Du roman au film : Mode d'emploi

Du roman au film : Mode d'emploi

Les écrivains mettent de plus en plus souvent le nez dans l'adaptation de leur oeuvre au cinéma pour en cosigner le scénario, quand ils ne passent pas carrément derrière la caméra, comme bientôt David Foenkinos et Frédéric Beigbeder. L'un présente la version en images de son best-seller, La Délicatesse, co-réalisé avec son frère Stéphane (le 21 décembre); l'autre sa propre transposition cinématographique de son roman L'Amour dure trois ans.

Et dès mercredi, sort sur les écrans Des Vents contraires de Jalil Lespert, adapté du roman éponyme d'Olivier Adam qui en signe ici le scénario.

Avec Emmanuel Carrère, Olivier Adam est l'un des écrivains contemporains les plus adaptés au cinéma (Poids léger; Maman est folle; Je vais bien, ne t'en fais pas; Welcome) et s'il n'est pas passé à ce stade derrière l'objectif, l'écrivain à l'allure de loup de mer a déjà formellement identifié les pièges de l'exercice.

"Mes romans ne sont pas pensés pour devenir du cinéma", explique-t-il à l'AFP. "Ils sont écrits à la première personne, se fondent sur le flux de pensée des narrateurs, leurs sensations... Cette matière subjective est très difficile à retranscrire: quand je décris la mer ou le ciel, ce n'est pas l'image qui m'intéresse, mais la sensation qu'ils produisent. En gros, s'il pleut, je ne cherche pas à ce que le spectateur voit la pluie, mais qu'il se sente mouillé. C'est très difficile au cinéma".

Que les personnages du film ressemblent à ceux du livre lui paraît très secondaire: ce qui compte, c'est "avant tout qu'ils soient les personnages du film et du réalisateur. Si ça coïncide, c'est comme un joli hasard. Un cadeau. Mais l'enjeu, c'est le film. Qu'il soit bon et fidèle au réalisateur, à son esthétique, à ses obsessions".

"trahison volontaire"

L'acteur principal de Des Vents contraires, Benoît Magimel, estime même que, "quand on adapte un roman au cinéma, il faut s'en éloigner le plus possible". D'ailleurs, se souvient-il, quand il lisait La Pianiste d'Elfriede Jelinek sur le plateau de Michael Haneke (qui l'adaptait avec Isabelle Huppert dans le rôle titre), le réalisateur lui a lancé : "Arrête, ça ne t'apportera rien, j'ai écrit un scénario pour ça".

"Il faut juste que le réalisateur s'approprie totalement le récit, qu'il en fasse le sien et oublie même qu'il a poussé dans un autre cerveau que le sien", reprend Olivier Adam. "Même s'ils puisent à la même source, le livre et le film sont deux œuvres autonomes".

Mais à ce prix, précise-t-il, "je ne laisse jamais un réalisateur s'emparer de mon travail si je n'aime pas le sien. C'est la clé".

Philippe Lioret parle lui de "trahison volontaire" à propos de Toutes nos envies, libre adaptation du livre d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne : "Nous sommes convenus d'entrée avec Emmanuel qu'il n'y avait pas de film dans son récit". Le réalisateur a donc construit sa propre trame sur la base du récit qui parlait de surendettement, de juges, puis tissé sa toile avec des histoires à lui.

"Quand il a vu le film, Emmanuel Carrère m'a dit : Tu as bien fait de me trahir", confie Lioret.

Carrère, qui a commencé comme critique de cinéma, était lui-même passé derrière la caméra pour réaliser La Moustache, tiré de son roman éponyme.

"Livre et film visent la même cible" disait-il alors en souhaitant que "la flèche y vibre de la même façon : qu'on y repense après, qu'on se demande quel drôle de truc on vous a incrusté dans le cerveau".

Quant à Frédéric Beigbeder, il explique qu'il se "rassurait" en choisissant son roman pour s'essayer à la réalisation : "Je pouvais le trahir autant que je le voulais !"

(9 Décembre 2011 - AFP)

© 2011 AFP. Tous droits de reproduction et de représentation réservés. Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (dépêches, photos, logos) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par l'AFP. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de l'AFP.