Alors que l’idée de rencontrer les personnages d’Azul me rendait nerveuse et carrément anxieuse (j’allais quand même me retrouver en face d’une ex-taularde, d’un concierge névrosé et d’un jeune réalisateur que l’on compare déjà à Almodovar : ancien étudiant en finances, cela dit en passant !), je décidais de prendre mon courage à deux mains , de me parer de mon plus beau sourire et d’user de mon espagnol quasi courant (hahaha). J’entrais alors dans une salle accueillante (canapés et cafés ! ) et je fus surprise de me trouver face à trois jeunes espagnols simples, décontractés et décontractants ! La discussion fut vite lancée et prit, rapidement, une tournure grave, profonde et très riche…
Dans ce premier long métrage il est question de plusieurs thèmes : maladie, amour impossible, prison, maternité, destin…
Daniel Sanchez Arevalo (réalisateur) : Dans ce film , il n’est pas question de thèmes mais d’histoires. J’aime raconter des histoires, celles de personnages, qui se trouvent dans certaines circonstances. J’aime les histoires très concrètes et spécifiques.
Dans ce film, Quim, tu incarnes un jeune homme perdu et qui cherche un sens à sa vie. Ce fut un rôle difficile pour toi ?
Quim Gutiérrez (Jorge) : Ce fut plutôt facile parce que je crois que les luttes de Jorge sont assez basiques : lutte contre sa souffrance et ses peurs, lutte contre ses complexes, lutte contre ses contradictions et lutte contre lui-même pour plaire aux autres. Et je crois que cette lutte, cette sensation, je l’ai comprise dès la première lecture du scénario. J’étais assez décomplexé et serein car j’ai compris l’état d’esprit du personnage.
Et toi Marta, pour interpréter Paula, tu t’es renseigné sur le milieu de la prison, sur la façon d’y avoir une relation amoureuse ou d’y rencontrer quelqu’un ?
Marta Etura (Paula) : Oui , nous avons visité deux prisons dont une de femmes où j’ai pu rencontrer une prisonnière qui avait eu un peu la même histoire que le personnage. En plus, j’ai une amie qui a été en prison, donc j’ai eu cette chance de pouvoir en parler avec elle et qu’elle puisse me raconter comment se passe la vie dans une prison de femmes, quels problèmes il peut y avoir… Et surtout elle a pu me parler des relations amoureuses en prison.
Jorge dit qu’il n’aime pas les riches et je crois que si son histoire avec Natalia ne fonctionne pas c’est en partie à cause de ce décalage social qui existe entre eux. Daniel, considères-tu qu’il est impossible de s’aimer quand on vient de milieux sociaux différents ?
Daniel : Non je ne crois pas. Ce qui rend impossible l’histoire entre Jorge et Natalia, c’est encore une fois ces complexes et ces contradictions qui traversent Jorge. C’est lui qui rend cet amour impossible à cause de ses complexes. Natalia, elle, n’en a pas : elle veut essayer de rendre possible cette histoire. Lui essaie de s’élever dans la hiérarchie sociale depuis le collège , il a fait des études mais c’est vrai que finalement il vit toujours au même endroit, il est concierge et s’occupe des poubelles de Natalia. Psychologiquement, avec le temps, cette situation crée chez Jorge un sentiment d’insécurité et de frustration qui le rend malheureux. Il désire vraiment changer de situation mais en même temps il rejette tout ce à quoi il aspire et au final il ne se passe rien, il reste concierge, il ne change pas.
Dans le film, il est question d’un amour d’enfance et d’évolutions différentes, crois-tu que c’est possible de rester toute sa vie avec son amour d’enfance ?
Quim : Jorge et Natalia ont eu une relation qui n’a jamais été vraiment définie Je crois qu’il y a quelque chose de très fort entre eux : ils se connaissant depuis toujours, ils ont passé beaucoup de temps ensemble.
