Pour la sortie de la comédie dramatique "La Dégustation", nous avons rencontré Isabelle Carré. L'occasion d'évoquer le plaisir de retrouver Bernard Campan et le reste des acteurs de la pièce d'Ivan Calbérac, freinée par la Covid-19, ainsi que ce qui la touche particulièrement chez son personnage.
La Dégustation : un duo très touchant
20 ans après Se souvenir des belles choses, Isabelle Carré et Bernard Campan se retrouvent au cinéma dans La Dégustation, adaptation de la pièce de théâtre éponyme d'Ivan Calbérac où ils se donnaient déjà la réplique. Dans cette comédie dramatique, l'actrice prête ses traits à Hortense, une infirmière qui rêve d'avoir un enfant et de trouver l'amour. Son partenaire incarne quant à lui Jacques, un caviste solitaire qui souffre de problèmes cardiaques.

Après une visite de la première dans la boutique du second, ils apprennent à faire connaissance autour d'une dégustation de vin. Peu à peu, ces deux individus pudiques et particulièrement touchants se rapprochent et tombent amoureux, tandis que les drames qu'ils ont surmontés se révèlent. Mounir Amamra, Éric Viellard, Olivier Claverie et Geneviève Mnich complètent la distribution du long-métrage, réussite qui oscille harmonieusement entre le rire et les larmes (découvrez notre critique).
À l'occasion de la sortie, nous avons échangé avec Isabelle Carré, formidable dans un rôle qui rappelle celui qu'elle tenait dans Les Émotifs anonymes.
Rencontre avec Isabelle Carré
Vous avez d'abord joué dans la pièce d'Ivan Calbérac. Qu'est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Quand je l'ai lue, j'ai vraiment eu un coup de coeur immédiat, à tel point qu'Ivan Calbérac avait oublié de mettre ses coordonnées sur la pièce et je ne les avais pas, donc je suis passée par un ami exploitant qu'on a en commun au Pays basque. Du coup, je l'ai appelé et je lui ai dit : "J'aimerais qu'on la joue vite, parce que je l'aime énormément cette pièce". Ce que j'apprécie surtout, c'est cet humour qui rassemble. Ça me fait penser aux films de (Frank) Capra, à Rendez-vous, à La Vie est belle.
C'est un humour qui ne tape pas sur telle ou telle catégorie, mais qui nous unit et nous donne envie de se retrouver autour d'une bonne table, en partant avec des personnages qui sont un peu des clichés. Mon personnage Hortense de la Villardière, bon c'est un peu moins le cas dans le film, mais qui dans la pièce est cette catho un peu coincée, qui est bénévole dans une association et qui au fond se sent très seule. Et en même temps, on déconstruit tous ces clichés puisqu'elle va faire une PMA.

Le film marque vos retrouvailles avec vos partenaires de la pièce...
C'était très important pour nous ! Dès qu'on a parlé du projet, il fallait que tout le monde soit là, il était hors de question qu'il y ait un absent de la bande. En fait, on a vécu quand même beaucoup de choses au théâtre. D'abord, ça s'est super bien passé, on a gagné le Molière de la Meilleure comédie, on s'est tous super bien entendus. Quels que soient les moments où on jouait, c'était tout le temps plein. C'était assez exceptionnel, c'était incroyable !
À cela s'ajoute le confinement. D'abord le couvre-feu, où on se dit qu'on va se débrouiller pour jouer. "On va jouer à 15h, on va jouer à 17h." Tout ça, ça crée évidemment des liens, c'est des souvenirs inoubliables. Même quand on jouait à 15h ou à 17h, même quand on jouait six fois dans le week-end, les gens venaient. C'était incroyable. Alors qu'il y avait des horaires compliquées, la peur du Covid... À chaque fois ils étaient présents, c'était très émouvant pour nous.
Avant de tourner le film, on avait dû interrompre au bout d'un moment la pièce. On n'a pas pu aller au bout de la reprise, on nous a prévenus au dernier moment. C'était vraiment bizarre, on s'est pas dits au revoir. On n'a pas fait de dernière. Le film, c'était une façon de se consoler et de se venger de ce Covid.
C'était un plaisir de rejouer avec Bernard Campan après Se souvenir des belles choses ?
C'était incroyable de se dire : "pourquoi c'était pas arrivé avant ?" On en mourait d'envie tous les deux et puis voilà, il a fallu tout ce temps avant de se retrouver. Mais c'est vrai que quand j'ai lu la pièce, outre ce que je vous disais par rapport à l'humour qui est celui que j'aime, outre la tendresse, les dialogues savoureux, il y avait Bernard. Retrouver Bernard. Je savais qu'il était sur le projet, il était arrivé avant moi sur le projet. Donc j'étais hystérique de bonheur de me dire qu'on allait se retrouver. Et ce qui est dingue, c'est que c'est comme si on s'était quittés la veille.
Je l'ai retrouvé tel quel, avec sa douceur, son humilité, sa tendresse, son humour évidemment et encore plus de profondeur. Parce que c'est vraiment quelqu'un qui se pose beaucoup de questions sur la vie, sur ce qui est important, ce qui ne l'est pas. C'est un sage en fait. Il l'était déjà sur Se souvenir des belles choses, c'est vraiment pas quelqu'un de superficiel, mais voilà c'est beau de voir tout le parcours qu'il a fait.

