Lost in the Night : "Ester Expósito pouvait facilement s'identifier à son personnage"

Lost in the Night : "Ester Expósito pouvait facilement s'identifier à son personnage"

Le réalisateur mexicain Amat Escalante nous parle de son nouveau thriller dramatique "Lost in the Night" et de sa collaboration avec les actrices Ester Expósito et Bárbara Mori.

Lost in the Night, un thriller glaçant avec Ester Expósito

Lost in the Night marque le retour au cinéma du réalisateur mexicain Amat Escalante, après avoir dirigé plusieurs épisodes de la série Narcos: Mexico. Avant cela, le cinéaste s'était fait remarquer avec des films comme Heli (Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2013) et La Région sauvage (Lion d'argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2016), où la violence est abordée de manière glaçante.

Avec Lost in the Night, le réalisateur renoue avec certaines thématiques (la violence policière) et ne renie pas son cinéma (sa représentation réaliste de la sexualité chez des jeunes), d'un réalisme dur et effrayant, tout en s'interrogeant sur de nouveaux sujets.

Lost in the Night ©Paname Distribution
Lost in the Night ©Paname Distribution

L'histoire suit Emiliano, que se fait recruter par une riche famille qu'il soupçonne d'avoir un lien avec la disparition de sa mère. Lui n'est qu'un employé parmi d'autres, tandis que la famille Aldama se compose d'une mère célèbre, un père artiste connu pour avoir fait de la dépouille d'un pédophile une œuvre artistique, et une fille suivie sur les réseaux sociaux pour ses vidéos dans lesquelles elle simule un suicide.

Habitué à tourner avec des acteurs non professionnels, Amat Escalante dirige cette fois Juan Daniel García Treviño (Emiliano), Bárbara Mori (Carmen), Fernando Bonilla (Rigoberto) et surtout Ester Expósito (Monica), révélée avec la série Élite. L'occasion pour le cinéaste de pointer les rapports de classes et le rapport à l'art avec des personnalités proches de leurs personnages, comme il nous le confiait pour la promotion du film.

Il y a dans votre cinéma une représentation extrêmement froide de la violence et de la sexualité, et cela se confirme à nouveau avec Lost in the Night.

J'ai toujours trouvé que la violence et la sexualité étaient des choses mystérieuses. Mon envie est donc de les observer en les regardant droit dans les yeux d'une certaine manière. J'ai toujours essayé de maintenir cette approche. Car, pour moi, il y a dans le simple fait de regarder les choses une forme de brutalité et de violence. Il ne s'agit pas juste de montrer les choses, mais de le faire sous cet angle, en ne permettant pas au spectateur de regarder à côté. Cela me semble plus honnête de la sorte.

C'est la même chose pour la sexualité. Par exemple, si on prend la pornographie. Il y a quelque chose de vraiment beau dedans, bien que ce soit une industrie controversée et sur laquelle il faut se questionner avec de réels problèmes. Mais dans l'image, dans ce qui est montré, ce qui m'attire c'est, qu'après cela, qu'est-ce qu'on peut montrer de plus ? Rien, c'est comme arriver au bout d'un chemin.

Lost in the Night ©Paname Distribution
Lost in the Night ©Paname Distribution

Il y a dans mon cinéma quelque chose lié à cela, mais aussi une forte influence de films français des années 1990, comme ceux de Catherine Breillat, Bruno Dumont ou Gaspar Noé. Leur manière de montrer la sexualité m'a beaucoup inspiré quand j'ai commencé à faire des films.

Il y a aussi une brutalité dans la façon dont les événements tragiques tombent sur vos personnages, sans y préparer le spectateur.

Oui, c'est pour moi une manière de m'approcher du véritable sentiment de tragédie. Si vous êtes victime d'un accident de voiture, vous ne savez pas que cela va arriver. C'est toujours un challenge pour moi de m'approcher de ça dans un film. Le fait de se rapprocher de la vraie vie, de ne pas savoir ce qu'il va se passer, rend le tout bien plus effrayant pour moi. Mais ce n'est pas toujours évident. Si vous prenez le cas d'Hitchcock qui construit parfaitement le suspense en suivant des règles. C'est ce qui fait que ses films sont passionnants et plus satisfaisants pour une audience.