Marta, pour toi ça a été difficile d’incarner cette jeune femme trahie, persécutée, meurtrie et profondément bouleversée ?
Marta : Oui pour toutes les raisons que tu viens de citer. Paula n’est pas uniquement une personne privée de liberté, c’est aussi quelqu’un qui a été trahi par la personne qu’elle aimait plus que tout. C’est la pire des choses qu’il puisse arriver dans la vie. Paula est donc une personne blessée par la vie qui, en plus, se retrouve dans une situation qui ne lui permet pas de se libérer de sa douleur. Dans le film, il est souvent question de non-expression de ses sentiments car les autres pourraient s’en servir comme d’une arme. Ainsi les gens en prison occultent constamment leurs sentiments. Marta ne peut pas exprimer sa douleur, elle la garde en elle, elle la cache.
A ton avis, pourquoi Paula veut-elle absolument un enfant ?
Marta : Déjà, en prison il y a plusieurs blocs et celui de la maternité est beaucoup plus agréable et confortable ! Mais je crois surtout que pour Paula, ce bébé est une sorte de fantasme : elle croit que grâce à lui elle pourra être heureuse.
Daniel : Aussi cette volonté d’enfant est à relier avec le bébé qu’elle a perdu, avec cette idée fantasmatique, un enfant pourrait réparer la douleur causée par le passé et ce bébé perdu. Elle pense que c’est cet enfant qui va faire disparaître ses problèmes et ses fantômes.
Marta : Mais je crois vraiment que c’est quelque chose qui relève du fantasme : penser qu’un enfant peut libérer d’une douleur, guérir une blessure. (Daniel acquiesce) Il y a également l’idée qu’en prison on n’est plus maître de soi-même. La prison c’est comme un retour à l’enfance , au collège, aux règles et aux normes. Tu n’es pas libre de tes choix, tu n’as pas de liberté. Et faire le choix d’avoir un enfant, c’est récupérer un peu de cette liberté volée.
Quels sont vos réalisateurs préférés ?
Marta : Moi je suis fan d’Alejandro Gonzalez Inarritu.
Quim : Ah oui ! Moi aussi…Les conflits dont il est question dans ces films me paraissent très intéressants, des conflits de personnages poussés à l’extrême et en même temps des choses très concrètes : un mélange de métaphores et de valeurs universelles.
Marta : Je crois qu’il y une génération de réalisateurs latinos très novateurs non seulement dans ce qu’ils racontent mais aussi dans la manière dont ils le racontent (Inarritu, mais aussi le metteur en scène de La cité de dieu (Fernando Meirelles, brésilien, ndlr).
Daniel : Moi ce sont les réalisateurs mexicains que j’aime beaucoup : Alfonso Cuaron, Guillermo del Toro etc. Comme Marta, je trouve qu’ils sont novateurs et surprenants. J’aime les histoires qu’ils racontent, leurs contenus et leurs formes.
Pour finir, parlez nous un peu de vos projets respectifs…
Marta : Une pièce de théâtre (espagnole) qui m’empêche de dormir… (rires)
Quim : Une série pour la télévision et plusieurs films pour cet été… Plusieurs ! ! ! (rires)
Daniel : Je suis en train d’écrire mon deuxième film. J’ai terminé un scénario. J’aime beaucoup le travail de scénariste, j’ai une formation pour ça à la base. J’ai donc écrit ce scénario pour un autre réalisateur qui va tourner cet été en Espagne. Je continue aussi d’écrire des courts-métrages, qui sont pour moi importants et essentiels en tant que mode premier d’expression.
Je ne pensais pas avant d’entrer dans cette pièce que j’en apprendrai autant sur l’essence du cinéma et le genre humain en si peu de temps. Pedro n’a pas de soucis à se faire, le cinéma espagnol a un avenir assuré : la relève est bel et bien là : jeune, novatrice, dynamique, humble et profondément humaine. « Gracias a dios… ! »
Propos recueillis par Fanny Laredo (15 Février 2007)