Léa Domenach (Bernadette) : "Nous n'avons pas prévenu la famille Chirac que nous faisions le film"

Léa Domenach (Bernadette) : "Nous n'avons pas prévenu la famille Chirac que nous faisions le film"

Catherine Deneuve incarne une première dame aussi drôle que touchante dans la comédie "Bernadette". À l'occasion de la sortie du film, sa réalisatrice Léa Domenach nous a raconté la genèse de ce projet, l'implication de son actrice principale et l'envie de mettre en scène une fable moderne.

Bernadette : Catherine Deneuve impériale en première dame

Comédie réjouissante, Bernadette débute avec l'arrivée de Jacques Chirac (Michel Vuillermoz) et de son épouse, incarnée par l'immense Catherine Deneuve, à l'Élysée. Elle se rend compte avec l'aide de son conseiller Bernard Niquet (Denis Podalydès) que son entourage la juge froide, acariâtre et ringarde. Elle décide donc de redorer son image, de dévoiler sa véritable personnalité et d'arrêter de subir le mépris de proches qui ne la voient plus que comme un élément de décor.

Bernadette
Bernadette ©Warner Bros.

Rempli de répliques savoureuses, dressant un portrait de femme moderne et assumant une mise en scène chatoyante en parfait accord avec son personnage, Bernadette est une véritable réussite. Cocréatrice de la série Jeune & Golri et coécrivaine de l'ouvrage Les Murs blancs avec son frère Hugo, Léa Domenach signe un premier long-métrage tour à tour hilarant et touchant, qui s'approprie des faits réels pour imposer un ton singulier. Pour la sortie du film, nous avons échangé avec la cinéaste, qui nous a notamment raconté son envie de se consacrer à une figure française pour raconter une histoire "universelle".

Rencontre avec Léa Domenach

Comment est née l'idée de consacrer un film à Bernadette Chirac ?

Léa Domenach : Bernadette Chirac, c'est un personnage qui a peuplé mon enfance et mon adolescence. Déjà parce que c'était la femme du président quand j'ai grandi mais aussi parce que mon père (Nicolas Domenach, ndlr) est journaliste politique et qu'il a beaucoup travaillé sur Jacques Chirac, donc j'en ai beaucoup entendu parler.

Avant, j'en avais plutôt l'image d'une femme un peu raide, un peu ringarde. Les Guignols de l'info ne l'ont pas beaucoup aidée là-dessus. Puis un jour, j'ai vu le documentaire Bernadette Chirac, mémoires d'une femme libre réalisé par Anne Barrère, qui était sa conseillère en communication, à l'époque où Bernadette avait 80 ans et racontait tout sans langue de bois, de façon hyper marrante, hyper punchlineuse. J'ai vraiment découvert aussi son histoire, cette revanche sur la vie, comment elle est passée de l'ombre à la lumière. J'ai trouvé ça hyper intéressant.

Bernadette
Bernadette ©Warner Bros.

Non seulement c'était intéressant mais ça a résonné en moi, qui suis une fille de gauche, féministe, pas du tout conservatrice, pas du tout du même milieu. Donc je me suis dit : "Si la vie de Bernadette résonne en moi, ça veut dire qu'il y a quelque chose d'un peu universel". Et j'ai parlé de tout ça avec ma coscénariste Clémence Dargent, avec qui je travaillais sur d'autres choses. Et elle m'a dit : "C'est incroyable, je m'identifie totalement, je suis Bernadette Chirac". (rires) Donc je me suis dit que si cette histoire touche aussi quelqu'un comme Clémence qui a dix ans de moins que moi, c'est qu'il y a vraiment quelque chose d'universel et qu'il faut la raconter.

Le choix de la comédie pour raconter cette histoire s'est imposé tout de suite ?

Léa Domenach : Oui, pour moi c'était une évidence, je voulais faire une comédie. C'est un personnage de comédie, déjà parce que c'est quelqu'un de très drôle, et je trouvais ça chouette de rire avec elle après des années où on s'est moqué d'elle, même si c'est aussi un peu le cas dans le film, mais avec tendresse.

C'était aussi une façon de la rendre actrice de cette histoire. Donc ça s'est imposé assez vite. Et c'est un genre que j'aime bien, dans lequel je me sens assez à l'aise. Ce n'est pas vraiment un film politique parce qu'à part que c'est un film féministe, ce n'est pas de la politique politicienne. Mais je trouvais ça aussi chouette d'avoir une comédie qui se passe dans ce monde-là parce qu'il n'y en a pas tant que ça.

Bernadette
Bernadette ©Warner Bros.

Effectivement, le film n'est pas moqueur envers Bernadette, beaucoup plus envers Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy. Comment avez-vous dirigé Catherine Deneuve pour arriver à ce résultat ?

