Taika Waititi : "c'était très gênant de tourner Jojo Rabbit déguisé en Hitler"

Taika Waititi : "c'était très gênant de tourner Jojo Rabbit déguisé en Hitler"

Le film "Jojo Rabbit" est sorti dans les salles françaises le 29 janvier 2020 et nous avons rencontré le réalisateur, Taika Waititi. Découvrez notre interview ci-dessous.

Après avoir remporté le prestigieux prix du public au dernier Festival de Toronto (où nous l'avions découvert), et raflé six nominations aux prochains Oscars, Jojo Rabbit de Taika Waititi arrive enfin dans les salles françaises le 29 janvier. Adaptation du roman Le Ciel en Cage de Christine Leunens paru en 2007, le long-métrage est une satire mettant en scène un jeune garçon membre des jeunesses hitlériennes, et sa projection fantasmée d'Adolf Hitler, qui lui sert d'ami imaginaire. Mêlant parfaitement la comédie et le drame, Taika Waititi, qui interprète une version clownesque du dictateur, livre une superbe ode à l'imaginaire enfantin (notre critique de Jojo Rabbit), et célèbre l'humanisme, avec comme toile de fond la Seconde Guerre mondiale dans toute son horreur.

À l'occasion de son passage à Paris en ce mois de janvier, nous nous sommes entretenus avec Taika Waititi pour en savoir plus sur ce film poignant.

Jojo Rabbit : interview de Taika Waititi

 

D'où est partie cette folle idée ?

C'est ma mère qui m'a recommandé le roman de Christine Leunens, mais il est très différent. Ce n'est pas un livre humoristique, il n'y a pas d'Hitler imaginaire. Il y a beaucoup plus de membres de la famille dans le foyer. Le ton du livre est beaucoup plus sombre. C'est un livre pour adultes, et c'était très important pour nous que le film soit accessible à un large public, dont des jeunes.

Vous avez présenté le film à Berlin, comment le film a-t-il été reçu par le public allemand ?

Je suis heureux de présenter le film dans tous les pays. Le propos et le style du film sont assez originaux pour être intéressants partout. Le public allemand a adoré, ça fait des années qu'on parle de la guerre, donc ils sont habitués à voir ce sujet traité de différentes manières à l'écran. Mais l'approche par l'humour est assez récente pour eux, et c'est tout à fait compréhensible. Mais beaucoup d'allemands m'ont dit que c'était comme un soulagement, de pouvoir enfin aborder ce sujet là par le prisme de l'humour.

Craignez-vous les réactions du public vis-à-vis de ce sujet grave traité avec humour ?

Non, pas vraiment. Ce qui m'inquiète c'est que le public ne comprenne pas le ton et les blagues du film, et que ça passe pour quelque chose d'arrogant, d'ignorant, et de déplacé.

À quel moment l'idée de personnifier Hitler est arrivée dans le processus d'écriture ?

C'est arrivé très tôt, en fait. Je voulais montrer la solitude du petit garçon et raconter cette histoire dans un style qui me soit personnel. Et ça me semblait être quelque chose d'intéressant à faire. Mais ça n'a jamais été mon intention de jouer le rôle. Je viens de Nouvelle-Zélande, j'étais un peu trop bronzé (rires) ! Cependant, je pense qu'il n'y avait pas beaucoup de comédiens qui auraient pu interpréter ce rôle comme je l'imaginais. Je pense qu'ils auraient fait trop de recherches sur le personnage, et je ne voulais surtout pas ça car le film serait mort si le personnage d'Hitler avait été trop réaliste. C'est la version que Jojo, un petit garçon de 10 ans, imagine. Le traiter ainsi enlève finalement le sérieux du personnage, sa puissance.

Pensez-vous que ça soit nécessaire de représenter Hitler de cette manière, à une époque où on ne peut plus rire de grand chose ?

Je me connais assez bien désormais pour savoir que je ne m'embarquerais jamais dans un film qui puisse offenser qui que ce soit. Je suis néo-zélandais, on est très polis (rires). Je pense que la comédie est absolument nécessaire quand il s'agit de parler de la dictature, de l'idéologie, et de ces idées qui menacent d'installer la haine dans le monde. Je crois qu'il faut se moquer du nazisme. Il faut le frapper au visage. 

