Tourné en Europe avec une équipe internationale, le nouveau film de Steven Spielberg, Munich, fait la part belle aux comédiens européens. L'anglais Daniel Craig, futur James Bond, les frenchies Mathieu Kassovitz, Yvan Attal ou Mathieu Amalric font ainsi partie de la distribution. Si bon nombre de ces noms sont déjà très connus et reconnus en France, celui de Hiam Abbass l'est moins. Cette comédienne d'origine palestienne que l'on a notamment vu à l'affiche de La Fiancée Syrienne ou de Free Zone, a un petit rôle dans le film, mais a surtout eu un grand rôle de conseillère et de consultante au près de Steven Spielberg tout au long du tournage.
Rencontre passionnante avec une de ces personnes de l'ombre, petites pièces d'un grand puzzle, nécessaires à la réussite d'un film comme Munich, où réalisme et véracité des faits sont de mise.
Comment êtes-vous arrivée sur Munich ?
Le casting de Steven qui m'a contacté pour me proposer le rôle. Ils m'avaient vu dans La Fiancée Syrienne.
Racontez-nous votre rôle sur le film, au delà de celui de Marie-Claude Hamshari. Vous avez été l'une des premières conseillères de Spielberg, pour les dialogues notamment ?
J'étais en effet coach de dialogue. Lorsque j'ai passé le casting, je venais de finir le tournage du film d'Alejandro González Inárritu, Babel, sur lequel j'étais coach. Du coup, juste après avoir eu le rôle, l'équipe de Steven m'a proposé d'être aussi coach sur Munich. C'est une amie comédienne, qui passait également le casting de Spielberg à Paris et avec qui j'avais déjà travaillé, qui leur a parlé de moi en tant que coach, alors qu'ils cherchaient quelqu'un pour aider les comédiens d'origine arabe. Puis, quand Steven a su que je parlais hébreu, il m'a également proposé de coacher les acteurs israéliens.
Ma présence sur le plateau et mon engagement au près d'eux ont fait qu'ils m'ont finalement désigné comme conseillère sur le tournage et sur la post-production (j'ai travaillé pendant trois mois après le tournage…).
En quoi consiste précisément le rôle de « coach » sur un tournage de Spielberg ?
Cette fonction consiste avant tout à préparer les comédiens, les petits rôles. Car à part les héros et les chefs de poste, très peu d'acteurs et de techniciens avaient lu le scénario. Il fallait donc préparer les scènes pour les comédiens qui ne connaissaient pas le script, leur expliquer un peu l'histoire mais sans trop leur en dévoiler. De même, j'aidais à la préparation des scènes dialoguées, afin que les acteurs arabes aient un accent palestinien si nécessaire, ou les anglais un accent arabe ou hébreu selon les besoins.
Je m'occupais également des nombreuses petites saynètes, en arrière plan, non écrites dans le scénario, où les comédiens devaient improviser. Steven m'avait demandé de travailler avec eux pour créer de petits dialogues qui ne sortent pas trop de l'histoire.
En tant que consultante, j'ai eu beaucoup de discussions avec Steven sur le scénario, sur la préparation des scènes de l'attentat. Je surveillais aussi les décors et les costumes afin qu'ils soient le plus réaliste possible. Par exemple, une des choses sur lesquelles j'ai insisté c'est qu'à l'époque, les femmes arabes ne portaient pas beaucoup le voile car ce n'était pas le symbole des palestinien. Nous étions tous marxistes, gauchistes et croyions à la révolution internationale...
Pensez-vous que le cinéma en général et des films comme Munich en particulier puissent avoir un rôle à jouer dans les problèmes de politique internationale, comme le conflit israélo-palestinien ?
C'est un peu trop prétentieux à mon sens de dire qu'un film puisse jouer un rôle, car si c'est le cas, il ne s'agit que d'un rôle minoritaire. Il peut néanmoins faire réfléchir les gens et c'est déjà beaucoup, faire avancer les choses d'un petit pas vers l'avant : sur 50 000 personnes qui voient le film, il y en a peut être 20 000 qui, en sortant de la salle, réfléchiront à ce qui se passe autour d'eux. Munich est un film qui incite à une réflexion individuelle, sur sa position et sur sa place dans la société ou dans tel ou tel conflit. C'est un film qui invite à réfléchir, mais maintenant, si on n'en a pas envie, chacun peut rester dans son trou…Voilà, Munich sert à ça, comme d'ailleurs beaucoup de films dans lesquels j'ai joué et je me suis investie.
Que répondez-vous à ceux qui trouvent Munich trop - ou pas assez - engagé, d'un côté comme de l'autre ?
Je ne pense pas qu'il faille entrer dans cette discussion. Ce n'est pas un film sur les Palestiniens, c'est un film sur le Mossad après l'attentat de Munich, une histoire tirée d'un livre. Maintenant, il y a en effet des personnes, du côté israélien, qui trouvent que le film n'est pas assez pro israélien. Je leur réponds juste d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles. Aujourd'hui, si on veut pouvoir avancer, il faut arrêter d'avoir ce type de jugements.
Revisiter un moment clé de l'Histoire au cinéma est toujours très délicat. Spielberg l'avait déjà très bien fait avec La Liste de Schindler. Comment avez-vous cette fois abordé le problème.
Les difficultés sont des questions que l'on se pose en tant qu'individu, que personne, qu'artiste, de ce que l'on fait quotidiennement. A mon sens aujourd'hui, un film qui n'évoque pas des choses universelles n'a qu'à rester au placard. A qui va-t-il correspondre ? A un problème local, à des gens locaux dans leur endroit ? Si l'on ne parle que d'un point de vue local, sans essayer de partager ces problèmes de façon universelle, il n'y a aucun intérêt.
Je crois en ce sens que le cinéma est un outil, un moyen de communication international. Malgré la langue locale utilisée, le cinéma parle de sentiments et les sentiments sont universels.
Après avoir tourné aux côtés de Spielberg, que peut-on espérer de mieux pour votre carrière ?
Retourner avec Spielberg…
Souhaitons lui ainsi qu'après une expérience aussi passionnante avec l'un des plus grands réalisateurs de sa génération, Hiam Abbass continue cette belle carrière à la fois engagée et artistique…
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Propos recueillis par Amélie Chauvet (Paris, janvier 2006)