Karl Glusman (Please Baby Please) : "Le film m’a sauvé émotionnellement après mon divorce"

Karl Glusman (Please Baby Please) : "Le film m’a sauvé émotionnellement après mon divorce"

Dans "Please Baby Please", film d'Amanda Kramer à la proposition radicale à découvrir sur MUBI, Karl Glusman, vu dans "Love" et "Neon Demon", incarne un voyou aussi séduisant que dangereux. Rencontre avec un acteur inspiré et inspirant.

Karl Glusman, voyou et tombeur de Please Baby Please

Troublant, esthétiquement renversant, violent et passionné, le film Please Baby Please est un voyage comme on en fait rarement. Co-écrit et réalisé par Amanda Kramer, il raconte l'histoire d'Arthur (Harry Melling) et Suze (Andrea Riseborough), couple dont la relation va être bouleversée par leur rencontre avec une bande de jeunes voyoux, menée par Teddy (Karl Glusman). Film sur l'amour, sur l'identité de genre, sur ce que l'on est et ce que l'on rêve d'être, sur les cases dans lesquelles la société range les individus, Please Baby Please est une fable contemporaine, un fantasme artistique, et surtout un film à la démarche radicale qui veut célébrer plutôt qu'opposer. On a rencontré Karl Glusman, interprète de Teddy, pour qu'il nous raconte son expérience.

Teddy (Karl Glusman) - Please Baby Please
Teddy (Karl Glusman) - Please Baby Please ©MUBI

Comment est-ce qu'on se retrouve au casting d'un film aussi original et étrange que Please Baby Please ?

Karl Glusman : J’ai une réponse simple : Amanda Kramer. Je ne connaissais pas son travail. J’ai reçu le script de Please Baby Please, je l’ai lu et à la fin je n’étais pas bien sûr de ce que j’avais lu. Je me suis dit, ce petit film va être soit incroyable, soit un désastre total. Son langage en particulier m’a séduit, j’avais l’impression d’être au théâtre, une sorte de version rêvée d’une pièce de Tennessee Williams. Je n’avais jamais lu quelque chose comme ça. Je suis souvent attiré par des propositions qui me semblent inédites et ne m’apparaissent pas confortables. Et la proposition d’Amanda m’est apparue comme ça, son ton, son univers, et l’ampleur du personnage. Amanda nous a laissés vraiment jouer et explorer nos personnages. Donc c’est elle, la raison de ma présence.

C'est donc une question de personnalité et de démarche artistique ?

Karl Glusman : J’ai été beaucoup influencé par le cinéma de Stanley Kubrick, dont ma mère m’a montré les films quand j’étais petit. C’était un artiste qui n’obéissait qu’à ses propres règles, et je suis attiré par ces artistes qui ont vraiment une patte, quelque chose de distinctif. Je suis curieux de ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent, de leur vision du monde. Comme si c’était des partenaires de danse, qui vous apprennent les pas. Chacun a ses règles, et je suis intéressé par les gens qui sont différents de moi, qui ont d’autres parcours et modes de pensée. Je suis toujours en train d’essayer de comprendre comment je travaille, je ne suis pas si vieux dans ce métier. Je crois avoir une sensibilité un peu européenne concernant les réalisateurs et réalisatrices que j’admire.

Teddy (Karl Glusman) - Please Baby Please
Teddy (Karl Glusman) - Please Baby Please ©MUBI

Karl Glusman : Par ailleurs, je crois en ce que Martin Scorsese a déclaré au sujet des films Marvel. Ce terme de « contenu » qu’on entend partout, c’est avant tout quelque chose qui remplit le vide. Bien sûr qu’il faut que le cinéma soit divertissant, qu’il y ait de l’entertainment, mais le but est de créer quelque chose de spécial, qui résiste à l’épreuve du temps et qui parle de la condition humaine. Et Please Baby Please parle de choses profondes, de sentiments refoulés, de tenir son rôle dans la société, dans une relation, ce qu’on est opposé à ce qu’on voudrait être… C’est plus que remplir 1h35 de temps, Please Baby Please reste dans la tête bien longtemps après voir quitté le cinéma.

