"J'ai besoin que tu me dises : je t'aime" : Salomé Dewaels nous raconte Sous le vent des Marquises

"J'ai besoin que tu me dises : je t'aime" : Salomé Dewaels nous raconte Sous le vent des Marquises

À l'affiche avec François Damiens du très joli "Sous le vent des Marquises", Salomé Dewaels confirme qu'elle est bien une des actrices les plus talentueuses de sa génération. À l'occasion de la sortie du film, on l'a rencontrée avec Pierre Godeau, le réalisateur du film, pour parler d'un tournage où le casting s'est "abandonné" et d'une histoire qui résonne sur le plan personnel...

Pour raconter la renaissance d'une relation père-fille, vous utilisez Jacques Brel comme figure tutélaire. Pourquoi ce choix ?

Pierre Godeau : C'était un hasard. Au départ, l'idée de Sous le vent des Marquises est ce père et cette fille, et cette fille qui va se révéler aux yeux de son père. Je sortais du tournage d'Éperdument avec Adèle Exarchopoulos, qui s'était très bien passé. J'ai rapidement eu l'idée d'une nouvelle histoire sur une jeune fille qui deviendrait comédienne, devant les yeux de son père qui serait lui un grand comédien. Il n'en aurait pas forcément envie mais serait obligé de le reconnaître. J'ai commencé à l'écrire, mais je butais sur ce qu'était vraiment le sujet du film.

Ce qui m'a conduit à Brel, c'est déjà des souvenirs d'enfance, des chansons et des images très claires de ses albums. J'avais déjà cette sympathie pour lui. En me documentant, j'ai découvert qu'il avait eu une vie fascinante, et que cette vie faisait écho à celle que j'imaginais pour mon personnage.

Sous le vent des Marquises
Sous le vent des Marquises ©Pan Distribution

Sur le tournage d'Éperdument, je m'étais dit, en tant que cinéphile et amoureux du cinéma, que c'était dommage que le public n'ait jamais accès à ce moment où on dit "action" et où l'actrice ou l'acteur se métamorphose, moment que je trouve sublime. Je me suis alors dit que pour Sous le vent des marquises, le biopic était la meilleure idée pour pouvoir assister à cette transformation, à François Damiens qui devient Jacques Brel. C'est comme ça que ça s'est noué.

Ça n'était pas effrayant, intimidant, de se saisir d'une telle figure artistique ?

Pierre Godeau : Il y a effectivement un côté intimidant, et je ne me sens pas légitime à faire un tel biopic, mais je trouvais que c'était pile la bonne place. En tant qu'artiste et aussi en tant qu'homme, je pense que le plus bel hommage qu'on puisse faire à un artiste est de dire combien il inspire d'autres vies.

Salomé Dewaels : C'est ce qui est beau dans ce film, ça part d'un acteur qui joue Brel mais ce n'est pas un film sur Brel, c'est un lien vers le personnage.

Pierre Godeau : Oui c'est l'idée de la figure tutélaire, celle qui permet au père et à sa fille de se retrouver.

Salomé Dewaels : Il y a beaucoup de pudeur entre ces personnages, ils n'arrivent pas à se dire les choses et ils y parviennent enfin en s'inspirant des mots d'un autre, en l'occurrence Brel dans le scénario du film que tourne le personnage de François Damiens. Ça m'est tout de suite apparu dans le scénario de Sous le vent des marquises, ce n'est pas un film sur Brel mais bien sur un père et sa fille.

Pour ma part, je n'ai pas eu de pression par rapport à la figure de Brel, mais plutôt par rapport à François Damiens, qui est lui aussi un mythe en Belgique !

Sous le vent des Marquises
Sous le vent des Marquises ©Pan Distribution

François Damiens livre une très belle performance dans le film, comment s'est passé le tournage et le travail autour de ce duo ?

Pierre Godeau : Salomé était vraiment notre métronome, pour moi en tout cas, tellement professionnelle, constante, et excellente. Pour François c'était plus compliqué, vu la nature du rôle. Celui d'un père, un homme malade et un acteur qui joue Brel... mais Salomé le ramenait toujours à la scène, droit dans les yeux. Le film doit énormément à Salomé.

Salomé, vous avez donc "dirigé" aussi François Damiens ?

Salomé Dewaels : Non, je dirais que c'était vraiment un travail partagé...

