Rage, peur, réécriture et baignade en slip : comment Jake Gyllenhaal a failli détruire ce film français

Rage, peur, réécriture et baignade en slip : comment Jake Gyllenhaal a failli détruire ce film français

Avant que ce ne soit Gilles Lellouche et Mélanie Thierry qui incarnent les personnages de "Soudain seuls", le film de Thomas Bidegain devait être tourné en langue anglaise avec Jake Gyllenhaal et Vanessa Kirby. Mais au dernier moment et en quelques jours, Jake Gyllenhaal a tout envoyé valser...

Le plan américain a tourné au désastre

Le 6 décembre 2023, la nouvelle réalisation de Thomas Bidegain, Soudain seuls, sortait au cinéma. Un survival haletant et une histoire d'amour émouvante, porté par le très beau et inspiré duo Mélanie Thierry - Gilles Lellouche. Mais ce film aurait pu ne jamais exister, ou alors aurait pu être une production américaine titrée Suddenly, comme c'était le plan initial, si seulement son acteur principal n'avait pas tout foutu en l'air : Jake Gyllenhaal.

Soudain seuls
Soudain seuls ©Studiocanal

En effet, comme Thomas Bidegain l'a expliqué, et détaillé en profondeur au journaliste Marc Godin pour Technikart, Soudain seuls devait à l'origine être une production internationale en langue anglaise, avec Jake Gyllenhaal et Vanessa Kirby dans les rôles principaux.

Le scénario était écrit, les acteurs confirmés au casting, le décor islandais trouvé, une partie de l'équipe du film déjà sur place, et Thomas Bidegain disposait d'un budget de 26 millions de dollars... Mais une fois Jake Gyllenhaal arrivé, il n'aura fallu que quatre jours pour mettre à terre cette production. En cause, le comportement déjanté de l'acteur, ingérable et obsédé par des idées étranges.

Peur du Covid-19 et réécriture du film

Alors que Thomas Bidegain a finalisé son scénario de Suddenly, avec l'implication constante et enthousiaste de Jake Gyllenhaal, lorsqu'ils se retrouvent en Islande en juillet 2021 pour entamer la préparation du tournage, l'acteur de Prisoners et Ambulance met les pieds dans le plat.

Parce qu'il est terrorisé par le Covid-19, bien que l'Islande ne soit pas touchée, il refuse de faire le trajet de Reykjavik au lieu de tournage en avion, et part en voiture - dont il exige qu'elle ne soit ni rouge ni blanche... Six heures de trajet qu'il partage avec le scénariste David Lindsay-Abaire, recruté pour travailler sur les dialogues anglais. Enfin arrivé à l'hôtel, il s'isole avec Thomas Bidegain et sa co-scénariste Valentine Monteil:

"Toutes les personnes dans cette pièce sont extrêmement talentueuses, mais il va falloir travailler. Et garder l’esprit ouvert. Avec David, nous avons envisagé de nombreux changements…" Et il se lance dans des trucs vagues comme"We have to find the truth".

Road House
Road House ©Prime Video

Le jour suivant, Jake Gyllenhaal découvre le lieu où doit être construit le décor - une ancienne station baleinière - et se montre mécontent. Selon lui, on ne sent pas assez le danger et il ne trouve pas la nature assez menaçante. En réalité, il ne veut même pas de décor. Le ton monte et Thomas Bidegain témoigne d'échanges très animés :

Je m'étais déjà engueulé avec des réalisateurs, mais jamais avec une telle intensité.

L'article de Technikart souligne que Thomas Bidegain a alors encore espoir de trouver un terrain d'entente, mais c'est moins le cas pour Valentine Monteil, qui raconte :

Jake parle beaucoup de la VÉRITÉ, insiste pour que son personnage soit un ancien GI, habitué à la survie... Par exemple, pour une scène sur le bateau, il nous vend l'idée qu'il gifle un poisson.

