Alexandre Aja nous dévoile les dessous de son dernier thriller horrifique, "Mother Land", porté par Halle Berry en mère qui tente de protéger ses enfants du danger extérieur.
Mother Land : un conte horrifique d'Alexandre Aja
Alexandre Aja continue de mener sa carrière efficacement avec des productions américaine aux budgets modestes. Plus de vingt ans après Haute tension (2003), et après avoir réalisé, entre autres, La Colline a des yeux (2006) ou encore Oxygène (2021 sur Netflix), le cinéaste n'a pas changé sa manière d'aborder l'horreur. Comme dans ses précédents films, Mother Land se présente comme une sorte de huis clos étendu. Les protagonistes étant, chez le réalisateur, constamment soumis à une forme d'enfermement, que ce soit dans une maison ou perdu dans une nature étouffante. Bien qu'il dise travailler à l'instinct, c'est en se penchant sur ses précédentes œuvres qu'Alexandre Aja a pris conscience de son attirance pour des "huis clos dont on repousse les murs", comme il nous l'expliquait lors d'une rencontre pour la promotion de son dernier film.
Que ce soit Haute tension où on est dans la maison, mais avant tout dans la nuit. La Colline a des yeux on est dans la caravane et au milieu des collines. Crawl avec évidemment le soubassement et le reste du quartier. Il y a toujours un univers un petit peu enfermé, mais en même temps très étendue, très vaste, mais pas trop vaste. J'aime bien ce juste milieu, parce que ça me permet de créer un univers visuel dans la direction artistique, les décors et les costumes. Parfois ça passe par le temps, avec des périodes plus resserrées. Ça me permet d'exploiter ce côté survival.
Ici, c'est dans un monde post-apocalyptique qu'on découvre une famille qui s'est réfugiée dans une maison au milieu d'une forêt. La mère, jouée par Halle Berry, a élevé ses deux garçons, Samuel et Nolan, en leur assurant qu'un danger rôde à l'extérieur et que leur maison est l'unique lieu où ils peuvent être en sécurité. S'ils veulent se déplacer, ils peuvent se servir d'une immense corde. Mais le Mal est malin et plus d'une fois les soumettra à la tentation de se détacher. Dès lors, ils seraient vulnérables. L'un des deux garçons va alors commencer à douter. Et si ce danger, que seul leur mère peut voir, n'existait pas en réalité ?
Le réalisateur en accord avec Halle Berry
S'il n'a pas signé le scénario de Mother Land, Alexandre Aja s'est rapidement approprié cette histoire en se focalisant sur des éléments qui lui sont personnels. Raison pour laquelle le réalisateur ne s'est pas tant intéressé à l'aspect post-apocalyptique du long-métrage, mais plutôt au "nœud psychologique" avec, d'un côté, "un enfant qui pose des questions, et l'autre qui croit tout ce que sa mère lui dit".
Il y a plein de graines dans un scénario, surtout dans un premier scénario. Et c'est finalement certaines de ces graines qui vont m'intéresser plus, que je vais vouloir développer. C'est là que je m'approprie le récit, et ensuite dans la réécriture du scénario, dans la direction qui sera au final légèrement différente, tout en gardant l'essence du scénario de départ.
Pour le conforter dans son approche, le réalisateur a pu compter sur le soutien d'Halle Berry, qui a rejoint le projet d'abord en tant que productrice avant de tenir le rôle de la mère. Comme lui, la comédienne a eu un coup de cœur pour cette histoire et a voulu s'assurer qu'Alexandre Aja et elle avaient la même vision. Le scénario original de Mother Land pouvant être interprété sous plusieurs points de vue différents. Mais tous les deux se sont entendus sur leur volonté de "ne pas édulcorer la complexité du personnage de la mère, de ne pas l'écraser sous une machine hollywoodienne".
Une violence présente au scénario
En effet, cette mère intrigue dans le film. La force d'Alexandre Aja étant de réussir à faire douter le public. Est-elle folle et soumise à ses démons du passé ? N'est-elle finalement pas l'unique danger pour ses enfants qu'elle soumet à des conditions de vie horribles (leur malnutrition se voyant sur leur visage) ? À moins que sa peur ne soit légitime face à un démon qui attend la moindre erreur pour les faire plonger dans les ténèbres. C'est alors une belle surprise de voir Halle Berry dans un tel rôle, généralement habituée à jouer les pures héroïnes, sauf rares exceptions.
Si on regarde son rapport avec son fils dans À l'ombre de la haine (2001), pour lequel elle a eu un Oscar, il y a cette ambiguïté. D'un côté, elle aime son fils plus que tout, et de l'autre elle le traite de manière horrible. Il y a cette complexité qui la rend très humaine, qui crée une sorte d'empathie malgré le fait qu'elle soit toxique. C'est ça qu'Halle Berry cherchait dans Mother Land. D'être à la fois antagoniste et protagoniste.
Par ce personnage complexe, Mother Land permet à Alexandre Aja d'aborder différents thèmes, notamment sur les inquiétudes qu'on peut avoir en tant que parent. La corde du film étant une métaphore de la difficulté à laisser partir ses enfants. Et à vouloir trop les protéger, ce sont ses propres angoisses qui peuvent se transmettre. À cela s'ajoute la question de la croyance, qui rajoute une réelle intensité au film. La mère étant dans une forme d'extrémisme aux yeux d'un de ses fils, et probablement du spectateur. Une séquence au milieu de Mother Land, particulièrement choquante et qui fait basculer le long-métrage vers une autre forme d'horreur, traduit le danger de la croyance.
C'était un des éléments du script qui était d'une grande force. Ça m'a surpris à la lecture. Évidemment, on ne s'y attend pas. C'est quelque chose qu'on a voulu garder parce que c'était important de garder cette intensité. Mais c'est vrai que c'est un moment très violent. Elle fait ça parce qu'elle est prisonnière de sa doctrine, de sa logique et de ses règles. Mais ça nous amène à un questionnement sur la croyance, sur la foi, sur l'extrémisme et l'intégrisme de cette croyance d'un monde où le mal peut se manifester à n'importe quel moment. C'est ça qui est fascinant, aussi par rapport au monde dans lequel on vit.
Un final qui questionne
Abordé comme un conte horrifique, Mother Land est enfin une expérience sensorielle maîtrisée de la part d'Alexandre Aja, qui plutôt que de multiplier les jumpscares, crée un climat inquiétant tout du long. Et s'il garde longtemps un équilibre entre fantastique et réalité, il offre une réponse dans le final. Du moins, lui a son interprétation (qu'on révélera dans un prochain article), mais laisse la liberté à chacun d'y voir autre chose.
Mother Land est à découvrir en salles le 25 septembre 2024.