Pierre Godeau : Je suis certain que c'est lié à vos rôles. Lou est quelqu'un d'ancré, qui a réfléchi. Elle sait ce qu'elle veut, elle sait pourquoi elle en veut à son père, etc. À l'inverse, François devait être lui dans la confusion de son personnage, dans cette forme d'absence...

Alain (François Damiens) - Sous le vent des Marquises
Alain (François Damiens) - Sous le vent des Marquises ©Pan Distribution

Salomé Dewaels : Un des points communs qu'on a François et moi, quand on travaille, c'est d'aller au plus proche de la réalité et d'avoir de la sincérité, de l'empathie pour le personnage qu'on joue. On les aimait tellement ceux-là qu'on s'y est peut-être un peu abandonnés... Ce qui a fait que j'étais très frontale, je savais où j'allais et je le tirais à moi. Et lui n'avait alors qu'à se laisser porter. Mais ça n'enlève rien à ses qualités, au contraire.

Pierre Godeau : L'abandon dont il a été capable était hallucinant. Il y a eu des moments où, en fin de prise, on se regardait avec Salomé, on se demandait comment François nous avait emmenés à cet endroit-là.

Salomé Dewaels : François m'a appris à m'abandonner, c'était magique de travailler avec lui de cette manière-là. Je me souviens d'avoir aussi assisté à ce moment de métamorphose, où on prépare une scène avec François, on parle, et tout d'un coup il se transforme, il devient Alain. J'en ai perdu tous mes moyens, je ne trouvais plus mes répliques ! Ça tient de la grâce, et je pèse mes mots.

Sous le vent des Marquises
Sous le vent des Marquises ©Pan Distribution

Pierre Godeau : Je pense à une scène, qu'on a coupée au montage puis remise au dernier moment. C'est une scène où François est au lit, fiévreux. On rigolait juste avant et instantanément il s'est transformé. Cet abandon mutuel entre les acteurs, c'est la première fois que je le vis dans ma carrière. Je n'avais jamais connu ça. Un duo comme ça, à ce niveau d'abandon, sans se regarder ni se jalouser, c'était vraiment un privilège.

Le cinéma est très présent comme thématique dans Sous le vent des Marquises, et il est intimement mêlé à la vie privée des personnages.

Pierre Godeau : Il y a le cinéma et la vie, c'est un grand thème du film et aussi de ma cinéphilie. Le cinéma de Godard, de Truffaut, cette question de savoir ce qu'est le plus important, le cinéma ou la vie ? Mon père est producteur et metteur en scène, mon oncle est producteur, le cinéma a toujours fait partie de ma vie.

En tant que fils, trouver sa place face à des parents qui ont cette passion... Enfant, je me souviens de périodes où je voyais mon père s'embarquer... C'était des fictions qui avaient plus d'importance que la vie de tous les jours. Je voulais aussi questionner ça dans Sous le vent des marquises. Dans le film, Lou, d'abord, ne comprend pas ça, qu'on puisse régler des problèmes de sa vie par des fictions, trouver des réponses dans ces histoires.

Salomé Dewaels : Tu évoques cet écho que les films ont sur nos vies, et me revient une question qu'on m'a posée : "Qu'est-ce que ce film m'a apporté ?".

Avec Sous le vent des Marquises, j'ai enfin pu dire à mon père : "J'ai besoin que tu me dises : "je t'aime"". Et depuis, il me le dit, chose qu'il ne disait jamais avant. C'est ça la beauté des films, et c'est pour ça que je fais ce métier.

Est-ce que ce duo montre que les acteurs belges sont supérieurs aux acteurs français ?

Salomé Dewaels : (rires) On me le dit souvent ! "Les meilleurs acteurs français c'est les Belges." Peut-être  qu'avec avec notre petit pays et sa culture, qui est divisée en deux, voire en trois avec Bruxelles, on s'offre plus de libertés. On a aussi beaucoup d'auto-dérision, on ne prend pas la grosse tête.

Pierre Godeau : Aussi parce que, sans doute, on vous "regarde" moins, c'est une toute petite industrie de cinéma, il n'y a pas de star system...

Salomé Dewaels : Oui, tout le monde s'en fout à Bruxelles si vous êtes acteur ou pas, ça permet de rester proche du coeur de ce métier : raconter des histoires. En vivant à Bruxelles, je ne m'éloigne pas de ça. Mais je n'irais pas surtout pas dire qu'on est meilleurs !