Rebecca Zlotowski : "Dans Les Enfants des autres, je voulais beaucoup filmer Roschdy"

Rencontre avec Rochsdy Zem et Rebecca Zlotowski

Rebecca Zlotowski : "Dans Les Enfants des autres, je voulais beaucoup filmer Roschdy"

Alors que "Les Enfants des autres" de Rebecca Zlotowski, bouleversant drame familial avec Virginie Efira et Roschdy Zem, arrive dans les salles le 21 septembre 2022, nous avons pu rencontrer la réalisatrice et l'acteur, duo à l'origine du projet après leur collaboration pour "Les Sauvages". L'occasion d'évoquer avec eux leur travail, et comment ensemble ils ont bouleversé les codes de la sensualité au cinéma, au coeur de ce très beau film.

Les Enfants des autres, premier très grand film de Rebecca Zlotowski

Rebecca Zlotowski a la voix claire, lumineuse. Les mots s'enchaînent avec fluidité, le discours est précis. Une pertinence et une éloquence qui lui viennent sans doute, en partie, de sa formation d'enseignante, elle qui après son agrégation de lettres modernes a enseigné un trimestre en lycée et une année à la faculté, avant de s'orienter avec succès vers le cinéma. Scénariste et réalisatrice maintenant majeure du cinéma français, on retrouve dans son nouveau long-métrage Les Enfants des autres cette luminosité du discours.

Avec ses interprètes principaux Virginie Efira et Roschdy Zem, elle raconte dansLes Enfants des autres avec la grâce de l'évidence un drame familial solaire, centré sur un personnage principal rare au cinéma. En effet, le récit est celui de Rachel (Virginie Efira), une quarantenaire célibataire et sans enfant, qui tombe amoureuse d'Ali (Roschdy Zem), père de la petite Leila (Callie Ferreira). Celui-ci est séparé de la mère de Leila, interprétée par Chiara Mastroianni, et Rachel endosse donc le rôle de la belle-mère, avec les bonheurs et les malheurs propres à cette place particulière.

Nous avons pu rencontrer Roschdy Zem et Rebecca Zlotowski, l'acteur principal et la réalisatrice ce très beau film, sans aucun doute un des plus accomplis et touchants du cinéma français récent.

Vous revenez tous les deux de la Mostra de Venise, où vous présentiez ensemble Les Enfants des autres, mais aussi, Roschdy, votre film Les Miens. Comment était-ce ?

Roschdy Zem : C'était assez idyllique, tout était doux. Il n'y a pas cette nervosité qu'on peut avoir à Cannes, où tout doit aller très vite. Là il y a quelque chose de tranquille...

Rebecca Zlotowski : Il y a une forme de suavité.

Roschdy Zem : C'est ça, c'est doux, tout le monde apprécie, tout est cohérent. Quand on présente son film, on est sur le tapis rouge mais c'est tranquille, on prend le temps, il n'y a pas de cris. Lors des projections, le public communique, et quand c'est terminé, il te fait savoir s'il a aimé, sans snobisme. C'est très chaleureux.

Rebecca Zlotowski : On sort d'une projection et tout est doré, on prend des bateaux Riva... Sortir d'un succès à Cannes c'est génial mais c'est Cannes, et sortir d'un échec à Cannes... ça reste Cannes. C'est-à-dire que la ville est quand même plus duraille. Sortir d'un succès à Venise c'est exceptionnel, sortir d'un échec à Venise... Ça reste à Venise ! Donc on a tout gagné dans les deux cas, on se sent toujours heureux quand on est un cinéaste à Venise.

Roschdy Zem : Et le terme d'invitation prend tout son sens à Venise, on est vraiment accueillis.

Rebecca Zlotowski : On risque d'être très longs sur cette question ! (rires)

Passons au film alors. Quel est le point de départ de Les Enfants des autres ?

