François Cluzet (Un métier sérieux) : "On avait à coeur de donner le meilleur de nous-mêmes"

François Cluzet (Un métier sérieux) : "On avait à coeur de donner le meilleur de nous-mêmes"

Pour son nouveau film "Un métier sérieux", Thomas Lilti a confié à ses acteurs fétiches, dont François Cluzet, des personnages de professeurs surprenants et émouvants. On a rencontré le réalisateur et l'acteur, qui nous racontent ensemble l'ambition du film, son tournage et la complexité de ses personnages.

Avec Un métier sérieux, on quitte le monde de la médecine pour celui de l'enseignement. Quelle était l'ambition ?

Thomas Lilti : Le point de départ, c'est de très longue date. C'est-à-dire que j'avais envie de faire un film qui se passe dans le milieu scolaire, au collège et du point de vue des enseignants. J'avais cette envie de traiter des enseignants parce que je suis fils de prof. C'est un monde que je connais finalement assez bien, même si je n'ai pas la même légitimité que pour la médecine. Mais en fait, on n'est jamais complètement légitime pour raconter un sujet en tant que réalisateur. On se pose toujours la question de qui on est pour raconter des choses, raconter des histoires. À partir du moment où j'ai accepté l'idée qu'on avait le droit de le faire, je me suis senti autorisé à parler des profs.

Et confier ces personnages à plusieurs acteurs que vous connaissez bien. C'était une évidence ?

Thomas Lilti : Quand j'ai commencé à écrire, c'est vrai que l'envie de retrouver les acteurs que j'aime a été une autre motivation. Retrouver François, Vincent Lacoste, Louise Bourgoin, William Lebghil et puis aussi découvrir Adèle Exarchopoulos, Lucile Zhang et d'autres acteurs, c'est vrai que ça a été très important. Quand j'ai écrit Un métier sérieux, et ce n'est pas toujours le cas - ce n'était par exemple pas le cas quand on a fait Médecin de campagne - j'ai vraiment écrit en pensant à François. En pensant à Vincent aussi, à William, à Louise. Moins aux autres acteurs que je ne connaissais pas, évidemment, mais pour François j'ai vraiment pensé à lui en écrivant.

Un métier sérieux
Un métier sérieux ©Le Pacte

François, comment avez-vous perçu votre personnage ? Quel est son premier point de caractère ?

François Cluzet : Je dirais que le plus important, peut- être, est qu'il soit à la fin de sa carrière d'enseignant. Il a donc l'expérience, et peut- être aussi l'honnêteté et la lucidité de se rendre compte que les élèves s'ennuient dans ses cours et que lui- même s'ennuie. Dès lors, si tout le monde s'ennuie, c'est qu'il y a un problème. Ce type qui a quand même consacré sa vie à l'enseignement se retrouve en plein désarroi. Ce qu'il a aussi de tout à fait passionnant, c'est le sens du groupe. Il y a le prof devant les écoliers, devant les élèves, puis il y a le prof dans la salle des profs, et puis il y a le prof chez lui. On a dans Un métier sérieux, pratiquement pour chaque personnage, ces trois situations.

Je soulignerais surtout le groupe des profs. J'ai l'impression que c'est ça que voulait écrire Thomas. Pour nous, les acteurs, avoir autant de partenaires dans des scènes de groupe, c'est absolument formidable parce que ça jaillit de partout. C'est plein de personnalités différentes, tous très exigeants et devant un metteur en scène très exigeant. On est toujours dans le cadre.

Comment se traduit cette présence permanente dans le cadre, concrètement, pendant le tournage ?

François Cluzet : Par exemple, arrivant un matin, je me rends compte que mon personnage arrive tout à la fin de la scène, une scène très longue. J'ai pensé : "Bon, je suis peinard, il va commencer à répéter un tiers de la scène." Non, non, pas du tout. On a répété la scène entière. On est chacun des participants concernés tout le temps. On est tout le temps dans le cadre et si on n'y est pas, on est concernés par la répétition, c'est-à-dire qu'on a ce sentiment d'être tout le temps utile. Ça, c'est formidable. Et puis, il y a une bonne foi. Je pense que ce qui est terrible au cinéma, comme dans tout groupe d'ailleurs, c'est quand il y a une ou deux personnes qui sont de mauvaise foi. Ça fout tout en l'air. Et là, il y a une bonne foi parmi tous les participants.

Comment s'est passé cette deuxième collaboration avec Thomas Lilti ?

François Cluzet : J'ai retrouvé le Thomas que j'ai connu dans Médecin de campagne, avec les acteurs qu'il avait dans Hippocrate et dans Première année. Je le voyais bien être très proche de Vincent et William, et j'avais envie d'être aussi proche de lui qu'ils l'étaient. Au cours du film, on a eu chacun notre lot de considérations, et je crois qu'on avait à cœur, nous tous, sans se connaître, de donner le meilleur de nous-mêmes. Parce qu'il y a un style chez Thomas. Quand vous lisez un script, un script de Thomas, vous ne lisez pas juste un script de plus. Il y a une manière d'écrire. Chaque personnage a une profondeur. Chaque personnage peut avoir aussi une fantaisie. Je dirais que chaque personnage est complexe et, ça, pour nous, c'est formidable.

Un métier sérieux
Un métier sérieux ©Le Pacte

Vous évoquez la complexité des personnages, et celui de Pierre a une profonde peine liée à la relation à son fils. Un drame à la fois intime et universel.

Thomas Lilti : J'avais le sentiment que c'est quelque chose qui allait parler à François, comme à tout père. Parfois, pour un père, il y a des moments de non-communication avec ses enfants. Plein de témoignages d'enfants de profs le disent : "J'ai l'impression que mon père ou ma mère, qui est prof, savent mieux faire avec les enfants des autres qu'avec nous-mêmes." C'est aussi ces choses-là qui m'ont amené à créer cette histoire.

Un métier sérieux apporte un éclairage sur le métier d'enseignant, les hommes et les femmes qui choisissent cette voie. Sans être un film explicitement politique, peut-on y distinguer cependant une forme d'adresse à un enjeu de société ?

Thomas Lilti : Ce n'est pas un film militant. Moi, je ne sais pas faire des films militants qui ressembleraient à des tracts. Je ne donne pas la recette dans mon film de : "voilà ce qu'il faudrait faire pour les profs."

Parce que, de toute façon, tout le monde parle à la place des profs, et tout le monde sait mieux que les profs comment est-ce que les profs devraient faire. Donc, j'essaie bien de me l'interdire et même de rendre hommage aux profs. Tant mieux si ça rend hommage aux profs, mais ce n'est pas à moi de le dire et ça n'a jamais été ma mission. Je ne me sens pas légitime pour rendre hommage aux profs. En revanche, j'espère que mon film est politique. De toute façon, je pense que quand on fait du cinéma, on est politique. Quel que soit le cinéma qu'on fait, même si on fait un cinéma de pur divertissement, c'est politique.

Un métier sérieux de Thomas Lilti, au cinéma le 13 septembre 2023.