Laure Calamy (Annie Colère): "Ce film donne de l'espoir, sur tous les sujets"

Laure Calamy (Annie Colère): "Ce film donne de l'espoir, sur tous les sujets"

Après "Zouzou" et "Aurore", la réalisatrice Blandine Lenoir retrouve l'actrice Laure Calamy pour le lumineux "Annie Colère". Un film sur le MLAC (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception), qui raconte une lutte collective méconnue. On les a rencontrées.

Annie Colère, liberté et solidarité

L'histoire du MLAC est méconnue, et pourtant ce court mouvement politique des années 70 a transformé la société française. Une histoire d'émancipation, d'affirmation de l'autonomie des femmes et de leur plein droit à disposer de leur corps. Avec ce récit de cette lutte particulière, se transmet grâce à l'écriture de l'auteure et l'investissement collectif des actrices de Annie Colère une conviction plus grande : celle de la nécessité de l'action collective et solidaire pour protéger des droits encore fragiles. On a rencontré Blandine Lenoir et Laure Calamy, respectivement derrière et devant la caméra de ce beau long-métrage.

Qu'est-ce qui vous a portées, toutes les deux, vers cette histoire ?

Blandine Lenoir : Je pense que je m'en suis sentie capable, en toute humilité. Je n'aurais pas fait ce film à 30 ans. Je me suis mis une pression de dingue, parce que c'est une histoire peu connue et que je voulais rendre hommage et rendre grâce à toutes ces femmes extraordinaires. Bref, je ne voulais pas me planter. J'ai donc été très rigoureuse sur l'aspect historique de Annie Colère, mais aussi sur ce que moi j'avais à en dire. Ce n'est pas qu'une page d'histoire, c'est aussi y voir clair dans ce qui me touche sur le sujet, pourquoi j'ai envie de raconter cette solidarité. Le MLAC ce n'est pas que l'avortement, c'est aussi l'action politique collective.

Annie Colère
Annie Colère ©Diaphana Distribution

Je ne m'en rends compte que maintenant, j'ai milité au sein de la BARBE, et j'ai vraiment vécu cette expérience du collectif qui te rend plus intelligente, plus forte, plus puissante du fait d'être à plusieurs, d'être unies dans une lutte commune avec des personnes qu'on ne connaît pas bien. Je me rends compte que je n'aurais pas pu faire Annie Colère sans cette expérience.

Annie Colère est une histoire de libération collective, c'est donc un portrait féminin universel ?

B. L. : Annie c'est un peu moi, un peu Laure, toute femme qui entre en féminisme. On entre en féminisme quand on vit une situation injuste, inexplicable, dégueulasse... Un truc de base que toutes les filles connaissent, à 12 ans tu as les seins qui poussent, et t'as plein de mecs qui te branchent dans la rue. Tu te sens salie, tu sais pas comment le gérer, tu te dis "c'est de ma faute", et puis tu te rends compte que toutes tes copines le vivent aussi, donc tu te dis "ah mais c'est pas moi en fait... peut-être que si on vit toutes ça et qu'on est ensemble, quelque chose va arriver...".

C'est ça l'entrée en féminisme, se rendre compte qu'on est très nombreuses à vivre les mêmes situations, et que si on s'y met toutes, ensemble, et qu'une majorité de mecs se révolte aussi contre ces situations, on va réussir à changer la société. C'est pour ça que le MLAC me bouleverse, c'est parce qu'elles et ils ensemble arrivent à transformer la société.

Laure Calamy : Ce qui me touche chez Annie, c'est que c'est quelqu'un qui n'a pas forcément aux mots comme elle le voudrait, qui ne formule pas sa pensée facilement. D'ailleurs a-t-elle une pensée à elle, dans la mesure où elle suit une route toute tracée ? Faire des enfants, travailler à l'usine, trouver normal d'être à sa modeste place et donc se tenir hors de la question politique, ne pas l'ouvrir. Elle va connaître une première colère, et c'est à partir de là qu'elle va commencer à participer au MLAC. Ça va la saisir, et l'ouvrir à des questionnements importants : c'est quoi être une femme ? comment on agit ensemble ? C'est quoi la connaissance de son corps ?

Elle va alors réussir, pas à pas, à s'autoriser, à penser, à se sentir capable, et d'arriver à formuler tout ça devant les autres. Il y a l'idée de faire fleurir des choses qui étaient profondément enterrées.

Finalement, la lutte pour l'avortement s'inscrit dans une lutte plus large pour devenir le sujet autonome de sa vie ?

B. L. : Même si on parle d'avortement, les corps ne sont jamais des objets dans Annie Colère. Ce sont des sujets actifs, même celles qui se font avorter. On leur parle, elles répondent, elles agissent.

L.C. : Parce qu'elles comprennent, par les autres, ce qu'il se passe, alors elles deviennent sujets, et le traumatisme de l'expérience disparaît.

B. L. : Ce qui est traumatisant, c'est aujourd'hui de devoir attendre 6 semaines pour un rendez-vous, être reçue comme de la merde, être endormie parce que ça arrange l'hôpital et que ça va plus vite, être culpabilisée... Ça c'est traumatisant. La loi est belle, elle existe et personne n'y touche. Mais l'effet pervers est qu'il est donc plus difficile de mobiliser les consciences. La clé, et c'est ce que veut transmettre Annie Colère, c'est que les luttes collectives payent.

Annie Colère
Annie Colère ©Diaphana Distribution

L.C. : Il y a quelque chose de lumineux, de galvanisant dans Annie Colère. Ce sont des gens qui agissent, et il n'y a rien de choquant. Je le dis et le  maintiens, c'est un film qu'on peut aller voir en famille, à partir de 10 ans, c'est un sujet passionnant. C'est notre histoire à toutes et à tous. C'est primordial. On ne parle toujours pas assez de l'avortement.

"Annie Colère" donne de l'espoir, sur tous les sujets. Et il le faut, parce qu'on a tellement un flux de merde qui nous arrive en permanence dans la gueule... Certains jours, je me sens comme une terre brûlée, en dépression, on se sent condamnés à l'impuissance, anesthésiés. Avec ce film, c'est tout l'inverse, on se dit qu'on est ensemble, et qu'on peut agir.