Laure Calamy (Une femme du monde) : "Mon personnage n'est pas une fille qui veut sortir de la prostitution, et cette idée dérange"

Rencontre avec Laure Calamy, bouleversante dans "Une femme du monde"

Laure Calamy (Une femme du monde) : "Mon personnage n'est pas une fille qui veut sortir de la prostitution, et cette idée dérange"

Après "Antoinette dans les Cévennes", Laure Calamy est de retour dans une nouvelle performance majeure avec "Une femme du monde", actuellement au cinéma. Dans la peau de Marie, prostituée indépendante et mère soucieuse de l'avenir de son fils Adrien, elle montre une nouvelle fois pourquoi elle est une des actrices les plus talentueuses de sa génération. On l'a rencontrée.

Si Laure Calamy exerce le métier d'actrice depuis le début des années 2000, faisant essentiellement ses armes au théâtre et dans des courts-métrages, tout s'est accéléré en 2011, avec un rôle remarqué et récompensé dans le court-métrage de Guillaume Brac Un monde sans femmes. À partir de là, l'actrice est de plus en plus demandée et s'illustre dans des seconds rôles de haute volée. En 2015, la révélation est totale avec son rôle de Noémie Leclerc dans la série Dix pour cent, grand succès critique et commercial qui a largement dépassé nos frontières.

Tout en gardant son rôle durant les quatre saisons de la série, elle s'inscrit par ailleurs comme une interprète précieuse du cinéma d'auteur français avant d'en devenir une muse, de manière éclatante, avec Antoinette dans les Cévennes en 2020. Une performance qui lui vaut un César et la consacre comme une des actrices les plus douées de sa génération. Récompensée à la 78e Mostra de Venise pour À plein temps, qu'on découvrira en mars 2022, elle est actuellement à l'affiche d'Une femme du monde, dans un nouveau rôle principal bouleversant et brillamment interprété. Rencontre.

Une Femme du monde est le premier long-métrage de Cécile Ducrocq, après notamment son très remarqué court-métrage La Contre-allée, avec vous déjà dans le rôle d'une prostituée. C'est un prolongement ?

Laure Calamy : Je dirais qu'il y a un autre souffle par rapport à La Contre-allée. J'ai suivi les différentes étapes d'écriture, et je pense que la difficulté pour Cécile était de ne pas coller à cette première histoire pour partir sur autre chose, avec l'histoire du fils. Mais oui, on retrouve ce thème de la mondialisation, celui des réseaux, les prix cassés, et une précarisation encore pire. Mais le sujet principal d'Une femme du monde est l'histoire d'amour entre cette mère et son fils.

On s'est vraiment soutenues au fil du processus, le financement n'a pas été facile, parce que mon personnage n'est pas une fille qui veut sortir de la prostitution, et cette idée a dérangé. Les prostituées libres, indépendantes, ce n'est pas la majorité de la prostitution, je crois avoir lu que c'était à peu près 20%, mais ça mérite néanmoins qu'on en parle et que ce soit légiféré.

Par ailleurs, ce qui est beau dans Une femme du monde, et moins fréquent, c'est que généralement quand on montre un personnage de prostituée, la personne est jeune. C'est beau de montrer aussi une femme d'âge mûr, dans sa quarantaine, et ça illustre d'autant plus la difficulté qu'elle peut avoir à exercer son métier, notamment face à la concurrence des réseaux.

La prostituée, c'est une personne très réelle, avec une forte identité sociale, mais aussi une grande figure artistique. Dans la littérature, au cinéma, dans la chanson, c'est un personnage riche et fascinant. Comment aborde-t-on un rôle comme celui-ci ?

L. C. : Ce qui est fascinant, c'est que ce sont des personnages souvent racontés dans leur fragilité, avec une vie difficile mais en même temps c'est un endroit où la femme manie les codes de la féminité, comme un instrument de pouvoir et de fascination. Une femme du monde décrit bien ça, notamment dans sa première séquence où on comprend que c'est la prostituée qui mène la danse. C'est elle qui décide des règles, quel est le prix, où ça, comment, etc.

Sur ces sujets, j'adore le film Maîtresse de Barbet Schroeder, parce que le personnage est une dominatrice, ce dont on parle encore moins, avec tout un rituel d'apparition, il y a quelque chose qui m'intéresse beaucoup dans cette démarche. Dans Une femme du monde, ce n'est ni misérabiliste ni une vision glamour. Ça va vers un métier normal, avec une femme qui a un gosse et essaye de mener sa vie comme tout le monde.