Rebecca Zlotowski : Le vrai point de départ du film, c'est Roschdy et moi qui avions envie de retravailler ensemble après Les Sauvages. On décide d'adapter un roman, Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable de Romain Gary. Une adaptation que porterait Roschdy, depuis un roman sur l'impuissance masculine. Et en fait, il y a un détour. Je me confronte au roman, j'essaye de l'adapter, et ça devient plutôt un roman sur l'impuissance féminine. Je comprends que c'est un autre personnage qui m'intéresse, auquel je m'identifie, moi. Alors je décide d'en faire un film plus personnel, dans lequel on va regarder ce même sujet, mais du point de vue d'une femme.

J'ai évidemment le visage et le corps de Roschdy pour Ali, l'homme dont Rachel tomberait amoureuse, mais plus pour l'homme qui vivrait le sentiment d'impuissance. C'est comme ça que se construit la place de Roschdy dans Les Enfants des autres, qui reste écrit pour lui. En espérant qu'il dise oui ! Car c'est quand même un sacré pas de côté par rapport à ce qu'il attendait.

Roschdy Zem : C'est très flatteur de n'avoir pas disparu de ce discours. Avec une nouvelle idée comme celle-ci, ç'aurait été légitime de me dire : " Je suis partie sur autre chose, tu n'es plus dedans, mais on se reverra très vite."

Rebecca Zlotowski : Mais impossible ! C'est intéressant dans le trajet d'un film, parce que je me suis autorisée un film aussi intime, mais comme s'il m'avait tendu la main en me disant : "On va prendre un prétexte d'abord, puis je vais t'y amener." Il y a toujours des motifs conscients et inconscients quand on démarre un film, et là ils se sont noués de manière simple, solaire et frontale. C'est comme ça que c'est arrivé.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

Roschdy Zem : Je vous prends à témoin, elle m'a promis qu'on ferait quand même le film d'origine ! (rires)

Rebecca Zlotowski : On en parle beaucoup c'est vrai, peut-être qu'on le fera un jour, on fera un diptyque ! Ça vaudrait le coup, particulièrement avec un acteur comme Roschdy. Je pense beaucoup à Marcelo Mastroianni. À un moment de sa carrière, alors qu'on lui proposait toujours le rôle de l'italien triomphant, il choisit de faire Le Bel Antonio, un récit d'impuissance. C'est la force d'un acteur de sa trempe, et Roschdy a cette carrure. Au moment où on discute de l'adaptation, il sort de Roubaix, une lumière, des Sauvages, du César, c'est un moment de gloire. Et aussi de grande beauté !

Au coeur de Les Enfants des autres, je voulais beaucoup filmer Roschdy. C'est un point de départ aussi, voir comment un personnage va tomber amoureuse d'un homme, le regarder comme on ne le regarde pas souvent. Surtout Roschdy, ses rôles d'amoureux, on les compte sur les doigts d'une main. Je n'ai pas la sensation de l'avoir vu comme ça, à l'exception peut-être des rôles qu'il s'est écrit. Voilà, je voulais rendre hommage à cette part-là que je voyais en lui.

Avec réussite, puisque Rachel et Ali forment dans Les Enfants des autres un couple d'une très grande sensualité.

Rebecca Zlotowski : J'avais envie de filmer un couple adulte. Quand j'ai commencé à voir des films, c'était des vade mecum pour moi. Les films racontaient le mode d'emploi. Comment les gens tombent amoureux, comment les gens vivent. Je fantasmais cette vie-là. Donc quand je mets en scène un couple qui a une alchimie aussi puissante que Virginie et Roschdy, je vois que ce qui fonctionne c'est leur libido adulte, ce sont des gens qui ont connu d'autres corps avant, et puis... On ne va pas mentir, on n'a pas souvent ce corps à cet âge-là, pour Roschdy comme pour Virginie. Donc oui il y a une grande beauté, et une immense sensualité.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

Ce qui permet de renverser naturellement les codes traditionnels, en portant le désir sur le corps masculin. Il y a la séquence avec Ali dans la douche, très sensuelle, qu'on peut comparer à la scène ou Rachel se retrouve nue sur le balcon, une séquence presque burlesque.

