Mathieu Kassovitz (Les Rois de la piste) : "Je ne suis pas le public des films que je fais"

Mathieu Kassovitz (Les Rois de la piste) : "Je ne suis pas le public des films que je fais"

Rencontré l'occasion de la sortie de "Les Rois de la piste", Mathieu Kassovitz nous parle de son rapport à la comédie, des films qu'il aime et de ceux qu'il fait, et de l'importance de choisir un film plutôt qu'un rôle.

Les Rois de la piste : une comédie qui fait du bien

Réalisé par Thierry KlifaLes Rois de la piste offre à l'ensemble de son casting des rôles des plus réjouissants. Losers, menteurs, truands, bras cassés... Voilà la belle brochette de filous qu'on retrouve dans cette comédie très plaisante sur une famille dysfonctionnelle, réunie par une affaire de braquage jamais entièrement résolue. C'est ainsi Rachel (Fanny Ardant), son fils Sam (Mathieu Kassovitz) et son petit-fils Nathan (Ben Attal) qui se lancent à la recherche du dernier de la bande, Jérémie (Nicolas Duvauchelle), reparti de leur dernier coup avec une toile de Tamara de Lempicka. À cela s'ajoute Céleste (Laetitia Dosch), la détective en charge de l'affaire qui séduit Sam dans l'espoir de les prendre la main dans le sac lorsqu'ils auront retrouvé la toile.

Le résultat est une franche réussite, autant grâce à l'écriture intelligente de Thierry Klifa qu'à l'utilisation d'acteurs à contre-emploi. À l'image de Mathieu Kassovitz, tellement drôle en homme dépressif et dépassé, qui s'avale des cachets à toute heure de la journée. Rencontré lors de la promotion du film, l'acteur est revenu avec nous sur l'équilibre bien trouvé entre comédie et tragédie dans Les Rois de la piste, et sur son rapport au genre.

Les Rois de la piste est vraiment une comédie qui fait du bien. Je pense que cela vient de l'écriture, évidemment, mais aussi et surtout de ce casting qu'on sent impliqué à tous les niveaux.

D'abord, tout vient du scénario. S'il ne fait pas peur, s'il ne fait pas rire, s'il ne fait pas pleurer, tu n'en sortiras rien. Tu peux faire tous les effets spéciaux que tu veux, ça ne marchera pas. Donc le scénario, quand tu le lis, tu ressens exactement ce que ça peut donner. Si tu lis une comédie et que tu rigoles, bien sûr que derrière tu as envie de la faire. Et dans ces cas-là, c'est un vrai kif pour les comédiens, parce que c'est rare.

Les Rois de la Piste ©Apollo Films
Les Rois de la Piste ©Apollo Films

C'est rare parce qu'en réalité, on ne choisit pas son rôle. Enfin, il y a très peu de comédiens qui choisissent. Au mieux, on peut choisir un scénario que quelqu'un veut bien nous envoyer. Moi, je suis content quand j'ai un scénario qui arrive, parce que personne n'est obligé de m'engager. Donc c'est vraiment le choix de quelqu'un d'autre. Si ensuite, tu as la chance que le scénario soit bien écrit, que ton personnage soit bien écrit, que les autres personnages le soient aussi, et que derrière, il y a un bon casting avec un bon réalisateur... C'est pour ça qu'un bon film est si difficile à avoir. Il faut une jonction de plein de talents à un moment T.

La qualité d'écriture que vous évoquez apparaît aussi dans cet équilibre entre comédie et tragédie. Le film pourrait d'ailleurs basculer vers cet autre registre.

Bien sûr. Mais les comédies humaines sont toujours basées sur la tragédie du personnage qui les subit. Il y a l'exemple de Chaplin. Tu rigoles, même s'il mange ses chaussures et que c'est tragique. Tu peux vraiment faire rire les gens et les faire pleurer en même temps comme avec Le Kid. Tu rigoles, mais putain, qu'est-ce que tu pleures aussi ! Et là, il y a cette émotion aussi, parce que les personnages sont ancrés dans un certain réalisme d'une époque révolue.

Pour moi, le sommet de la comédie, c'est Blake Edwards et Peter Sellers. Ils ont un rythme de clown qui est entièrement dû à la comédie elle-même, et au talent de l'acteur et du réalisateur. C'est un vrai talent la comédie. Et Thierry Klifa il a cette approche. Il n'a pas essayé de faire le malin. Tu fais de la comédie, tu dois être au service de la comédie. Pas de la réalisation ou d'une vision artistique.

Vous êtes en tout cas bon dans ce registre comique, mais on vous y a finalement assez peu vu dedans. Et des grands noms vous ont sollicité mais plutôt dans des registres dramatiques.

Je ne pense pas que ce soit un hasard que Costa-Gavras soit venu me chercher pour Amen, ou Spielberg pour Munich. Je pense que j'ai la chance d'être connu comme réalisateur, et ils connaissent mon engagement. Donc ils savent que mon personnage va transparaître avec cette personnalité. Et justement, Thierry Klifa m'a vraiment fait confiance en tant qu'acteur en me disant que je suis capable de faire le con, tout simplement. Avant cela, on a pu m'envoyer des comédies, mais qui ne me faisaient pas rire, parce que c'était des personnages qui étaient une espèce de caricature de moi-même. Avec Les Rois de la piste, c'est le genre de comédie humaine, basée sur des losers et des bras cassés, que j'aime. C'est ce qui me fait rire comme un imbécile. Un peu comme Le Pigeon ou Arsenic et Vieilles dentelles.

