Taxi Driver : quand Jodie Foster inspirait une vraie tentative d'assassinat

Taxi Driver : quand Jodie Foster inspirait une vraie tentative d'assassinat

En 1976, Martin Scorsese présente "Taxi Driver", film monumental aux mille réussites, dont les révélations au plus haut niveau de Robert De Niro et Jodie Foster. L'actrice y compose Iris, une jeune prostituée. Jodie Foster et son personnage vont devenir l'obsession d'un homme qui, par "amour" pour l'actrice, va tirer en 1981 sur le Président américain Ronald Reagan.

Jodie Foster, une vie de grand cinéma

Jodie Foster est une immense star et une des plus grandes actrices du cinéma depuis les années 1970. Parmi ses plus grands rôles, il y a évidemment celui d'Iris dans Taxi Driver, une jeune prostituée qui va devenir le réceptacle des obsessions de Travis Bickle (Robert De Niro).

Le film, sorti aux États-Unis en février 1976, a été suivi cinq ans plus tard par la tentative d'assassinat du Président des États-Unis Ronald Reagan perpétrée par John Hinckley Jr. le 30 mars 1981. Quel est le trait d'union entre ce très grand film de l'histoire du cinéma et cette tentative d'assassinat ? Ou plutôt, qui ?

Taxi Driver, un film trop inspirant ?

Les années 70 américaines sont aussi troubles que les films le montrent. Taxi Driver raconte l'histoire d'un jeune vétéran du Viêt Nam, chauffeur de taxi névrosé dans un New York violent et dont il souffre de la perversion. Il nourrit le projet d'attenter à la vie d'un candidat à la primaire démocrate la présidence américaine et entreprend par ailleurs de protéger Iris, une mineure prostituée. Il y a, fait plutôt rare, une histoire vraie avant et après le film. Martin Scorsese et Paul Schrader se sont en effet inspirés du parcours d'Arthur Bremer, un jeune homme qui avait tiré sur le candidat aux primaires du parti démocrate George Wallace en 1972.

Il est un modèle pour le personnage de Travis Bickle, en quête obsessionnelle lui aussi d'une reconnaissance. Le film, une fois sorti, est un immense succès commercial et critique et marque le début de la légendaire collaboration entre Martin Scorsese et Robert De Niro, qui n'était "que" second rôle dans Mean Streets. Aussi, Taxi Driver révèle la jeune Jodie Foster, d'une précocité stupéfiante. Âgée de 13 ans lors de la sortie du film, elle est nommée en 1977 à l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle et reçoit le BAFTA équivalent ainsi que celui de la meilleure révélation la même année. Ce rôle va la poursuivre, pour le meilleur cinématographique et pour le pire dans la réalité...

Taxi Driver
Iris (Jodie Foster) - Taxi Driver ©Columbia Pictures

Taxi Driver est un drame psychologique puissant et un film "néo-noir" fascinant. Le personnage interprété par Travis Bickle devient rapidement une référence populaire. Si son personnage est l'objet d'une critique de la société et est un pur anti-héros, il a malheureusement inspiré à certains individus de sombres projets criminels. C'est le cas de John Hinckley Jr, jeune homme né en 1955 dans l'Oklahoma et obsédé par Taxi Driver. Ou plutôt, et c'est plus problématique, obsédé par Jodie Foster

John Hinckley Jr., comme Travis Bickle

En 1976, à la poursuite d'un destin glorieux et laissant derrière lui une adolescence aisée et discrète à Dallas, John Hinckley Jr. tente l'aventure californienne. Il échoue à s'y installer comme auteur-compositeur, est isolé et vite à court d'argent. Il revient rapidement chez ses parents, avant d'intégrer en 1978 le parti nazi américain. Mais de nature violente et passionnée par les armes à feu, son adhésion n'est pas renouvelée l'année suivante… Depuis qu'il a vu Taxi Driver, puis revu encore et encore, il s'habille comme Travis Bickle et se procure plusieurs armes. Son obsession pour Jodie Foster grandit.

Lorsque la jeune actrice entre à l'université de Yale en 1980, John Hinckley Jr. s'installe dans le Connecticut pour se rapprocher d'elle. Il glisse des dizaines de messages et des poèmes sous la porte de sa chambre qu'elle occupe à l'université, et la contacte par téléphone à plusieurs reprises. N'arrivant pas à créer de liens, il entreprend donc d'attirer de manière spectaculaire son attention, projetant de détourner un avion ou d'assassiner le Président. C'est à cette fin qu'il vise d'abord le Président sortant Jimmy Carter, le suivant dans ses déplacements sans jamais passer à l'acte.