Une femme du monde
Une femme du monde ©Tandem

Avant même de rencontrer Cécile, j'ai toujours été intéressée par les personnages de prostituées. Je reviens souvent à un poème de Grisélidis Réal, Mort d'une putain. C'était une écrivaine suisse, prostituée, artiste, une femme exceptionnelle. Elle est connue pour le Carnet de bal d'une courtisane, un carnet où elle répertoriait tous ses clients, avec leur âge, ce qu'ils aimaient, et des notes sociologiques. Et c'est un petit hommage quand on me voit noter dans un carnet, au début, la relation avec le premier client du film.

Une femme du monde est le portrait d'une femme, Marie, et une chronique sociale sur le milieu de la prostitution indépendante, avec ses dangers et ses revendications.

L. C. : La dangerosité de la prostitution libre, c'est vraiment la précarisation qui crée des conditions difficiles, l'obligation de se cacher, de ne pas avoir de droits. Ce regard moral a à voir avec la liberté des femmes à disposer de leur corps, et c'est quelque chose que j'aime raconter aussi. Si librement je décide de gagner ma vie en louant mon corps, comme le disent les travailleurs du sexe, c'est mon droit le plus absolu : "mêlez-vous de votre cul" ! L'argument des abolitionnistes est de dire "oui mais ces choix sont, souvent, des résultats d'abus, etc." Tous les gens abusés ne se prostituent pas, et dans le cas où des gens auraient subi des abus, ce serait atroce de leur refuser le libre-arbitre de choisir leur vie, ce serait une infantilisation.

Est-ce qu'il y a eu des scènes éprouvantes à tourner ?

L. C. : Physiquement, ce ne sont pas les scènes de sexe qui sont éprouvantes. Bon, peut-être celle avec le client moldave, comme il est violent, on va dire que c'est un peu remuant. Mais c'est dur pour lui aussi, de faire le mec violent. Il était du coup très attentionné, me demandait tout le temps si ça allait, il était adorable et on s'entendait très bien. Les scènes de passe n'étaient pas un problème, parce qu'on en rigole, et les acteurs sont des professionnels, donc on est toujours au bon endroit. Nos corps sont des instruments de travail, on rigole facilement avec ça. Sinon, peut-être avec Martin (Maxence Tual), quand je viens lui faire du chantage. Bon quand c'est moi qui le secoue ça va parce que je suis active, mais quand c'est lui, et comme on a fait des prises toute la nuit, j'étais fourbue à la fin !

Une femme du monde
Une femme du monde ©Tandem

Voilà maintenant plusieurs films où vous êtes le rôle principal, très principal même. Comment on gère ce statut, avec potentiellement de très fortes attentes ?

L. C. : Pour Antoinette, j'avais la pression, mais en réalité j'ai toujours une appréhension au départ, on ne se connaît pas forcément avec l'équipe, et je peux avoir une petite tendance à trop me poser de questions... C'est un truc classique chez les acteurs et les actrices de se sentir illégitime, d'autant plus quand on a un prix. En fait, tout ce avec quoi on peut se rendre illégitime, on le chope. Enfin moi, personnellement, oui ! Mais une fois que je plonge dedans, le travail l'emporte et quelque chose se dessine.

Quand on est là pour travailler 8 ou 10 jours, il ne faut pas se rater, on n'a pas le temps de refaire. Ça peut créer des frustrations, se dire qu'on n'a pas le temps de chercher plus loin, de réessayer. Mais si on est là tout le temps, dans une discussion permanente comme ici avec la réalisatrice, on travaille en continu, donc dans ce sens la pression est moindre. C'est plus confortable d'être là tout le temps. Sauf si ça se passe mal ! Ce qui ne m'est pas arrivé pour l'instant, heureusement.

Laure Calamy
Laure Calamy - César 2021 © THOMAS SAMSON / AFP

Vous avez été récompensée du César 2021 de la meilleure actrice, comment l'avez-vous vécu ?

L. C. : Ça fait plaisir, évidemment. Ça me touche, et je le prends comme un encouragement ainsi qu'une reconnaissance pour le travail effectué avec Caroline Vignal. Après, je n'y pense pas, c'est plutôt autour qu'on en parle, parce que c'était mon actualité en 2021. Ce qui est agréable, maintenant, c'est que juste après j'avais vraiment peur que ça arrête quelque chose. Il y a parfois un effet paradoxal, les gens ne vous proposent plus. Je me souviens qu'Emmanuelle Devos en avait parlé, elle avait reçu beaucoup moins de propositions pendant un an.

Mais ce n'est pas mon cas, et c'est un soulagement. Pour les réalisateurs, pour tout le monde, il y a le risque d'avoir un petit effet paralysant. On aimerait bien que les gens deviennent amnésiques, on passe la soirée où on l'obtient, on est content et ça fait plaisir, et puis après que tout le monde oublie et passe à autre chose.