Votre complicité se ressent totalement à l'écran.
Ça se voit qu'on a un passé, une complicité, qu'on a aussi ce passé de théâtre. Entre nous tous, pas qu'avec Bernard. J'ai une théorie là-dessus, je pense que ça ne se voit pas quand les acteurs ne s'entendent pas au cinéma, parce qu'on est dans le jeu, parce que c'est bien emballé. Mais ça se voit quand ils s'entendent. Il y a cette petite étincelle qui fait que quand on est dans le public, on a envie d'être avec les personnages. Ils nous sont plus proches.
Vous vous identifiez à Hortense ?
C'est un personnage qui me touche vraiment. Du point de vue de la personnalité, je ne pense pas qu'on ait beaucoup de choses en commun. Si, les associations, ça me parle. Je crois beaucoup plus au pouvoir des associations qu'en la politique en général. D'un point de vue écologique comme ce qui concerne les enfants, c'est vrai que je crois plus à ça, au pouvoir des bonnes volontés. Je crois beaucoup plus aux gens qui sont là au jour le jour, qui se décarcassent et qui passent leur vie à ça. Donc de ce point de vue-là, je comprends Hortense, qui s'implique. Son engagement est vraiment chouette.
Et j'aime beaucoup le fait que malgré sa mère, malgré son éducation, qu'elle cherche son chemin, qu'elle passe outre et qu'elle aille faire sa PMA. C'est quelqu'un de courageux, qui prend son destin en main, qui essaie de trouver sa vérité et qui ne reste pas bloquée dans des injonctions familiales.
Après le chocolat dans Les Émotifs anonymes, qui ressemble par plusieurs aspects à La Dégustation, le vin devient ici un élément central.
C'était hyper bien vu de la part d'Ivan de mettre ça au centre, c'est un personnage le vin dans le film. Ce sont quand même deux personnes qui sont opposées, qui ont du mal à rencontrer l'autre, elle en en faisant trop, lui pas assez. (Rires) Et finalement le vin vient créer le lien, ça les aide à dépasser un peu ces barrières. Dès la première lecture, je lui ai dit que dès qu'Hortense boit, elle révèle ses désirs, elle fait des lapsus sexuels sans arrêt parce qu'au fond, elle n'a envie que de ça. J'aime beaucoup les comédies qui peuvent être considérées comme un peu trash, comme celles des frères Farrelly. J'adore ça. J'adore Judd Apatow aussi. Toutes ces comédies, ça me fait vraiment beaucoup rire.

Il y a beaucoup de choses qui ont évolué entre la pièce et le film ?
Oui. Ce qui a beaucoup évolué, c'est le hors-champ. Moi je parlais de ma mère dans la pièce, mais on ne la voyait pas. Je parlais de l'association et je parlais des sans-abris, des repas que je leur prépare, mais on ne les voyait pas. Là, on les voit. On ne voyait pas Hortense aussi solitaire chez elle, avec ce besoin de rencontre. Tout ça a créé quelque chose de plus émouvant. La pièce était clairement drôle, loufoque. On riait de mes maladresses. Mais maintenant, il y aussi l'émotion, l'émotion de la disparition de sa mère, qui n'existait pas. On a été obligés d'intérioriser les personnages, et ça crée de l'émotion.
Il y a une scène que vous préférez dans le film ?
La scène où on est tous à table avec les sans-abris, où on est dans un champ. C'était très émouvant. La scène aussi où on part en chantant. Là on a vraiment rigolé. C'était des super moments. J'aime beaucoup ces scènes-là. Tout ce qui se passe avec eux, c'était toujours surprenant et hyper juste. Et je pense que ça vient vraiment du regard d'Ivan. Ivan, c'est vraiment un metteur en scène et un auteur qui est très accessible, qui a un rapport aux autres qui n'est pas du tout dans la hiérarchie, qui est très humain. Il est très investi dans plusieurs associations. Quand il dirige, il est vraiment à l'écoute. Il a vraiment une belle sensibilité.
Comment est-ce que vous choisissez vos projets ?
Mon critère c'est : "Est-ce que je vais apprendre quelque chose de différent ?" Comme ça fait maintenant plus de 30 ans que je joue, je suis curieuse de jouer des choses différentes, j'ai toujours autant d'appétit d'essayer des nouvelles choses, c'est plutôt ça qui me guide. Et aussi, je dois dire, l'humanité du metteur en scène. J'ai envie d'être avec des gens qui laissent leur place à tout le monde dans l'équipe, qui sont à l'écoute, qui sont bienveillants. Ça compte beaucoup pour moi aujourd'hui, parce que je pense que c'est vraiment comme ça qu'on travaille bien.
La Dégustation est à découvrir au cinéma dès le 31 août 2022.