Léa Domenach : Ma volonté, c'était d'incarner avant d'imiter. C'est pour ça que je voulais une actrice qui ne ressemble pas à Bernadette et qu'on n'irait pas grimer. Et c'est marrant parce que Michel Vuillermoz et Laurent Stocker (qui jouent respectivement Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ndlr) ne leur ressemblent pas du tout, même si certaines personnes me disent le contraire.

C'est une question de dosage, c'est-à-dire que Michel a par exemple piqué quelques petites choses à Chirac, notamment dans la posture. En revanche, pas du tout dans l'intonation. Alors que Laurent pousse le curseur un peu plus loin. Parfois, je trouvais qu'il était trop dans l'imitation, donc je n'arrêtais pas de baisser. Et finalement, au montage, j'ai choisi les prises où il accentuait, parce que ça me faisait hurler de rire. Peut-être aussi parce que Sarkozy est un personnage comique en soi donc je trouvais que ça marchait, que ça ne détonnait pas que tout d'un coup Laurent soit un peu au-dessus et que Catherine soit un peu en dessous, au niveau de la ressemblance.

Par contre, ce que je ne voulais pas, c'était qu'on passe le film à se dire : "Est-ce qu'elle lui ressemble ?", "Est-ce qu'il l'imite bien ?". Ce n'était vraiment pas le but.

Vous avez immédiatement pensé à Catherine Deneuve pour incarner Bernadette Chirac ?

Léa Domenach : Oui et non. La première fois que je suis entrée dans le bureau de mes producteurs, je n'avais pas le scénario, j'avais l'ébauche d'une idée, ils m'ont demandé : "Tu verrais qui en Bernadette ?" Et j'ai répondu Catherine Deneuve. Ils m'ont dit qu'on allait d'abord l'écrire et qu'on verrait. (rires)

Bernadette
Bernadette ©Warner Bros.

Ensuite, nous nous sommes forcées avec Clémence à ne penser à personne, et c'était la bonne chose à faire d'ailleurs. Sinon, on allait se perdre et devenir schizophrènes, à naviguer entre Bernadette Chirac et Catherine Deneuve... On a vraiment essayé de créer des personnages qui s'inspiraient des personnes existantes mais en s'en détachant aussi. Donc je n'ai vraiment pas écrit pour Catherine, c'était une idée au départ, puis c'est revenu bien plus tard.

Avec Catherine, comme avec tous les autres acteurs et toute l'équipe, je me suis sentie aidée, portée, poussée, pas du tout jugée, vraiment accompagnée. Catherine s'implique énormément dans les films et notamment dans les premiers films. Elle ne donne aucune leçon. Elle a complètement respecté ma vision mais on a aussi beaucoup discuté, on a regardé les rushs ensemble. Il y a un vrai dialogue qui s'est créé autour du film, qui va au-delà de son rôle, qui concerne aussi les décors choisis par exemple.

L'idée, c'était vraiment qu'on soit avec elle et son personnage tout le temps, qu'on traverse toute cette épopée avec elle, qu'on rie avec elle, qu'on pleure avec elle, qu'on soit touché avec elle.

Comment avez-vous pensé l'identité visuelle et la photographie du film, qui s'accordent à l'univers à la fois très feutré et coloré de Bernadette Chirac ?

Léa Domenach : On a beaucoup discuté avec la cheffe opératrice (Elin Kirschfink, ndlr). Je voulais quelque chose de très coloré et qui fasse aussi référence aux années 1990. On a essayé plusieurs filtres, pour qu'il y ait un côté un peu glow, un peu rouge. Je voulais que les polices soient fluos...

Bernadette
Bernadette ©Warner Bros.

Et en même temps, on ne voulait pas que ce soit trop agressif. On ne voulait que ça fasse aquarium. Pour les intérieurs, notamment dans le palais, on voulait quelque chose de feutré avec également un côté glow, intime et presque magique. Il fallait presque qu'il y ait un côté carton-pâte, pour qu'on soit vraiment dans la fable. C'est vraiment très assumé. Je ne voulais surtout pas faire un film naturaliste. D'ailleurs, il y a très très peu de caméra à l'épaule, tout est très posé, la mise en scène est hyper découpée. Le côté Walt Disney, on l'assume.

Vous avez eu des contacts avec des membres de la famille Chirac, ou de leur entourage ?

Léa Domenach : Oui, mais pas avant. L'idée, c'était vraiment qu'on soit libres, qu'on puisse faire ce qu'on voulait. On ne les a pas prévenus qu'on allait faire le film, on ne les a pas prévenus pendant le tournage. Parce que juridiquement, à partir du moment où on les prévenait, ils avaient le droit de lire le scénario et de regarder le film, ce qu'on ne voulait pas.

Par contre, quand le film a été terminé, on leur a proposé de le voir et ils l'ont vu. Mais ce n'est pas à moi de dire ce qu'ils en ont pensé, ils le diront si ils veulent le dire, mais en tout cas ils l'ont vu. (rires)

Bernadette est à découvrir au cinéma dès le 4 octobre 2023.