Quand l'obsession conduit au cauchemar

Le 8 décembre 1980, il vit très mal l'assassinat de son idole John Lennon. Un événement qui va aggraver son déséquilibre et précipiter sa tentative d'assassinat sur le Président-élu Ronald Reagan. Peu de temps avant de tirer les six coups de feu du 30 mars 1981, il écrit ceci à l'actrice :

Ces sept derniers mois, je t'ai laissé des dizaines de poèmes, de lettres et de messages d'amour dans l'infime espoir que tu puisses développer de l'intérêt à mon égard. Bien que nous ayons parlé au téléphone quelques fois, je n'ai jamais eu le courage de simplement te rencontrer pour me présenter. Jodie, je suis prêt à abandonner l'idée d'atteindre Reagan dans la seconde si seulement je pouvais gagner ton coeur et passer le reste de ma vie avec toi, que ce soit dans l'anonymat ou autre. La raison pour laquelle je vais faire cela est que je ne peux plus attendre une seconde de plus pour t'impressionner. Je dois maintenant faire quelque chose pour que tu comprennes clairement que je fais tout ça pour toi.

Ronal Reagan shot
©DIRCK HALSTEAD/LIAISON/GETTY IMAGES

Mais John Hinckley Jr. n'a jamais envoyé cette lettre, qu'il a laissée à son hôtel à Washington - où il s'est enregistré sous le nom J. Travis - avant de se rendre à l'hôtel Hilton où Reagan devait prononcer un discours. Le 30 mars 1981, Jodie Foster apprend donc seulement que quelqu'un a tiré sur Ronald Reagan et ne cherche pas plus de détails. C'est le soir que ses camarades de dortoir lui apprennent que l'auteur de la tentative d'assassinat est "John", celui-là même qui la harcèle depuis plusieurs mois. Commence alors pour Jodie Foster une période où s'enchaînent les conférences de presse, des rencontres avec des avocats et le FBI, des dirigeants de Yale…

À la poursuite de la normalité

Dans Taxi Driver, Travis Bickle cherche d'abord à impressionner Betsy (Cybill Sheperd), une jeune femme de son âge qui travaille au QG de campagne du sénateur Charles Palantine. Échouant lamentablement à la séduire, il va s'enfoncer dans la solitude et la violence et entreprendre de sortir Iris de sa situation et des mains de son proxénète (Harvey Keitel). Le parcours de John Hinckley Jr. est terrifiant de similitudes avec celui de Travis Bickle dans la première partie du film, un peu moins dans la seconde où le personnage devient dans cette histoire un héros… Déclaré irresponsable et atteint de troubles psychiatriques, John Hinckley Jr. est interné dans un établissement psychiatrique. Il en est sorti en 2016, avec la stricte interdiction de chercher à approcher ou contacter Jodie Foster.

Comme John Hinckley Jr. n'a jamais caché son obsession pour Taxi Driver et particulièrement pour sa jeune actrice, la revendiquant jusqu'à lui crier à son procès "Je t'aurai Foster !", la jeune femme s'est donc retrouvée au cœur de l'inspiration d'un geste hautement dramatique… Cet événement a eu une répercussion sur la manière dont Jodie Foster va ensuite poursuivre sa carrière, instaurant une distance importante avec son public. À partir de ce moment, l'actrice développe une attitude très défensive sur le sujet de la vie privée et de sa sauvegarde, et une définition stricte de ce qu'il faut entendre par "amour" et "obsession". Comme elle l'expliquait avec une grande perspicacité dans une interview à Esquire dès décembre 1982 :

Je suis désolé pour les gens qui confondent l'amour avec l'obsession et je suis blessée par ceux qui m'ont infligé cette confusion. L'obsession est une souffrance et une attente de quelque chose qui n'existe pas. Le plus grand crime de John Hinckley est cette confusion entre l'amour et l'obsession. Je ne lui pardonnerai jamais cet avilissement de l'amour. Son ignorance me pousse seulement à dire qu'il rate quelque chose. L'amour est bienveillant. L'obsession est pitoyable et égoïste. C'est la leçon que j'ai apprise. Je serai toujours méfiante vis-à-vis des gens qui clament leur amour pour moi. Je sais ce qu'est l'amour. Le savent-ils, eux ?

Si cet événement n'a pas été le principal moteur de la discrétion avec laquelle Jodie Foster a voulu mener sa carrière, fuyant les médias et protégeant sa vie privée, il y a participé en étant l'exemple caricatural, mais bien réel de ce que la popularité peut réserver de pire.