Quel plus beau cadeau pouvait s’offrir le festival de Cannes pour souffler ses 60 bougies qu’une œuvre collective signée par 35 des plus grands réalisateurs du monde, amis ou habitués du festival ? Cette oeuvre, c’est Chacun son cinéma, un film initié par Gilles Jacob et composé de 35 courts métrages de 3 minutes sur la salle de cinéma. Originalité de l’exercice : aucun des réalisateurs n’est au courant du travail des autres, et tous découvriront le film dans son intégralité ce dimanche soir lors de sa projection officielle.
Chacun son cinéma commence par une note : « En hommage à Federico Fellini »… Le ton est donné et plusieurs cinéastes ont rendu divers hommages à des grands réalisateurs comme Marcello Mastroianni (Trois Minutes de Theo Angelopoulos), Federico Fellini (Dans le noir de Andrei Konchalovsky), Charlie Chaplin (Au Village de Chen Kaige) ou Robert Bresson (Dans L’obscurité des frères Dardenne)…
Certains réalisateurs se mettent en scène dans leurs films (Nanni Moretti dans Journal d’un spectateur), d’autres font jouer des acteurs connus (Jeanne Moreau dans le film de Theo Angelopoulos, Emilie Dequenne dans celui des frères Dardenne ou Michel Piccoli chez Manoel de Oliveira)…
Certains racontent leur propre histoire (Youssef Chahine), d’autres en inventent des complètement insolites (Manuel de Oliveira)…
Plusieurs thématiques reviennent souvent comme celle de la salle de cinéma quasiment vide (chez Theo Angelopoulos, Hou Hsiao-Hsien ou Tsai Ming-Liang), du spectateur aveugle (Alejandro González Inárritu et Raoul Ruiz) ou de l’avenir du cinéma (chez Atom Egoyan ou Olivier Assayas). Cette dernière fut d’ailleurs au cœur d’un petit débat entre Roman Polanski et Atom Egoyan lors de la conférence de presse.
A noter à propos de la conférence de presse la grande bêtise de certains journalistes qui, alors qu’ils ont face à eux plus de trente réalisateurs exceptionnels, posent des questions totalement hors sujet, inintéressantes, voire carrément à d’autres personnes (Gilles Jacob). C’est dans une réaction un peu extrême certes mais tout à fait justifiée que Roman Polanski a quitté la salle de conférence, las de ces questions inutiles : "Moi je propose de raccourcir cette conférence", a-t-il soudain lancé en français, à quelques minutes de la fin. "Je crois que c'est une occasion unique, vraiment rare, d'avoir une telle assemblée de metteurs en scène importants, assis, faisant face à un public de critiques... et avoir des questions tellement pauvres !", a poursuivi Polanski, récompensé d'une Palme d'or pour Le Pianiste en 2002.
"Je crains vraiment que c'est l'ordinateur qui vous a abaissés à ce niveau", a-t-il ajouté, les yeux baissés et l'air las, "que vous ne vous intéressez plus à ce qui se passe au cinéma, que vous ne tapez plus parce que vous n'avez plus besoin de clavier : vous transférez une information que vous obtenez avec votre souris, sur le papier que vous allez donner à la rédaction, et c'est pour ça que vous savez si peu de nous tous. Alors franchement, allons bouffer !", a-t-il lancé en se levant et en quittant la conférence, dans le brouhaha provoqué par sa pique.
Dommage qu’un si beau moment que l’on ne vivra sûrement qu’une seule fois se termine comme cela à cause de la bêtise de certains !
Sur les 35 films, il y en a pour tous les goûts comme on dit, et chacun devrait aisément se trouver quelques favoris… Voici les notres : Le Journal d’un spectateur de Nanni Moretti, World Cinema des frères Coen, Cinéma érotique de Roman Polanski, Maladresse d’Elia Suleiman et A 8944 km de Cannes de Walter Salles, tous très drôles et intelligents ; et pour finir Guerre en temps de paix de Wim Wenders, sans doute le plus émouvant.
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Amélie Chauvet (Cannes, le 20 mai 2007)