Après "La Vie d'Adèle", Abdellatif Kechiche signe avec "Mektoub, my love: canto uno", en salles ce mercredi 21 mars, un hymne à la vie, à l'amour, aux corps, à l'avenir, dans lequel il filme avec sensualité un groupe de jeunes gens le temps d'un été lumineux à Sète.
"Mektoub", c'est le destin, le karma. Le film dans son ensemble pose la question du destin. "My love" parce qu'on a souvent conscience du destin dans les rapports amoureux,
a expliqué le cinéaste franco-tunisien Abdellatif Kechiche lors du dernier festival de Venise, où le film était présenté en compétition.
Kechiche - Palme d'or à Cannes en 2013 pour La vie d'Adèle, sur la passion brûlante entre deux jeunes femmes -, avait présenté à la Mostra en septembre ce film de trois heures sur les amours frémissantes de jeunesse et l'éclosion à la vie adulte, premier volet de plusieurs opus - dont un autre est déjà tourné et en partie monté.
C'est l'été 1994 dans la ville méditerranéenne de Sète. La caméra suit Amin (joué par l'acteur débutant et déjà remarqué Shaïn Boumédine), ex-étudiant en médecine et apprenti scénariste installé à Paris, de retour dans sa ville natale le temps des vacances. Cet apprenti cinéaste doux et réservé y retrouve sa famille, son cousin extraverti et dragueur Tony (Salim Kechiouche), son amie d'enfance Ophélie (Ophélie Bau) et d'autres amis et parents dont Camélia (Hafsia Herzi), tandis que se nouent des rencontres estivales.
D'après-midi à la plage en soirées dans des bars et boîtes de nuit, ce petit groupe va évoluer au gré des désirs brûlants et des sentiments de ces jeunes gens qui se regardent, se cherchent et se rencontrent ou au contraire se voient empêchés d'exprimer leurs émotions et attirances. Amin, en retrait, va observer les figures féminines qui l'entourent, devenir le confident amoureux des jeunes femmes en peine et prendre des photos pour nourrir son inspiration créative, tandis que son cousin s'abandonne à l'ivresse du désir.
A partir de cette histoire à la coloration "un peu faussement autobiographique" dit-il - Amin étant selon lui "peut-être une sorte d'idéal" de celui qu'il "aurait voulu être" -, Abdellatif Kechiche réalise un film solaire et contemplatif, librement inspiré du livre La Blessure la vraie de François Bégaudeau.
Guidé pour ce projet par l'idée de réaliser "quelque chose comme +sa Comédie Humaine+", Kechiche, grand peintre des passions, du trouble amoureux et des élans des corps, dit avoir voulu suivre ses personnages avec "le désir de sortir des sentiers battus de la narration".
Ton impressionniste
J'avais envie de retrouver une forme d'allégresse perdue, d'être d'emblée dans cette liberté-là, celle des corps, de la lumière, de la musique, des mouvements, ceux des personnages et ceux du cadre, sans forcément vouloir accrocher le spectateur à une narration,
explique le cinéaste dans le dossier de presse du film.
J'ai voulu donner à ce film un ton impressionniste, qu'on en sorte avec légèreté,
soulignait-il encore à Venise.
Ce réalisateur exigeant, découvreur de talents comme Sara Forestier, Hafsia Herzi et Adèle Exarchopoulos, sait aussi capter les moments de grâce et les élans de ses jeunes interprètes, dont la plupart apparaissent pour la première fois à l'écran.
Il filme avec sensualité le désir masculin au plus près des corps des jeunes filles -ce qui avait choqué certaines spectatrices à Venise-, tandis que la lumière de l'été, tour à tour crue et douce, baigne tout le film.
La lumière "est le protagoniste essentiel, celui par qui tout arrive, qui rend tout possible", dit-il.
Le réalisateur de 57 ans dit aussi avoir voulu montrer une liberté, "une certaine douceur de vivre" et un "vivre ensemble" qui, pour lui, ont "disparu" aujourd'hui, notamment du fait des attentats de ces dernières années en France.
Il est évident que la notion même de liberté a changé. Tous ces événements épouvantables qui se sont produits ici et là ont tout bouleversé,
affirme-t-il.
Pour lui, "nous sommes dans un monde qui enferme, qui étouffe", et "le film veut constituer une réponse à cette sensation d'étouffement".