Dans Lost in the Night, vous montrez cette fois le monde artistique et des célébrités, avec des personnages à la morale douteuse.

L'idée qui m'intéressait, c'était la contradiction dans le fait de créer de l'art à partir de tragédies. C'est quelque chose qui arrive souvent. Et je ne dis pas que c'est un problème. Ça a toujours été comme cela, dans la littérature ou la peinture. Donc je n'y vois pas quelque chose de moralement problématique. Mais quand on utilise une vraie tragédie pour divertir, il y a tout de même des questions à soulever. Ne serait-ce que sur l'honnêteté de l'artiste.

Ester Expósito - Lost in the Night ©Paname Distribution
Ester Expósito - Lost in the Night ©Paname Distribution

Cela s'applique d'ailleurs à moi et à mes films, car ils évoquent l'injustice et des situations difficiles pour des gens au Mexique, et j'en tire des films. Donc dans Lost in the Night, je pose la question, mais sans dire si c'est bien ou mauvais. Il se trouve que le personnage du film, Rigoberto, ne fait pas correctement de l'art. Il fait des erreurs. Sans aller jusqu'à dire que c'est le méchant du film, son approche de l'art n'est pas bonne, car il est vraiment dans une utilisation des autres pour son propre bénéfice. Mais plus que son cas, c'est vraiment la noirceur de la situation qui m'intéressait.

Vous avez beaucoup travaillé avec des acteurs non professionnels. Mais avec Ester Expósito et Bárbara Mori vous avez cette fois deux actrices célèbres.

Les personnages de base étant connus, il fallait des acteurs qui puissent s'en approcher. Ester Expósito et Bárbara Mori peuvent facilement s'identifier à Monica et Carmen, car elles ont des similitudes avec elles. Bárbara Mori est très populaire pour des soaps opera au Mexique et en Amérique Latine. Les gens la connaissent pour ça avant tout. Ça m'intéressait d'avoir cette actrice liée à ce point à une œuvre, tout comme son personnage.

Bárbara Mori - Lost in the Night ©Paname Distribution
Bárbara Mori - Lost in the Night ©Paname Distribution

C'est tout de même une vraie surprise de voir Ester Expósito dans un tel film indépendant.

Je trouvais ce paradoxe intéressant, ça m'amusait même. C'était également un plus d'avoir cette actrice qui a la maîtrise et la connaissance des réseaux sociaux, comme son personnage. Mais j'ai découvert quelqu'un de très professionnel et d'impliqué. Donc j'étais très heureux de travailler avec elle. Et puis, vous savez, j'aime faire des choses différentes dans mes films. Comme avoir une créature dans mon précédent film La Région sauvage. Ici, jouer avec des personnages et des personnalités célèbres était finalement assez naturel car dans la lignée de ce désir de nouveauté.

Justement, en parlant de nouveauté, comment voyez-vous l'évolution de votre cinéma ?

À chaque film j'essaie de corriger les erreurs du précédent. Donc dire qu'il y a une évolution, je ne sais pas. Je dirais plutôt que j'apprends beaucoup au fur et à mesure, sur ce que j'aime ou n'aime pas faire. Éventuellement, l'évolution aura été de faire des films toujours plus gros. Mais ce n'est peut-être pas la bonne approche. J'aimerais bien revenir à quelque chose d'encore plus intime, car ça me permettrait de faire encore quelque chose de différent.

Il y a également ma façon de travailler avec les acteurs qui a peut-être changé après mon expérience sur la série Narcos Mexico où j'ai dû diriger beaucoup de comédiens de manières très différentes. C'était quelque chose de nouveau et je pense avoir grandement appris pour la suite.

Lost in the Night sort dans les salles le 4 octobre 2023.