Pourquoi était-ce important de raconter cette histoire à travers les yeux du personnage de Jojo ?

Parce que les enfants sont un miroir, qui renvoient aux adultes leur propre image. C'est quelque chose qu'ils font avec une grande sincérité. C'est beaucoup plus fort quand l'on s'aperçoit que les enfants nous regardent, nous adultes, avec leurs yeux d'enfants. En tant que père, je le remarque tous les jours. Et je me sens tout à fait ridicule quand ils me dépeignent, ou m'imitent, comme quelqu'un qui s'occupe trop de son travail par exemple. Et pourtant ils n'ont que sept ans (rires).

Quelles étaient vos références pour ce ton et cette façon de traiter cette période et ce personnage ?

Je n'ai pas regardé d'autres films pour la préparation, même si j'ai évidemment vu les grands classiques comme Le Dictateur de Chaplin par exemple, que j'adore. Mon inspiration c'était justement que ça n'avait jamais été abordé comme ça auparavant. C'était rassurant pour moi. Il n'y a pas de version d'Hitler utilisée dans le passé dont je me sois inspiré pour ce film. C'est un personnage très personnel, qui ressemble à des amis, et à moi aussi. Son regard sur le monde, si l'on enlève le nazisme, c'est vraiment le regard qu'a un enfant de dix ans.

Comment avez-vous présenté le projet du film aux parents de Roman Griffin Davis ?

Je leur ai dit qu'ils allaient gagner beaucoup d'argent, et puis j'ai dit à Roman qu'il allait sécher l'école, ils ont tout de suite accepté (rires) !

Plus sérieusement, il me semble qu'en Angleterre, et en Europe en général, les enfants sont très matures, et sont déjà au courant de ces sujets. Roman, à l'âge de dix ans, avait déjà une connaissance assez précise de ce qu'avaient été les événements. Il a ensuite fait des recherches plus approfondies et a vraiment appris ce qu'il s'était passé durant l'Holocauste. C'est un enfant très particulier, qui déborde d'humanité, et il n'y a jamais eu d'inquiétude de sa part, ou de la part de ses parents. Il est Jojo Rabbit. Il est le Jojo Rabbit de la fin du film.

Il n'avait pas d'interrogations particulières sur l'époque ?

Non pas vraiment. Mais on a beaucoup utilisé de films documentaires sur les jeunesses hitlériennes. Pas seulement pour les enfants, mais aussi pour toute l'équipe. 

Le film aborde aussi la manipulation dont peuvent être victimes les enfants...

Oui, tout à fait. Et j'avais aussi envie que ce film soit contemporain, par exemple dans le dialogue, qui n'est pas du tout un dialogue d'époque, ou la musique. Il fallait vraiment que ça donne le sentiment que ça pouvait arriver aujourd'hui.

Dans le film, tous les personnages font preuve d'une grande humanité...

C'était important de montrer que tous les personnages étaient affectés, d'une façon ou d'une autre, par la guerre. Certains ont simplement pris une mauvaise décision à un moment donné de leurs vies. Disons que derrière tout ça, il n'y a peut-être pas de l'espoir, mais je voulais montrer qu'il y a, chez tous les personnages, quelque chose d'humain quelque part. Tous avaient en tout cas une vie avant la guerre. Le fait est que personne ne naît mauvais. Enfin, à part Damien, le gamin de La Malédiction (rires).

Comment avez-vous choisi les chansons de l'introduction et de la fin du film ?

Certaines musiques étaient déjà présentes dans la première version du scénario qui date de 2011. Il y avait "I Don't Wanna Grow Up", "Everybody's Gotta Live", et "Heroes". Et l'idée des Beatles est venue car dans les documentaires que l'on a présentés à l'équipe, il y a avait pas mal d'images d'archives, notamment de Leni Riefenstahl, des images de foules, et ça m'a rappelé les foules des concerts des Beatles.

Ça fait quoi de diriger des acteurs déguisé en Hitler ?

C'était pas drôle. C'était gênant. Du coup, j'ai compensé en étant encore plus gentil avec les autres. Mais c'est compliqué car à chaque fois qu'on se regarde, on se trouve vraiment complètement ridicule. C'était juste très gênant.