Succès commercial inattendu aux États-Unis, le thriller "Sound of Freedom" est associé outre-atlantique à la mouvance conspirationniste QAnon. Un lien que le réalisateur, Alejandro Monteverde, a tenu à réfuter publiquement.
Sound of Freedom, succès et complotisme
Le film Sound of Freedom, inspiré de l'histoire du controversé Tim Ballard - fondateur de l'organisation Operation Underground Railroad - n'en a pas fini de faire parler de lui. Distribué par la société de films chrétiens Angel Studios et réalisé par Alejandro Monteverde, il raconte avec les codes du film d'action la mission de Tim Ballard pour sauver des enfants d'un vaste trafic d'êtres humains. Grand succès commercial, promu par les médias conservateurs, il a engrangé depuis sa sortie plus de 172 millions de dollars de recettes sur le sol nord-américain. Une performance exceptionnelle pour un film indépendant, en dépit du malaise très réel qui l'entoure.
Sound of Freedom a été épinglé dès sa sortie pour sa proximité avec les théories de la mouvance conspirationniste d'extrême-droite QAnon. Si le film ne fait pas explicitement référence à cette mouvance - il a été tourné en 2018, avant la grande médiatisation de QAnon -, c'est son casting qui fait le lien. En effet, l'acteur principal Jim Caviezel, qui s'est publiquement fait porteur des théories QAnon, a réitéré des propos obscurs lors de la promotion de Sound of Freedom, basés sur la croyance forte QAnon que les "élites démocrates satanico-pédophiles" tortureraient et tueraient des enfants dans le cadre d'un "trafic d'adénochrome". Une promotion d'une idéologie partagée par Tim Ballard, lui-même promoteur des théories QAnon.
Le réalisateur nie le lien avec QAnon
Mais pour le réalisateur Alejandro Monteverde, Sound of Freedom n'a rien à voir avec la sphère complotiste. Dans une interview accordée à Variety, il a ainsi déclaré que l'association dans les médias avec la mouvance QAnon l'avait rendu "malade".
Ça m'a rendu vraiment malade. Je me disais : "Ça ne va pas du tout. Ce n'est pas vrai". Ça m'a brisé le coeur de voir toute cette polémique, toute cette controverse. Mon instinct me disait de fuir. Je voulais me cacher.
Bien au courant de la promotion orchestrée par Tim Ballard et Jim Caviezel, une projection ayant même été tenue en leur présence pour Donald Trump et son entourage politique, le réalisateur se désolidarise ainsi de ceux-là.
Écoutez, quand vous engagez des personnes, ce qu'ils font de leur temps libre, on ne le contrôle pas. J'ai réalisé le film. J'ai écrit le scénario. Et j'ai engagé l'acteur qui me semblait être le meilleur pour le film. Le sujet était très personnel pour lui. Jim Caviezel a adopté trois enfants en Chine. Quand on s'est rencontrés pour discuter du projet, il a fondu en larmes.
Je me suis dit : "Wow, ce gars est prêt à mourir sur le plateau". Et c'est ce que vous voulez, non ? Vous voulez quelqu'un qui soit à fond. (...) Je respecte ça, en tant que réalisateur qui dispose d'un acteur qui va tout donner. Ce qu'ils font après ? Chacun a le droit de dire ce qu'il veut. Maintenant, sur ce film en particulier, oui, ça a fait du mal à mon travail. C'est pourquoi je prends la parole aujourd'hui au lieu de m'isoler. Il est temps pour moi, l'auteur, le scénariste et le réalisateur, d'expliquer les origines du film.
Un film d'action corrompu par l'idéologie QAnon ?
Comme il le détaille dans l'interview, Alejandro Monteverde a écrit le scénario du film suite à un visionnage d'un reportage sur le trafic d'enfants, en 2015. À l'époque, Sound of Freedom se nomme alors The Mogul, et c'est une pure fiction. Mais aucun studio n'en veut, jusqu'à ce que Eduardo Verástegui, producteur du film, ne rencontre Tim Ballard. Le scénario évolue alors avec difficulté, le réalisateur ne s'accordant pas avec les idées de Tim Ballard, avant qu'ils ne trouvent ensemble un compromis.
Tourné en 2018 sous l'égide de la 20th Century Fox, juste avant son acquisition par Disney, le film est mis au placard suite au rachat. Le Covid-19 arrive, compliquant la nouvelle vente de Sound of Freedom dont le producteur a finalement racheté les droits à Disney. Surgissent alors les fondateurs d'Angel Studios, les frères Harmon, surfant sur la vague du récent succès de leur film de propagande chrétienne His Only Son. Ceux-là ont l'idée d'ajouter à la fin du film un message militant de Jim Caviezel, invitant les spectateurs à acheter et faire "don" de plusieurs places, qu'Angel Studios distribuera ensuite gratuitement. L'idée a fonctionné, même si elle a donné lieu à l'étrange phénomène de séances complètes dans des salles à moitié vides...
Bref, à en croire le récit d'Alejandro Monteverde, la matière "QAnon" de Sound of Freedom est donc à imputer à une promotion conspirationniste et une distribution à l'idéologie militante, le privant lui d'une reconnaissance "normale" de son travail. A-t-il perçu en amont le risque d'une récupération par la sphère complotiste ? Pouvait-il, aurait-il dû quitter son propre projet ? Les réponses n'ont pas été données par le réalisateur, qui dans tous les cas affirme vouloir prendre toutes ses distances avec la polémique créée par Sound of Freedom.