Mort de Bertrand Tavernier : Martin Scorsese lui rend un vibrant hommage

Deux légendes

Mort de Bertrand Tavernier : Martin Scorsese lui rend un vibrant hommage

Le réalisateur Martin Scorsese vient de rendre hommage à Bertrand Tavernier à travers une lettre adressée à l’institut Lumière, dont Tavernier était le président. Les deux hommes étaient amis de longue date. Bertrand Tavernier est décédé le 25 mars dernier à l’âge de 79 ans.

Une légende qui s’en va

Le réalisateur français Bertrand Tavernier s’est éteint à l’âge de 79 ans le 25 mars dernier. Né en 1941, Bertrand Tavernier débute sa carrière cinématographique en 1961, alors qu’il monte un cinéclub avec d’autres passionnés. Il commence à gagner sa vie en écrivant pour des journaux comme Télérama. Puis, quelques années après, il plonge dans le grand bain en tant qu'assistant de Jean-Pierre Melville, notamment sur Léon Morin, prêtre. C’est en 1964 que Bertrand Tavernier met en scène ses premiers films avec Les Baisers et La Chance et l’Amour. Dix ans plus tard il réalise son premier long-métrage : L’Horloger de Saint-Paul.

Bertrand Tavernier
Bertrand Tavernier ©Allociné

Par la suite, Bertrand Tavernier est devenu un cinéaste emblématique du septième art. Il reçoit deux César du Meilleur réalisateur pour Que la fête commence et Capitaine Conan, un César pour le Meilleur scénario original sur Le Juge et l’Assassin, et un César du Meilleur scénario adapté pour Un dimanche à la campagne. Bertrand Tavernier s’est même essayé au cinéma américain avec Dans la brume électrique en compagnie de Tommy Lee Jones. Enfin, Quai d’Orsay, son dernier long-métrage de fiction, est sorti en 2013.

Martin Scorsese rend hommage à Bertrand Tavernier

Martin Scorsese et Bertrand Tavernier étaient deux amis de longue date. Le réalisateur de Les Affranchis vient de rendre hommage à Bertrand Tavernier et au Festival Lumière, dont ce dernier était le président. Le texte est également disponible sur son compte Instagram. Touché par ce message, Télérama a traduit et publié le texte que voici dans son intégralité :

La première fois que j’ai rencontré Bertrand Tavernier, c’était au début des années 1970. Il était alors accompagné de son ami et ancien collaborateur Pierre Rissient. Ils avaient vu Mean Streets et le défendaient avec vigueur publiquement. Un soutien qui signifiait beaucoup de choses à mes yeux.

J’ai très vite compris que Bertrand connaissait de fond en comble l’histoire du cinéma. Plus encore, il était un passionné du cinéma : passionné par ce qu’il aimait, passionné par ce qu’il détestait, passionné par ses nouvelles découvertes, passionné par les figures injustement oubliées dans l’histoire du cinéma – Bertrand a été celui qui nous a permis de redécouvrir le réalisateur Michael Powell –, passionné par les films qu’il a lui-même réalisés.

Bertrand était un cinéaste singulier, à nul autre comparable. J’ai particulièrement aimé son film de 1984, Un dimanche à la campagne. Ce film a été conçu avec tant de subtilité que j’ai l’impression qu’il est sorti tout droit du monde des impressionnistes. J’ai également adoré ses films historiques, comme Que la fête commence… et Capitaine Conan, et ses adaptations de Simenon (L’Horloger de Saint-Paul, son premier film) et de Jim Thompson (Coup de torchon, adapté de 1275 âmes).

En 1983, je déjeunais avec Bertrand et Irwin Winkler quand ils ont décidé, tous les deux, de faire le magnifique Autour de minuit. C’est pour moi un merveilleux souvenir d’avoir fait une petite apparition dans ce film, dans le rôle de l’agent de Dexter Gordon.

Bertrand connaissait intimement tous les aspects du cinéma français. C’est une chance incroyable pour nous tous que Bertrand ait partagé son savoir et sa passion dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français, une œuvre d’une grande beauté.

Il connaissait tout aussi intimement le cinéma américain. Bertrand et Jean-Pierre Coursodon ont coécrit, et régulièrement mis à jour, un dictionnaire exhaustif consacré aux réalisateurs américains (50 ans de cinéma américain). Cet ouvrage majeur mériterait d’être traduit en anglais.

Je veux enfin partager une dernière image à propos de Bertrand. Une image bien connue par tous ses amis et par tous ses proches. Bertrand était tellement passionné qu’il pouvait littéralement vous mettre K.-O. Il restait assis, pendant des heures et des heures, argumentant pour ou contre un film, un cinéaste, un musicien, un livre ou une décision politique. Au bout d’un moment, terrassé, vous vous demandiez simplement : mais d’où lui vient toute cette énergie ?

Aujourd’hui, il m’est très difficile de me dire que je n’aurai plus jamais la chance de recevoir toute cette incroyable énergie. Que je n’aurai plus jamais la chance de rencontrer un homme aussi extraordinaire, un homme tellement irremplaçable.

Martin Scorsese