour total ce protagoniste si caractéristique de l’époque et j’ai préféré traiter le sujet avec plus de réflexion, nourri par mon état d’esprit et mes propres sentiments.
Comme on peut le remarquer, il y a vraiment une partie de l’histoire qui se trouve être horrifique et vraiment triste. Ce film n’est pas juste une comédie car le drame prend parfois les devants du projet. Mais les deux se marient agréablement ensemble et devrait bien justifier les réactions du public.
En tout état de cause, je me sentais libre de traiter tous les sujets, tout en ne savant pas moi-même où mon scénario allait me mener. Au montage, lorsque l’on a regardé les premières prises de vues, j’étais presque abattu car ce n’était pas du tout ce à quoi j’aspirais. Mais au bout du compte, toute l’histoire s’est trouvée au fil de l’écriture cinématographique.
Le film, très personnel, s’est un peu monté sous l’influence de mes appréciations et de mes sentiments, mais ce dont je peux dire c’est que je n’aurais jamais pu faire une pure comédie. Je ne me sentais pas apte à aller dans l’euphorie et le rire. Pour preuve, la plupart des projections de mon Führer ont été guidés soit par le rire soit par une certaine rigidité.

On note également de nombreuses mises en scène digne d’une vraie pièce de théâtre sur le film et notamment lorsque Helge et Ulrich sont face à face. Cela est-il dû à l’expérience des deux comédiens ou à votre amour pour le théâtre ?
Je pense que c’est la structure du scénario qui a posé les bases de cette théâtralité et non les comédiens qui ont apporté cet aspect. C’était déjà écrit de toute manière comme une véritable scénette de chambre où la composition se prêtait bien au genre, avec la participation des deux comédiens.
Et puis, il faut dire que j’ai été très limité à cause du budget, ce qui explique la redondance des décors et l’unité de lieu du bureau du Hitler. Il y a beaucoup de dialogues et très peu d’action, ce qui peut évidemment expliquer ce rapport au théâtre.
Mais même si c’était déjà défini dans le scénario, il est vrai que Helge et Ulrich sont très connus et appréciés dans ce genre. Ils ont pris un malin plaisir à apprendre toutes les répliques et l’ensemble des dialogues. J’ai essayé de faire un film dans la grande tradition des comédies avec énormément de plans fixes, des décors semblables et il est fort probable que cela vous fasse penser à quelques pièces de théâtre.
Le film est aussi un véritable petit laboratoire où l’on voit évoluer les deux comédiens, tels des rats que l’on regarde en plein expérimentation.

Comment Helge Schneider est-il rentré dans son personnage ? A t-il passé ses journées à lire des livres sur le personnage, recueilli des témoignages, participé à des conférences ?
En Allemagne, nous sommes complètement imprégné de cette époque et l’on a tous grandi avec cette période de l’Histoire. Tous les Allemands ont vu beaucoup de films d ‘époques, donc sur ce point là, nous nagions déjà dans des eaux claires. Pour ainsi dire, on connaît l’Histoire par cœur. Et puis il faut savoir qu’en son temps, les moindres faits et gestes du troisième Reich ont toujours été enregistrés, tournés, que ce soit durant les manifestations ou les discours de ses représentants.
Nous avons d’ailleurs récupéré beaucoup de films d’époque réalisés par Eva Braun en 16 mm, mais également de nombreux cours et long-métrages d’étudiants à Munich sur le sujet. Tous les supports de l’époque sont largement présents en Allemagne, et Helge connaissait déjà bien le sujet et il n’a pas fait beaucoup de recherches.
Helge m’a d’ailleurs dit qu’il se sentait capable de jouer le rôle dans toutes les circonstances et il a parfaitement reproduit le Hitler de l’époque, même si pour moi ce n’était pas une priorité d’avoir une représentation quasi-identique du personnage. Ce qui me semblait primordial c’était davantage de la triple casquette d’Hitler. Une partie de lui-même avec son jeu d’acteur, une partie historique représentative et aussi une partie d’un homme inconnu du grand public.
Un Hitler comme le joue Helge, on ne le voit jamais sauf dans les moments privés et il était important de focaliser le jeu d’acteur sur cet aspect. Les « National Socialist » (les SS) l’ont très souvent montré sous des allures guerrières et j’ai davantage focaliser le scénario sur l’envers du décor de toute cette époque.

