"Là où les putains n'existent pas", le nouveau docu choc d'Ovidie sur les dérives de la lutte contre la prostitution

"Là où les putains n'existent pas", le nouveau docu choc d'Ovidie sur les dérives de la lutte contre la prostitution

Dans ce documentaire, l'ex-star du porno Ovidie révèle les dérives du système puritain suèdois pour "éradiquer la prostitution". Déjà disponible sur le Web, il sera diffusé sur Arte ce mardi 6 février.

Militante féministe, ex-actrice et réalisatrice de films X, Ovidie explore, à travers ses documentaires (A quoi rêvent les jeunes filles, Pornocratie), les tabous liés au sexe et questionne le rapport de la société au corps des femmes. En s’emparant d'un fait divers méconnu, la réalisatrice dénonce, derrière la tragédie intime, l’hypocrisie d’un Etat qui sous couvert d'une croisade morale contre la prostitution, stigmatise les travailleuses du sexe.

La suède, terre de liberté sexuelle ?

En 1955, David Brown, un journaliste du Time, publiait un article intitulé « Sin & Sweden » (« Le péché et la Suède »). Il décrivait la Suède comme le pays de la liberté sexuelle sans limites. Ceci étant dû bien entendu à la baisse de l'influence de l'Eglise dans la société suédoise. Bien que l'article emprunte des raccourcis, pour certains un peu limites, il contribue à faire naître l'idée d'une Suède débridée en matière de sexe.

A cette assertion un peu loufoque d'un journaliste viennent s'ajouter des faits plus tangibles. En effet, la Suède a une tradition de progressisme. Pionnière en la matière, elle a autorisé l'avortement en 1938, les relations homosexuelles dès 1944, imposé l’éducation sexuelle à l’école en 1955 et permis la diffusion de films pornos dans les cinémas en 1971. Bref, sur le papier, c’est le paradis du sexe.

Dans les faits, c'est plus compliqué. Quoi qu'en dise David Brown - et c'était peut-être véridique en 1955 - , les stigmates conservateurs, hérités de l'Eglise suédoise, sont encore bien présents aujourd'hui. L'Etat et la société tout entière livre une lutte insidieuse contre la prostitution, et surtout contre les travailleuses du sexe, comme les appelle Ovidie.

Un fait divers comme point de départ

Le 11 juillet 2013, Eva-Marree Kullander-Smith reçoit plus de 30 coups de couteau. La scène se déroule dans les bureaux des services sociaux suédois. C'est le père de ses deux enfants qui l'a assassinée. Elle l'avait quitté quelques années plus tôt pour violences conjugales, emmenant avec elle ses enfants.

Pour subvenir à leurs besoins, elle s'était alors brièvement prostituée, deux semaines pour être exactes. Ce court interlude en tant que travailleuse du sexe suffit aux services sociaux pour lui retirer la garde de ses enfants sans aucune enquête préalable. L'ex conjoint obtînt donc la garde exclusive, en dépit du fait qu'il ait été reconnu comme violent.

Malgré un long combat judiciaire, elle n’a jamais pu faire reconnaître ses droits. Cela ne l'a pas empêchée de défendre ceux des travailleurs du sexe, sous le pseudo de Jasmine Petite.

En Suède, on préfère confier des enfants à un homme violent, toxicomane et assassin plutôt qu'à une pute.

En interrogeant l’entourage d’Eva-Marree (associatifs, avocats, militants et amis), Ovidie révèle les dérives d’un système puritain, faussement égalitaire. Elle dénonce les services sociaux qui agissent dans la plus grande impunité et mènent la vie dure aux prostituées. En Suède, sous couvert d’une loi censée protéger les travailleuses du sexe, celles-ci sont traitées comme des irresponsables, privées de certains droit, et obligées de suivre des thérapies de rééducation.

A la croisée du récit intime et de l'enquête sociologique, ce film engagé met à mal la perfection d’un modèle encensé dans le monde entier. La violence du propos contrastant avec la photographie pleine de douceur donne à réfléchir. C'est d’autant plus instructif que la France applique depuis 2016 la législation suédoise de pénalisation du client. Ce documentaire est un bon point de départ pour rouvrir les débats autour du rôle de l'Etat dans l'encadrement de la prostitution.