Une rencontre mystique avec une jument

Thomas Bidegain parvient à apaiser l'acteur, mais le répit est de très courte durée. Au troisième jour, Jake Gyllenhaal revient d'une promenade et raconte avoir rencontré une jument, et eu à cette occasion une illumination. Il propose de changer l'histoire du film pour insister sur la communion avec la nature, projection d'une vidéo de Greta Thunberg à l'appui pendant laquelle l'acteur pleure d'émotion :

Je pleure. Je pleure. Ce sont de vraies larmes.

Valentine Monteil raconte avoir eu, sous son masque, le plus gros fou rire de sa vie... De son côté, l'acteur américain demande à réécrire entièrement l'histoire pour ce que soit une déclaration d'amour à la nature. Thomas Bidegain commence à comprendre que tout est en train de s'effondrer.

Ambulance
Ambulance ©Paramount Pictures

Une baignade dans une eau à 3°C

Au quatrième jour, Thomas Bidegain emmène toute l'équipe découvrir les paysages du film et s'en imprégner. Trop commun sans doute pour Jake Gyllenhaal qui se déshabille et plonge en slip dans l'eau glacée de l'océan... Il est enthousiaste et se remet au travail avec Thomas Bidegain mais, en coulisses, Alain Attal refuse qu'on réécrive le scénario, sa version finale ayant été validée par Studiocanal, qui l'a déjà vendu sur plus de 20 territoires.

Le soir de ce quatrième jour, Jake Gyllenhaal revient à la charge sur la "vérité" du film et le sens à lui donner. Apprenant que l'équipe de décoration arrive le lendemain à l'hôtel, toujours terrorisé par le Covid-19, il explose de rage, refuse qu'ils soient logés à l'hôtel et demande à ce qu'ils dorment dans leurs voitures... Puis déclare qu'il ne veut pas de décors, explique que les équipes sont incompétentes, et menace de quitter le projet. Épuisé, comprenant qu'il n'y a plus d'issue favorable à cette situation, Thomas Bidegain lui répond : "Vas-y".

La nuit passe, Thomas Bidegain met à jour Alain Attal le matin du cinquième jour. Le producteur décide d'arrêter les frais, sa vision et celle de Thomas Bidegain sont trop éloignées de celle de Jake Gyllenhaal. Thomas Bidegain raconte :

Avec lui (Jake Gyllenhaal), je n'ai peut-être pas été assez ferme, je pense qu'il voulait une confrontation plus forte, mais je ne travaille pas comme ça... Quoi qu'il en soit, tout est fini, et les 26 millions s'envolent ! En rentrant du glacier, on croise la voiture des acteurs qui part dans l'autre sens... J'étais au 36e dessous, mais on a fait une fête d'enfer avec les constructeurs, le cuistot, où l'on a picolé comme des malades. Et nous avons quitté l'Islande.

"On les emmerde"

Peu de temps après, Vanessa Kirby propose à Thomas Bidegain de racheter les droits du film. Le réalisateur l'envisage et en parle à Alain Attal. Celui-ci refuse et lui dit : "Jamais de la vie, on les emmerde, tu vas le réécrire en français et on va le. tourner avec deux grand acteurs français." Un an plus tard, c'est donc avec Mélanie Thierry et Gilles Lellouche que Thomas Bidegain tourne Soudain seuls, pour le très beau résultat découvert sur les écrans en décembre 2023.

La fin de cette production folle est heureuse, mais on peut s'étonner de l'attitude de Jake Gyllenhaal envers Thomas Bidegain. En effet, il ne lui a pas accordé sa confiance, alors qu'ils avaient précédemment travaillé ensemble pour Les Frères Sisters, western franco-américain de Jacques Audiard acclamé par la critique. Un film porté et co-produit en outre par l'acteur John C. Reilly, ami de Thomas Bidegain et qui était au casting de son premier long-métrage Les Cowboys...

Si finalement Soudain seuls est un excellent film et que son auteur a surmonté ce début de production catastrophique, on espère cependant que Thomas Bidegain n'a pas été entièrement dégoûté par cette "expérience" américaine et que, dans le futur, parce qu'il est un formidable scénariste et un excellent réalisateur, il retentera sa chance à Hollywood.