Il y a un très joli casting pour Please Baby Please, avec notamment Andrea Riseborough et Harry Melling. Comment avez-vous travaillé avec ce dernier  ?

Karl Glusman : J’espère qu’un film comme ça, avec son formidable casting et tout particulièrement une incroyable actrice principale, va être vu par beaucoup de gens. Je pense qu’Andrea Riseborough devrait être nommée pour quasiment chaque chose qu’elle fait, j’adore la regarder jouer sur un plateau.

Harry est un acteur extrêmement généreux. il y a une règle en improvisation, une phrase importante qui est : « oui, et ? ». C’est une invitation qu’on ne doit pas refuser, et Harry n’hésite jamais, ne s’emmêle jamais les pinceaux, il répond et il surprend toujours. C’est un privilège de travailler avec lui.

Il y a autre chose… J’ai fait ce film immédiatement après mon divorce avec mon ex-femme (Karl Glusman a été marié à Zoë Kravitz, ndlr). "Please Baby Please" m’a sauvé émotionnellement. J’étais dans une phrase très sombre, j’étais déprimé, et j’ai eu l’opportunité de faire ce film, dans le Montana, avec un tournage exclusivement de nuits, et des gens que je venais juste de rencontrer. C’était comme être dans un rêve, par rapport à la réalité où j’étais juste avant. Au moment où on se sépare de quelqu’un, on n’est pas forcément très ouvert, en prise avec l’intimité. Donc Harry a été la première personne que j’ai embrassée depuis un bon bout de temps ! Et c’était très agréable, affectueux, Harry a été très respectueux, un vrai gentleman. Je suis prêt à travailler de nouveau avec lui n’importe quand.

Il y a le nom d'un acteur légendaire qui revient souvent au moment d'évoquer votre performance dans Please Baby Please : Marlon Brando. Pas mal comme pression non ?

Karl Glusman : C’est un nom qu’on ne devrait pas avoir le droit de prononcer quand on fait un film ! Son ombre est si grande… Marlon Brando décrivait son personnage de Stanley Kowalski comme quelqu’un qu’il détestait, qu’il n’aurait pas aimé fréquenter. Mais, avec cette performance, il a apporté un niveau de sexualité et d’authenticité jamais vu à l’époque. Mon personnage Teddy est  clairement esthétiquement modelé sur le Johnny de Marlon Brando dans L’Équipée sauvage, mais je ne saurais pas l’imiter, et physiquement nous ne sommes pas les mêmes.

Je l’avais à l’esprit, à cause du style et de l’univers mis en scène par Amanda, mais pour ce genre de personnages il faut y aller à l’instinct, suivre sa première intuition, et quand j’ai lu le script j’ai pensé à une peluche à cause de son nom Teddy, comme "Teddy Bear", donc quelque chose de doux mais qui se révélerait dangereux, imprévisible, qui saurait intriguer et déstabiliser Arthur, le personnage d’Harry.

Je pense à Paul Mescal, qui joue en ce moment Un tramway nommé désir sur scène à Londres, et il a récemment expliqué dans une interview combien il essayait de se sortir la performance de Brando de la tête. J’ai du mal à imaginer comment on peut jouer ça, tant la performance de Brando est gravée dans mon esprit. Ce serait un défi immense. Heureusement, dans Please baby Please je n’avais aucune ligne de dialogue d’un de ses films.

On vous voit où prochainement ?

Karl Glusman : Le prochain film que je tourne en premier, je ne sais pas encore. J’écris,  mais j’ai reçu le conseil de ne pas en parler, juste d’écrire ! Je suis dans le nouveau film de Nick Cassavetes God is a bullet. j’ai travaillé avec Sam Levinson pour The Idol. Il y a aussi la comédie Little Death, et le prochain film d’Alex Garland Civil War, ainsi que dans Bikeriders de Jeff Nichols. Et j’en oublie !