Dans le film, vos deux personnages principaux portent tous les deux le nom d’Adolf. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi le professeur Grünbaum a également ce prénom ?
Même si le nom d’Adolf était un nom assez courant en Allemagne à cette époque, j’ai voulu rapprocher et rassembler les deux acteurs, qui sont pourtant loin d’adhérer aux mêmes idées. (rires). J’ai voulu faire des deux acteurs, un seul et même personnage, les regrouper en quelque sorte. Un peu à la manière de deux frères d’une même famille, même si les deux personnages n’ont rien en commun et tout pour les éloigner.
Il y a quelque chose de commun entre eux. Ils sont tous les deux faces à une multitude de problèmes. Hitler est un désastre, une calamité anéantie, il n’arrive plus à se relever et d’une certaine manière Grünbaum est aussi dans la même situation.
Historiquement, comme Juif, il est condamné et c’est la dépendance entre les personnages qui est intéressante.
C’est une idée philosophique à approfondir, mais les deux personnages jouent sur un terrain commun. Comme je l’ai annoncé, j’ai fait les choses instinctivement et il m’a semblé juste et pertinent de mettre les deux individus en parallèle.

J’ai lu que les livre d’Alice Miller et de Paul Devrient vous avait inspiré pour le film. Que retenez-vous de ces romans ?
Paul Devrient a été en soi une bonne inspiration car il était le professeur originel d’Adolph Hitler et ses écrits m’ont permis de voir tout ce qui se tramait entre les deux.
Alice Miler au contraire a été encore plus importante pour mon scénario, car elle m’a donné les bases et l’idée centrale pour mon film. Tous les messages et les thèses que s’emploie à démontrer le film sont pour ainsi dire, tirés de son ouvrage « Au commencement était l’éducation ». À travers ses écrits, elle m’a appris la relation particulière entre parents-enfants, tous les traumatismes dont découle certaines relations. Certains enfants sont réellement maltraités, comme pouvait l’être Adolph Hitler et l’injustice, la pédagogie « noire » qu’insuffle l’auteur m’ont inspirées. Ses thèses sont très importantes pour moi et c’est un bon fil conducteur pour les messages implicites que j’ai voulu faire passer.

Beaucoup de personnes en Allemagne ont eu à l’égard du film de vives réactions. Comprenez-vous que des gens qui n’ont pas vécu la guerre puissent vous critiquer car l’humour ne fait pas bon ménage avec cette période de l’histoire ?
Je suis ouvert à tout et je peux comprendre toutes formes de critique. Là n’est pas le problème. Un thème comme celui-ci provoque, suscite le débat et c’est aussi ça que je recherchais. En aucune manière, je n’ai attendu une quelconque harmonie des spectateurs et une approbation de tout un pays. Tout le monde ne peut pas être d’accord avec mes idées et je ne cherchais pas à ce que les gens viennent dire « Amen » à tous mes projets.
Son style allait évidemment toucher les goûts, les opinions des gens qui ont vécu la guerre ou non et ayant été touché par sujet épineux. C’est quelque chose qui ne me dérange pas, car j’y étais bien préparé et le film est assez sincère pour que l’on puisse débattre et discuter des sujets qui en découlent.
Bien loin d’être intouchable, c’est davantage un débat d’opinions que je recherche et ce caractère est tout aussi important que l’essence même du film.
Vous savez, je suis libre et je ne fais pas un film pour moi-même. Aujourd’hui après le tournage, ce qui m’intéresse aussi c’est de parler avec vous, avec les journalistes pour pouvoir interagir sur les thématiques du film.

Mon Fuhrer a fait l’effet d’une petite bombe sur Internet, notamment grâce à la scène de la moustache. Comment considérez-vous la promotion des films sur Internet ?
Pour ma part, je trouve qu’Internet est un formidable média et je serais vraiment vieux jeu de penser que la toile n’est pas importante de nos jours. Moi-même j’utilise beaucoup Internet et c’est un univers à part entière, complet et incroyablement intéressant.
Mais attention aux dérives ! C’est un outil dangereux, hors de contrôle des populations. C’est la première fois qu’un média et qu’un instrument est dans les mains de tout le monde. On peut réellement publier des films, écrire des livres, donner son opinion et c’est en cela que cet outil change la donne.
Je pense également que le cinéma a besoin d’Internet, car il suscite l’interaction entre les Internautes en dépassant toutes les frontières. Il s’agit d’un forum à ciel ouvert, où la promotion de l’art y prend une place importante. Mais pour tout avouer, je suis un peu dépassé par la surenchère par tous les éléments gravitant autour de ce seul et même outil. Mais le média reste une belle invention que je consulte très régulièrement et qui rassemble pléthore de biens belles choses.

Propos recueillis par Benjamin Cornut (Paris, février 2008)