"Parler du sujet, c'est aller dans son horreur" : dans les coulisses du thriller "Le Successeur"

"Parler du sujet, c'est aller dans son horreur" : dans les coulisses du thriller "Le Successeur"

On a rencontré Xavier Legrand, pour son nouveau film après "Jusqu'à la garde", et Marc-André Grondin, son acteur principal pour le thriller renversant "Le Successeur". Ils nous emmènent dans les coulisses de ce film à la cruauté folle et porté par la grande performance de son interprète.

Après Jusqu'à la garde, comment en arrive-t-on à Le Successeur ?

Xavier Legrand : C’est une adaptation très libre d’un livre que j’ai découvert en 2015, avant de tourner Jusqu’à la garde. J’ai eu une sorte de sensation de malaise, de choc, il y avait un terreau assez intéressant. J’ai été marqué, mais je ne pensais alors pas en faire un jour une adaptation. Puis j’ai tourné Jusqu’à la garde, qui est sorti à un moment où les violences faites aux femmes n’étaient pas encore au centre de tous les débats, et j'ai longtemps accompagné le film.

La société a changé, il y a eu MeToo, l’expression "violences faites aux femmes" s’est démocratisée. Moi-même je l’utilisais, mais je me suis rendu compte qu’elle était un peu sournoise, parce que dans cette expression il n’y a pas le problème principal : l’homme. Et je me suis dit qu’il fallait parler de la "violence des hommes". Pour aller au coeur du sujet regarder les choses en face.

Ce qui est saisissant dans Le Successeur, c'est qu'on pense s'éloigner de ce sujet mais on y revient que plus violemment.

Xavier Legrand : Je traitais du patriarcat dans Jusqu'à la garde. Dans ce deuxième volet, parce que je suis en train inconsciemment de faire une sorte de trilogie - mon troisième sera aussi une forme de regard sur le patriarcat -, j’avais envie de parler du patriarcat qui écrase les hommes. Le bouquin m'est donc revenu. Avec cet "héritage" du patriarcat, de la masculinité, je trouvais que son contexte était très intéressant pour développer le sujet de manière symbolique.

J’ai voulu extraire encore plus puissamment la tragédie du livre, au sens grec, avec une chute monumentale, un désastre total, un cauchemar éveillé. J'ai poussé les curseurs, ce pourquoi on remarque peut-être plus le "genre", son aspect spectaculaire, il apparaît peut-être moins ancré socialement que Jusqu’à la garde.

Le Successeur se donne avec une forme de thriller plus soutenue que Jusqu'à la garde. Il y a une inclination vers le cinéma de genre ?

Xavier Legrand : Jusqu’à la garde commençait comme un film de procès, pour terminer dans une scène d’horreur. Vouloir parler du sujet c’est ne pas l’escamoter, et c'est donc aller dans son horreur. Pour Le Successeur, c’est pareil. On est dans une situation inédite, de bout en bout un cauchemar éveillé pour le personnage. Je ne pouvais pas ne pas aller dans cette horreur, même si je n’ai pas l’impression de travailler un genre en particulier.

Marc-André, comment avez-vous composé ce personnage qui vit ce cauchemar ?

Marc-André Grondin : C’était déjà un cadeau que Xavier veuille travailler avec moi. J’avais adoré Jusqu’à la garde. Quand j’ai lu le scénario, une partie de moi a saisi cette occasion, et une autre le défi aussi, outre la nature lourde de certaines scènes, du huis clos. Ne pas pouvoir se rabattre sur la performance d’un collègue pour la sienne. Les acteurs sont comme les musiciens d’un même groupe, on s’écoute, on s’influence. Mais là quand tu es seul…

Par naïveté peut-être, j’avais sous-estimé sa noirceur, son côté physique, comme si je m’étais dit : "On va aller au fond, et ça c’est le fond". Puis Xavier arrive et dit : "Non, le fond est bien plus profond que ça". (Rires).

Ce qui est sûr, c’est que d’être si souvent seul, dans le même décor, il y a eu un abandon. Je me suis abandonné à Xavier, et il m’a guidé. Tourner dans l’ordre chronologique a aussi aidé. La fatigue et la fragilité s’installent au fur et à mesure du tournage, et toutes les couches de protection qu’on peut avoir en tant qu’acteur finissent par s’effriter. J’ai eu accès à des émotions qui sont plus difficiles d’accès normalement.

Ellias Barnès (Marc-André Grondin) - Le Successeur
Ellias Barnès (Marc-André Grondin) - Le Successeur ©Haut et Court

Marc-André Grondin : Xavier est extrêmement précis. Même s’il y a des moments où on peut chercher, il cherche mais parce qu’il sait exactement où il veut aller, on connaît peut-être pas encore le chemin mais on va y aller. Ça peut être déstabilisant, parce qu’on peut alors prendre une gorgée de café dix huit fois et « morver » une seule fois.

Il y a eu des moments où je ne savais plus, d’une prise à l’autre, si c’était bon ce que je faisais. Il me disait : "Pour moi c’était parfait. Tu veux une autre prise ?". Je répondais : "Non !" (rires).

C’est mon boulot, je dois de prendre ce qu’il a dans sa tête et essayer de lui donner, de matérialiser ça. Quand il est satisfait, c’est qu’on y est. C’est aussi sécurisant parce que, le soir, quand tu rentres chez toi, tu sais que le réalisateur a eu ce qu’il voulait. Ça arrive souvent, en tant qu’acteur, que tu rentres chez toi en te disant : "Pourquoi on a fait ça ? C’était peut-être pas la meilleure prise…"