Jasmine Trinca (Marcel !) : "Les acteurs sont des créatures très fragiles"

Une grande actrice italienne derrière la caméra

Jasmine Trinca (Marcel !) : "Les acteurs sont des créatures très fragiles"

Actrice importante du cinéma italien et d'ailleurs, Jasmine Trinca passe derrière la caméra avec son premier long-métrage, "Marcel !". Nous l'avons rencontrée pour parler de son parcours et de l'aspect autobiographique de son œuvre.

Jasmine Trinca, d'actrice à réalisatrice

Voilà une bonne vingtaine d'années que Jasmine Trinca a été révélée en Italie et auprès de la critique internationale. C'était en 2001, et elle tournait pour la première fois devant la caméra de Nanni Moretti dans La Chambre du fils, qui remporta la Palme d'or au festival de Cannes. Une révélation qui ne tarda pas à confirmer. Elle sublima d'abord Nos meilleures années (2003) le temps de quelques scènes, avant de faire partie de l'impressionnante distribution de Romanzo criminale (2005). À partir de là, la comédienne navigua entre des rôles variés sous la direction de cinéaste italiens mais aussi français (Bertrand Bonello, Emmanuel Mouret, Alain Tasma).

Jasmine Trinca - Miele
Jasmine Trinca - Miele ©Jour2fête

Les choses vont cependant changer pour elle en 2013, grâce à sa rencontre avec Valeria Golino pour le très beau Miele. Pas un basculement dans sa carrière d'actrice, mais la naissance d'un désir, celui de "regarder les choses par elle-même". Si ce sentiment est apparu pour elle il y a quelques années, c'est bien en prenant en exemple Valeria Golino qu'elle s'imagina capable, elle aussi, de passer derrière la caméra.

En la voyant, j’ai commencé à être un peu curieuse. Valeria est une superbe comédienne, mais comme moi elle n’avait pas étudié pour réaliser. Et j’avais cet a priori qu’il fallait avoir des connaissances techniques. Avec Valeria, j’ai compris que c’était différent. Que c’était une question de regard.

Cependant, Jasmine Trinca va prendre son temps. Le temps notamment de travailler sur elle-même pour pouvoir se faire suffisamment confiance :

Je crois que c’est très féminin de trouver le moment où on s’autorise à faire quelque chose. Il fallait tout un processus. Ce qui ne veut pas dire qu'aujourd'hui je suis sûre de moi. Je ne le suis jamais. Mais c’est bien. Car je pense que la créativité passe par le doute.

Marcel ! : un film personnel et autobiographique

De cela est donc né un premier court-métrage, Being My Mom (2020), puis un long-métrage, Marcel !, dans la même lignée (mêmes actrices et un sujet similaire). Une œuvre autobiographique, personnelle, sur une relation complexe entre une mère et sa fille. Devant ce film, difficile de dire ce qui relève de la vie de son auteure, de ses souvenirs ou de la fiction - ce qui rend le long-métrage d'autant plus troublant. Mais elle confirme que la difficulté de ses rapports avec sa mère est bien la principale source d'inspiration.

J’ai eu un rapport compliqué avec ma mère. J’étais en combat avec elle. C'est peut-être le fait d’être devenue mère, ou la perte de ma mère, qui fait que j’ai un peu réfléchi à mon rôle ensuite. Mais dans Marcel ! vous savez il y a de tout. Comment je suis en tant que mère, comment j’étais enfant, etc. Il y a des choses que j’ai vraiment vécues et d’autres qui sont fantasmées.

Marcel !
Marcel ! ©Rezo Films

Dans Marcel !, une jeune fille grandit avec une mère artiste qui ne lui prête que très peu d'attention. Alors que le père n'est plus là, sa mère offre tout son amour à son chien, Marcel. C'est avec lui qu'elle joue, dans la rue, pour un numéro de mime tragico-burlesque. Jasmine Trinca se livre ainsi avec ce film délicat sur l'enfance, le deuil et la difficulté de grandir, par le prisme des souvenirs d'une jeune fille. Des souvenirs qui, par principe, ne peuvent représenter la réalité avec exactitude, permettant à la réalisatrice de jouer avec un sentiment d'étrangeté.

Cela doit être parce que j’ai fait beaucoup d’analyse, mais ce qui m'intéressait c’était la subjectivité. Comment les souvenirs peuvent marquer et altérer la mémoire d’un enfant ou d’une adulte. Le film est vu par le regard de cette fille. Donc les choses qu’elle voit ne sont pas vraiment comme elles se sont passées. Ce n’est pas un film réaliste.

Changement de regard

Un film même surréaliste par moments. Un conte noir, précise-t-elle, qui lui permet de retrouver des choses vécues, voire de les revivre. Ainsi, même si Marcel ! est un premier long-métrage pas toujours évident, une vraie maturité se ressent chez Jasmine Trinca dans ses intentions. Dans sa fascination pour le cinéma muet et son amour du silence, qu'elle nous révèle avec un calme et une délicatesse apaisants. Ou encore dans l'évolution de son regard sur sa première profession.

Derrière la caméra, j’ai vu les acteurs différemment. C’est comme si je me voyais. J’ai trouvé que les acteurs étaient des créatures très fragiles. Ça me bouleverse presque.

Marcel ! de Jasmine Trinca, avec Alba Rohrwacher et la jeune mais impressionnante Maayane Conti, est à découvrir dans les salles le 27 juillet 2022. ©Image de une Giovanni Canitano