Rebecca Zlotowski : Quand je demande à Roschdy une scène de nu, c'est une transposition de la tradition picturale de la femme au bain. On n'a pas souvent l'homme à sa toilette ! C'est d'ailleurs un film de Christophe Honoré, Homme au bain, qui veut aller de ce côté-là. Bon il le fait avec François Sagat qui est un acteur qui vient du porno, très différent, donc rien à voir. Je dirais qu'il a sûrement donné davantage ! (rires). Mais dans mon cas je voulais renverser, filmer un acteur comme on ne l'a jamais vu.

Roschdy Zem : C'est vrai, dans les codes comme on nous les présentait, quand les hommes sont nus, c'est souvent prétexte à une scène burlesque. Je le réalise peut-être maintenant, que dans ce film les codes sont inversés jusque-là.

Pour se livrer entièrement à une scène de nu, c'est une question de moment. Ce qui fait la qualité de ce film, c'est qu'il est écrit d'une manière organique. Ça fonctionne parce qu'il y a ce moment, et parce que c'est Rebecca. Et parce que moi aussi j'ai besoin d'évoluer. Ce n'est pas se mettre en danger, mais c'est remettre du piment dans ma carrière d'acteur, et d'avoir un challenge. Un challenge notamment par rapport au corps, à la nudité, aux sentiments. Et tout repose sur une confiance. Il faut être en confiance avec le ou la cinéaste qui va me solliciter, et j'ai une totale confiance en Rebecca.

Dans l'univers de Rebecca, il y a de la modernité, des changements de paradigmes. Et j'avais besoin de ça, dans ce rapport de confiance pour me convaincre que c'était la bonne voie, celle dans laquelle je veux m'engager. Je dois passer par là pour entretenir la flamme que j'ai pour ce métier.

Et aussi, pour abandonner un peu ce personnage sûr de lui, charismatique - ce que je ne suis pas -...

Rebecca Zlotowski : Il a pris un melon... (rires)

Roschdy Zem : Enfin ce mec comme on le peut décrire parfois, qui a un gun et qui parle très peu !

C'est une première collaboration avec Virginie Efira, à qui vous offrez un très grand rôle.

Rebecca Zlotowski : Je pense, et Virginie l'a formulé elle-même, qu'elle avait un certain désir avec ce personnage-là. Elle a déjà fait des compositions exceptionnelles dans d'autres films, mais beaucoup dans des rôles border, des rôles dans lesquels elle doit composer avec quelque chose d'extraordinaire. De l'extraordinaire dans le conflit, dans la psychose, ou dans des événements extraordinaires comme dans le cas des attentats.

Mais dans Les Enfants des autres, c'est un rôle trivial. Un rôle dans le familier de l'existence. Elle prend le métro, elle va à un conseil de classe parce qu'elle est enseignante, elle rentre dans son appartement deux pièces, elle voit sa famille, va à la synagogue sans être vraiment pratiquante. C'est la vie, prise dans son flot. Et ce qu'elle y apporte, c'est son épanouissement.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

C'est une très grande actrice, donc elle peut jouer des rôles de psychotiques, mais ce qui est fascinant c'est de lui demander de jouer le rôle d'une accomplie. Et dans cet accomplissement elle développe quelque chose de passionnant pour le personnage. Parce que c'est le point de départ, et donc comment garder le suspense pour un spectateur ? Comment tourner les pages du film sans avoir besoin des artefacts du scénario ? Sans avoir des twists fous ?

C'est ce que j'ai voulu lui proposer avec ce rôle. Il est peut-être plus facile de convaincre avec des rôles d'exception, mais je pense que c'est à l'intérieur d'une matière qui n'est pas marginale mais qui est la norme de nos vies, qu'il faut trouver comment on arrive à se surprendre, comment on arrive à toucher juste. C'est quoi le rythme d'une existence, son flot, sa vérité ? Et ça, Virginie le possède.