Les Dents de la mer : le secret d'un trucage brillant et dangereux du chef-d'oeuvre de Steven Spielberg

"On a souvent besoin d'un plus petit que soi"

Les Dents de la mer : le secret d'un trucage brillant et dangereux du chef-d'oeuvre de Steven Spielberg

Chef-d'oeuvre du cinéma et démonstration du génie précoce de Steven Spielberg, "Les Dents de la mer" reste le thriller estival ultime, parfait et terrifiant, plus de 45 ans après sa sortie. Et pour tourner une de ses séquences les plus intenses, il a fallu passer par un trucage aussi malin que terrifiant...

Les Dents de la mer, un tournage épique

Pour présenter en 1975 son deuxième long-métrage de cinéma, Les Dents de la mer, Steven Spielberg est passé par un tournage devenu légendaire. Problèmes récurrents sur les requins mécaniques utilisés, budget initial de 4 millions qui finit par culminer à 9 millions, équipes terrassées par le mal de mer, Robert Shaw (Bart Quint) et Richard Dreyfuss (Matt Hooper) qui ne pouvaient pas se voir, bateau qui sombre, scénario sans cesse retouché... La liste des déboires est longue.

Mais le jeune réalisateur avait déjà son génie, et sa détermination a finalement payé. Les Dents de la mer est un immense succès, un thriller horrifique exemplaire qui tient encore aujourd'hui la dragée haute à la plupart de productions du genre.

Les Dents de la mer
Les Dents de la mer ©Universal Pictures

Puisque les requins mécaniques fabriqués pour le film proposaient un réalisme très limité, Steven Spielberg a fait le choix de souvent suggérer sa présence, de l'animer aussi par son point de vue, avec par exemple ces plans sous-marins terrifiants entre les jambes des baigneurs. Mais pour certains plans, il a eu recours à des images de vrais requins blancs. Tout particulièrement pour une des scènes de la séquence finale.

Le requin du film est grand, très, très grand, d'un gabarit qu'on trouve rarement dans la nature. Il était évident que les vrai requins blancs filmés pour cette scène auraient une taille plus standard, à savoir vers les 4 mètres. Quand celui du film est estimé environ au double. Un problème d'échelle auquel la production a apporté une solution.

Profil du job : cascadeur, plongeur et de très petite taille

C'est dans l'édition du Time du 23 juin 1975, soit quelques jours après sa sortie dans les salles américaines, qu'est ainsi raconté comment Carl Rizzo, ancien jockey devenu doublure pour le cinéma, s'est retrouvé embarqué sur un bateau au large de l'Australie pour une tâche tenue secrète durant la production. De très petite taille, environ 1m30, il est à l'aise avec les chevaux mais beaucoup moins avec les requins.

À bord d'un petit navire avec le spécialiste des requins - et survivant d'une attaque - Rodney Fox, ainsi que le couple formé par Valerie et Ron Taylor, deux plongeurs très expérimentés et réalisateurs de documentaires sur les grands squales, Carl Rizzo est doté d'un équipement de plongée pour enfant et placé dans une cage elle aussi de taille réduite pour créer l'illusion. Le mal de mer, la peur, l'eau froide et la présence d'un vrai requin blanc lui sont difficiles à supporter. Mais le couple Taylor et Carl Rizzo doivent produire plusieurs images. Notamment pour la séquence où Matt Hopper est attaqué par le requin, l'obligeant à fuir à grands coups de palmes et se cacher. Et dans plusieurs plans de cette séquence (vidéo ci-dessous, à partir de 2'51), on voit le requin détruire la cage, dans des mouvements rageurs.

Un requin blanc déchaîné et destructeur

Valerie Taylor racontait ainsi cette séquence dans le passage de sa biographie, Valerie Taylor: An Adventurous Life, consacré au tournage de Les Dents de la mer :

On a essayé de convaincre Carl de retourner dans la cage, mais sa peur était revenue. (...) Carl répétait "Je ne le sens pas" alors que Rodney essayait de l'amadouer.

Rodney était en train de fixer le détendeur de Carl quand le nouveau requin a contourné le gouvernail du bateau. Il s'est approché de la coque et a cogné les câbles de la cage de Carl attachés au treuil. À cet instant on a tous eu un pic d'adrénaline. L'animal a de nouveau tourné autour du gouvernail et a tapé fort contre la cage. Il a alors paniqué et sauté dessus, se coinçant dans les câbles qui retenaient la cage au treuil. Soudain le petit bateau s'est mis à pencher violemment, prenant tout le poids du requin.

L'animal, qui pesait au moins une demi-tonne, s'est débattu avec une incroyable énergie, usant de toute sa terrifiante puissance pour se dégager des câbles et retourner en profondeur. Tout sur le bateau a volé, le requin utilisant chacun de ses muscles pour s'échapper, sa grande nageoire caudale balayant le pont. La bête se tenait presque sur sa tête, et son mouvement le plus violent fut le dernier, qui a coupé les câbles dans un grand bruit. Rodney a alors tiré Carl vers lui, avant que dans une fontaine d'écume le requin, le treuil, la cage et une partie du bateau ne disparaissent.

Des images authentiques et idéales pour le film

Ayant échappé in extremis à un accident mortel, Carl Rizzo est alors choqué. Hébété, il a du mal à reprendre ses esprits. Il demande ainsi à l'équipage s'il est blessé, méprenant un liquide hydraulique rouge répandu par la casse pour son sang. Heureusement, sa réticence à entrer dans la cage l'a sauvé. Réalisant ce qu'il venait de se passer, Valerie Taylor raconte que le cascadeur a alors couru aux toilettes pour y vomir...

Les Dents de la mer
Les Dents de la mer ©Universal Pictures

Ron Taylor a pu filmer toute la scène en plongée. Il remonte alors avec des images formidables. Rodney Fox, Valerie et Ron Taylor avaient reçu de Spielberg la demande de mettre en boîte 16 plans. En plus de ceux-là, ils lui ont donc offert la furie du requin emmêlé dans les câbles. Que Spielberg n'a eu aucun mal à intégrer au scénario et au montage final, pour sublimer encore son film et premier chef-d'oeuvre.