Noémie Merlant (Les Âmes soeurs) : "Quand je vois une importante prise de risques, c'est là où je me lance !"

Noémie Merlant (Les Âmes soeurs) : "Quand je vois une importante prise de risques, c'est là où je me lance !"

Elle est l'une des actrices françaises les plus talentueuses et les plus demandées. Après s'être illustrée dans "L'Innocent" de Louis Garrel et "Tár" de Todd Field, Noémie Merlant brille dans "Les Âmes soeurs" d'André Téchiné. Rencontre avec une comédienne aussi douée que mystérieuse, pépite du cinéma actuel et futur.

Noémie Merlant, la mystérieuse évidence

Depuis Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant s'est imposée comme une des grandes actrices du cinéma contemporain. Son regard, sa voix, son corps, elle a évidemment quelque chose que les autres n'ont pas. Surtout, elle a ce mystère, cette contradiction : pourquoi elle plutôt qu'une autre, alors que c'est une évidence que ce soit elle ? À 34 ans, avec une filmographie de cinéma débutée en 2008, elle s'est illustrée dans tous les genres, avant que les plus grandes et plus grands cinéastes ne jettent leur dévolu sur son talent. Céline Sciamma, Jacques Audiard, Louis Garrel et Todd Field, et maintenant André Téchiné pour Les Âmes soeurs, ont ainsi pleinement saisi sa différence, son perpétuel inédit, la surprise et les sensations neuves que chacune de ses apparitions et lignes de dialogue suscitent.

Marianne (Noémie Merlant) - Portrait de la jeune fille en feu
Marianne (Noémie Merlant) - Portrait de la jeune fille en feu ©Pyramide Distribution

Nous l'avons rencontrée à l'occasion de la sortie du très beau et néanmoins très dur Les Âmes soeurs, où elle donne la réplique à Benjamin Voisin. L'histoire d'une soeur qui retrouve son frère, amnésique après que son véhicule militaire a explosé sur une route au Mali. Il a tout oublié, elle se souvient de tout, et alors qu'il réapprend à la connaître, un lourd passé va resurgir. On a voulu savoir comment elle avait travaillé avec André Téchiné et Benjamin Voisin pour raconter cette histoire, sa découverte de l'oeuvre de l'auteur de Rendez-vous et Les Témoins, ce qui la motive au moment de s'engager dans un projet et ses envies de collaborations.

Rencontre

Les Âmes soeurs est le récit d’un secret, le dévoilement patient d’un passé très perturbant. Comment avez-vous travaillé avec votre partenaire Benjamin Voisin et le réalisateur André Téchiné pour lui donner corps ?

Noémie Merlant : On n’a pas vraiment préparé le film. Il y a quelque chose de très instinctif, particulièrement dans le travail avec Benjamin. Benjamin surprend beaucoup, il essaye toujours de susciter une réaction chez son interlocuteur, et il cherche à être surpris à son tour. Il y a ainsi une véritable connexion. Ce qui aide à construire quelque chose.

André, il ne cherche pas à psychologiser son histoire, il travaille scène par scène. Chaque scène est un tableau, un court-métrage. Tout est très précis, avec une contradiction permanente, on fait tout et son contraire. Il faut avoir quelque chose d’instinctif, de réel et de sincère, mais ce n’est pas du tout naturaliste. Par exemple, on ne peut pas jouer avec nos mains, se laisser aller naturellement à un geste. S’il y a un geste, il faut qu’il ait un sens, toujours. Tout ce dont on n’a pas besoin, il faut qu’on s’en débarrasse. On va juste garder un seul geste, parce que ce geste est un moment, et il faut être dans ce moment entièrement. Rien n’est laissé au hasard.

On ressent cette contradiction dans Les Âmes soeurs, une précision au service d’un mystère, ce qui donne au film son étrange poésie.

Noémie Merlant : C’est la même chose pour les dialogues. Il cherche une manière de parler très particulière, où il faut parler fort, bien articuler, ce qu’on ne fait pas forcément dans la vie. Ça donne quelque chose de légèrement dissonant, poétique. Je pense qu’il sait exactement ce qu’il veut, où il va. Il faut simplement un peu de temps pour comprendre et se laisser aller, faire confiance au scénario où tout est écrit, parce que tout est là. Beaucoup de choses nous échappent en tant qu’acteurs, des choses qu’on redécouvre ensuite. Mais sur le moment on se jette à l’eau, on fait sans avoir toutes les clés.

Les scènes où il y a un geste du frère, on comprend tout avec ce geste. Je dis une phrase, et ça suffit. Ensuite le sous-texte apparaît, les regards, les respirations, les silences. Par exemple, la scène où il s’énerve et part, puis je le rejoins, il a un geste pour me toucher le visage.

Lui veut se reconnecter, et moi j’ai le désir de cette main mais je la refuse. Tout est là. Ce geste seul raconte le film. Ce sont tous ces détails qui construisent cette chose étrange que dévoile le film.

Comment avez-vous découvert le cinéma d’André Téchiné ?

Noémie Merlant : Plus jeune je n’étais pas du tout cinéphile, j’ai découvert le cinéma très tard. Et donc un peu tout en même temps ! Je l’ai découvert par Les Roseaux sauvages, et avec ce que je regardais à l’époque, surtout la télé, ça n’a pas été facile à aborder. Je n’étais pas habituée à ce genre de langage, de proposition. Mais j’en suis tout de suite tombée amoureuse. Je l’ai trouvé d’une beauté… C’était extrêmement perturbant, fort, étrange. Et puis il y a tous les acteurs et actrices avec qui il a travaillé… C’est donnant-donnant entre un réalisateur et ses acteurs, donc ça dit aussi quelque chose. J’étais ainsi étonnée, mais ravie, qu’il m’appelle pour Les Âmes soeurs.

Les Âmes soeurs
Les Âmes soeurs ©Ad Vitam Distribution

Qu’est-ce qui vous influence au moment de vous lancer dans un projet ?

Noémie Merlant : Le scénario est une étape, et ça ne suffit pas pour savoir ce que le film sera. Il y a des films dont la poésie se trouve dès l’écriture, d’autres ce sera au moment de la mise en scène. Ce qui m’influence, c’est la proposition du réalisateur ou de la réalisatrice, les acteurs et actrices avec qui j’aimerais tourner, des gens auxquels je fais confiance. L’engagement que je recherche, c’est celui de faire des choix. Il faut qu’il y ait un choix fort, une prise de risques. Quand j’en vois beaucoup, c’est là où j’y vais, là où je me lance !

Des réalisatrices, réalisateurs, avec qui vous aimeriez tourner ?

Noémie Merlant : J’aimerais beaucoup tourner avec Rebecca Zlotowski. Grand Central, Une fille facile… Je crois qu’Une fille facile, particulièrement, m’a beaucoup touchée. J’adore ce qu’elle fait. Elle donne envie, elle irradie. Je suis ravie de tourner avec Audrey Diwan pour Emmanuelle. Aussi, je serais ravie de travailler avec Baz Luhrmann, avec Xavier Dolan, avec Bong joon-ho… Il y en a beaucoup !