" Le film est sorti. Dans le climat de rumeurs nauséabondes qui l’ont entaché, mais il est sorti. Je peux un peu parler. "
Après les nombreuses polémiques ayant fusées sur les méthodes de travail d'Abdellatif Kechiche, le cinéaste récompensé d'une Palme d'Or à Cannes vient de publier un long texte sur Rue89, revenant point par point sur les accusations dont il dit avoir été victime. Y exprimant tout son ressentiment, il en profite pour revenir sur ce qui au final lui semble être qu'un " reflet parmi tant d'autres d'un malaise grandissant " au sein du cinéma français.
Née d'une violente campagne de presse dirigée contre ses méthodes de travail " tyranniques " et d'un témoignage au " relent un peu amer " du producteur Jean-François Lepetit à propos du tournage de La faute à Voltaire, la polémique n'a fait que s'enliser depuis le festival de Cannes.
Survenues juste avant son ouverture, ces deux premières déclarations avaient bien failli mettre fin à l'aventure cinématographique du réalisateur de Venus Noire et de L'esquive, comme cela aurait pu être le cas, selon lui, s'il n'avait pas obtenu cette Palme d'Or tant convoitée : " si mon film n’avait pas été récompensé à Cannes, je serais aujourd’hui un réalisateur détruit, comme on dit, un homme mort. "
Mais, comme on le sait, elles ne furent que les deux première pierres d'un long débat. En effet, le communiqué de presse d'un syndicat a par la suite été envoyé à Aureliano Tonet, journaliste du Monde, et principal détracteur du cinéaste, l’accusant d’avoir fait subir de terribles abus aux techniciens de Lille sur le tournage de La Vie d'Adèle - chapitres 1 et 2. Les charges sont lourdes : harcèlement moral, violations graves et nombreuses du code du travail, humiliations, méthodes de « tyran » passibles de poursuites ou de la camisole. Autant d'éléments de diffamation que Kechiche assure ne reposer que sur des anecdotes de tournage " déformées ". Prenant sa défense, la direction générale de Pictanovo, l’organisme qui a géré le tournage à Lille aurait d'ailleurs démenti ces propos.
" Diantre ! Que j’aie osé réclamer une montre ou un pull‐over comme accessoire, filmer un plateau d’huîtres ou demander à un collaborateur et néanmoins ami de démolir un mur en plein tournage suscite un tel emballement médiatique ? Que ne suis‐je pas déjà derrière les barreaux ? " se moque le cinéaste, loin d'avoir l'air accablé.
Il semble cependant beaucoup plus affecté, voire blessé par les plaintes " calomnieuses " de sa comédienne Léa Seydoux, alias Emma dans le film. Mais au-delà de sa dignité propre, Kechiche se dit alarmé par les conséquences de ces déclarations sur la vision des spectateurs :
" Cette calomnie, l’attribution de la Palme d’or à La Vie d'Adèle - chapitres 1 et 2 ne l’a pas lavée. Je dirais même : au contraire. Les retombées de ces accusations de « tyrannie » ont été et sont encore très importantes et polluent aujourd’hui la réception du film en raison des salissures aggravées par une nouvelle polémique ". " Car la vedette, c’est elle. Pas le film. Ni même Adèle. " ajoute-t-il au sujet de l'actrice.
Et pourtant, la polémique Léa Seydoux ne serait que la partie visible de l'iceberg. D'après le cinéaste, ses propos lui auraient en fait été suggérés par d'autres, ayant encore plus intérêt à démonter celui qui s'est vu attribuer la palme d'or 2013. Car la source du problème viendrait de bien plus loin. Aureliano Tonet, chef du service culture du Monde, se serait en effet formé au sein du magazine 3 Couleurs, créé par son ancien mentor, Marin Karmitz, accessoirement fondateur des cinémas MK2. Or il se trouve que déjà en 2012, alors que Haneke remportait la palme d'or, Karmitz n'avait pas moins de quatre films en compétition sur la croisette. Et ça n'est autre que Aureliano Tonet qui publiait, peu après la clôture du festival un article intitulé Collectionneur de Palmes d'Or, brossant le parcours du producteur Jean Labadie qui venait de récolter "cinq des sept prix de la compétition". Mais la plume de Tonet ne s'arrêtait pas là : elle y faisait habilement "état de liens entre le producteur du Pacte et le président du jury de cette année là, Nanni Moretti" évoquant ainsi l'existence d'un conflit d'intérêt de Moretti avec le palmarès.
Et pour appuyer son enquête, que Kechiche qualifie de mensongère, Tonet n'hésite à remonter jusqu'en 2004 dénonçant Tarantino d'avoir "offert" sa palme d'or au Fahrenheit 9/11 de Michael Moore.
Abdellatif Kechiche ne serait donc qu'une victime parmi d'autres : " A mon tour, cette année, d’être la cible d’une campagne acharnée de dénigrement qui vient des mêmes, de personnes dont les « méthodes » se ressemblent à s’y méprendre, et qui tombe, comme par hasard, à point nommé. Je l’ai dit, je le redis : il n’y a pas de hasard. "
Et ce hasard pourrait bien avoir des répercussions plus importantes selon le cinéaste qui finit de déballer tout ce qu'il a sur le coeur en partageant ses inquiétudes quant à l'avenir du cinéma français : " Cette affaire dépasse de très loin mon cas personnel. Je ne vois d’ailleurs dans la polémique dont je suis aujourd’hui l’objet que l’épiphénomène de maux plus importants qui menacent cette liberté de créer et même la survie du modèle culturel et économique du cinéma français. "
Dans un ultime élan d'espoir, il conclut sur appel au ministre de la culture Aurélie Filipetti, en lui rappelant que c'est tout un aspect de la culture française qui est aujourd'hui menacé par de tels conflits.
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=> Toutes les infos sur Abdellatif Kechiche
=> Toutes les infos sur La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
Julia Hu (23 Octobre 2013 avec Rue89)