À votre avis, pourquoi Thierry Klifa vous a choisi ?

Peut-être parce que j'ai cette grande gueule, et que je peux jouer sur le côté dépressif. Ça rend le truc plus inattendu que si j'étais un comique. Il est plus facile pour un comédien comme moi, qui a fait des films sérieux, de passer à la comédie, que pour un mec qui fait de la comédie de passer à un film sérieux. Par exemple, je ne peux pas m'empêcher, quand je vois Jean Dujardin à l'écran, de penser à Un gars, Une fille, à revoir sa tête de chameau et tout ce qu'il y a autour.

Mais c'est aussi pour ça qu'on aime ces acteurs. Parce qu'ils ont une capacité à nous montrer leur vraie personnalité. Et la vraie personnalité de Dujardin, elle est dans la déconnade, pas dans le sérieux. Moi, ma personnalité, au cinéma, elle est dans le sérieux. Donc c'est pour ça que j'ai été pris par des réalisateurs qui font du cinéma sérieux. Et comme le spectateur ne connecte pas seulement avec le personnage, mais aussi avec l'acteur qui joue ce personnage, c'est probablement pour ça que je n'ai jamais fait de trucs vraiment drôles.

Les Rois de la Piste ©Apollo Films
Les Rois de la Piste ©Apollo Films

C'est un regret que vous avez de ne pas avoir pu être davantage dans ce registre ?

Non, non, je m'en fous. Du moment que le projet est intéressant en général. J'ai fait de la figuration dans les films dans lesquels je voulais participer. Même quand je connaissais les réalisateurs, je disais : "Donnez-moi juste une journée, je veux être là pour vous voir travailler. Je veux participer au truc". Si j'ai la chance d'avoir un rôle un peu plus gros, tant mieux. Mais l'important, c'est surtout que le résultat final soit intéressant. C'est difficile sinon pour moi d'aller défendre en promo un film que je n'aime pas. C'est pour ça que je ne choisis pas le personnage, mais le film. Et dans ce cas précis des Rois de la piste, Thierry Klifa fait un cinéma qui n'est pas le mien. Mais je sais que je vais me marrer en le voyant.

Ce n'est pas votre cinéma, en tant que réalisateur ?

Oui par rapport aux films que je réalise. Mais d'ailleurs, je ne suis même pas le public des films que je fais. Moi, j'aime les comédies, les films d'action, mais quand c'est malin. Qu'il y a de l'ingéniosité, de la créativité. Je n'aime pas les films comme ceux que je réalise.

Alors pourquoi les faire ?

Parce que c'est ma nature politique. Parce que je ne peux pas concevoir de passer autant de temps sur quelque chose pour être bloqué à devoir faire rire les gens. Tu passes deux, trois ans à faire un film. C'est super compliqué humainement et c'est très intime. Donc ensuite, il faut que ça serve à quelque chose. Alors faire rire les gens, c'est super. Les faire rire comme Chaplin peut le faire avec Le Dictateur, Le Kid ou Les Temps modernes, c'est très rare. Et moi, mon truc, c'est de provoquer des émotions, de déranger les gens. Donc de faire l'inverse de la comédie.

Mais c'est compliqué parce que dénoncer un problème social, à travers le confort du cinéma, c'est quasiment faire partie du problème. Donc mon approche politique du cinéma est extrême. Elle est vraiment de provoquer des réactions désagréables chez les spectateurs pour créer des discussions qui sont, je pense, essentielles. Que tu ne peux pas vraiment avoir dans la comédie.

Alors bien sûr, on peut pointer des problèmes en comédie. On peut parler de la vieillesse dans Maison de retraite 2, et des choses comme ça, qui sont effectivement des sujets dont il faut parler. Mais tu ne peux pas vraiment aller au fond du problème de société. Sauf si tu as le génie absolu de Chaplin. Clairement je ne suis pas à ce niveau-là, donc je ne peux pas me lancer sur ça. Pour moi, c'est trop difficile de faire de la comédie. Je ne suis pas assez en maîtrise en tant que réalisateur pour arriver à faire une bonne comédie. Mais j'en ai écrit et je rêve d'en réaliser une. Mais ce n'est pas mon cinéma, tout simplement.

Au-delà du genre de la comédie, cela fait plus de dix ans que vous n'avez pas réalisé de film. Il y a une raison ?

La raison, c'est que pour le dernier film j'ai mis justement dix ans à le faire et personne n'est allé le voir. C'était en 2011. Et depuis, tout ce qui est les réseaux sociaux et le changement total du paysage audiovisuel, fait que le cinéma que j'aime faire, le cinéma politique, cela n'a plus vraiment de raison d'être. C'est-à-dire que si tu veux vraiment comprendre ce qui se passe à Gaza, tu peux le voir sur ton Instagram. Si tu veux comprendre ce qui se passe au Congo, tu peux le voir sur Instagram. Tu veux comprendre ce qu'il se passe en bas de ta rue, c'est sur ton Instagram. Donc mon côté politique n'a plus de raison d'être dans le cinéma aujourd'hui. Par contre, faire rire les gens aujourd'hui d'une manière intelligente est essentielle. C'est pour ça que je suis content de participer à un film plus léger que les films que j'ai l'habitude de faire.

Les Rois de la piste, en salles le 13 mars 2024.