La Douleur de Marguerite Duras à l'écran : un pari impossible?

La Douleur de Marguerite Duras à l'écran : un pari impossible?

Le pari touche à l'impossible: transposer à l'écran le récit de Marguerite Duras sur le retour de son mari Robert Antelme des camps de concentration, "La douleur", dont plusieurs passages touchent à l'innommable, au "non filmable", selon les propres mots du réalisateur Emmanuel Finkiel.

Une douleur indescriptible

Robert Antelme, qui fait partie comme Marguerite Duras du groupe de résistance de François Mitterrand (alias "Morland"), est arrêté le 1er juin 1944, emprisonné à Compiègne, puis déporté à Buchenwald puis Dachau.

Pendant des mois, la romancière, qui entretient une liaison avec l'ami de son mari, Dionys Mascolo, se consume dans l'attente. Lorsqu'il revient, c'est l'horreur: "trente-huit kilos répartis sur un corps d'un mètre soixante-dix-huit", décrit-elle. "De ce charnier" seule émerge la tête, "hagarde, mais sublime".

Pendant des jours, Robert Antelme, malade du typhus, se vide. Marguerite Duras décrit cette merde "inhumaine", cette "chose gluante vert sombre qui bouillonnait" et qui "le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des SS".

Voilà ce que le film ne peut parvenir à décrire, et c'est pourtant le coeur du récit. Lorsqu'elle publie le texte avec d'autres nouvelles sous le titre La douleur en 1985, Marguerite Duras explique ne pas se souvenir de l'avoir écrit: "Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis", s'interroge-t-elle.

Mélanie Thierry joue Duras

Cette épouvante, ce "désordre phénoménal de la pensée et du sentiment (...) au regard de quoi la littérature m'a fait honte" manque au film d'Emmanuel Finkiel, pourtant fort respectueux du livre.

Certes, le Paris de l'occupation est restitué avec soin, les personnages sont incarnés avec talent par Benjamin Biolay (Dionys), Benoît Magimel (le collabo Rabier) et la frémissante Mélanie Thierry (Marguerite). Mais on ne ressent pas l'angoisse poignante que restituait si bien la comédienne Dominique Blanc dans la pièce "La douleur" mise en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang au théâtre de l'Atelier en 2009.

Dans sa première partie, la plus réussie, La douleur s'attache à la deuxième nouvelle du recueil, "Monsieur X. dit ici Pierre Rabier", où Duras relate sa relation ambigüe avec un agent de la Gestapo qui lui donne des nouvelles de son mari.

L'histoire de Rabier est davantage dans l'action, elle permettait de tendre un fil qui relève presque du suspense.

explique le réalisateur, lucide.

La transposition de "La douleur" proprement dite est bien plus difficile à affronter. Là où Duras nomme la maigreur d'Antelme (Robert L. dans le récit), le gouffre de son appétit, la "merde" qui sort de ses entrailles, le film coupe le texte, élude, noie l'horreur. "Pour moi, le corps d'Antelme tel qu'il revient n'est pas filmable, le film dit ça aussi", reconnait le réalisateur.

L'image fuit le corps recouvert d'une couverture de "Robert L." à son retour des camps, la lente reconquête de la vie, et finit par diluer inéluctablement l'insupportable, si bien décrit par l'écriture acérée de la romancière.

Une dizaine d'oeuvres de Duras ont été adaptées au cinéma, y compris par la romancière, dont India Song et L'amant.