Trois bonnes raisons de (re)voir Memories of Murder

Trois bonnes raisons de (re)voir Memories of Murder

Memories of Murder, chef d’œuvre du cinéma coréen et de Bong Joon-ho ressort dans les salles dans une version restaurée 4K. C’est à ne manquer sous aucun prétexte, et on vous en donne trois raisons.

Les débuts de la nouvelle vague coréenne

Quand sort au début des années 2000 Memories of Murder (2003 en Corée, 2004 en France) le cinéma coréen s’apprête à connaître un renouveau. C’est la nouvelle vague emmenée, la même année, par Park Chan-wook (Old Boy), Kim Jee-woon (Deux soeurs) et donc, Bong Joon-ho, pour qui il s’agit du deuxième long-métrage après Barking Dogs Never Bite (2000). Une bande d’enragés qui vont redéfinir ce cinéma (et pas que) dans une Corée du Sud tout juste sortie de la dictature. Ils se lancent dans le cinéma de genre, tout en faisant passer subtilement des messages liés aux traumatismes de leur pays. Avec Memories of Murder, Bong Joon-ho questionne en effet son pays et les victimes oubliées du régime militaire.

Il n’est alors pas anodin de le voir opter pour le polar avec Memories of Murder. Un genre qui, à l’époque, peine à retrouver une nouvelle inspiration. Mais Bong Joon-ho casse les codes en mettant notamment de côté l’élucidation du crime - qui finira par une incertitude pour le spectateur - pour rester aux côtés des inspecteurs, sur qui l’enquête va se répercuter. Une police peu consciencieuse et pressée d’en finir, que Bong Joon-ho aborde par le mélange des genres. Amenant dans la première moitié du film de la drôlerie, même durant les séquences les plus macabres. Comme cette première scène, où l’inspecteur Park découvre dans un fossé le corps d’une femme, tandis que se tient devant lui un enfant imperturbable.

Un True Detective avant l’heure

 

L’histoire, tirée de faits réels, se passe en 1986, dans la province de Gyunggi. Dans un pays jusque-là plutôt calme, la découverte d’un tueur en série va bouleverser la vie des deux inspecteurs ; Park (Song Kang-ho), le flic de campagne, et Seo (Kim Sang-kyeong), celui de la ville, appelé en renfort depuis Seoul. Deux hommes opposés dans leurs méthodes et leurs valeurs, mais obligés de collaborer ensemble. Avec Park, Bong Joon-ho montre une police incompétente, presque amateure, prête à inventer des preuves et violenter les suspects pour obtenir des aveux. Seo, quant à lui, reste intègre à ses principes pour résoudre une affaire pauvre en indices, et tenter d’attraper un tueur à jamais invisible à l’écran.

Mais si Bong Joon-ho confronte ces deux anti-héros (très humains) de la sorte, c’est justement pour mieux les rapprocher. En tirant l’un vers l’honnêteté et en faisant sombrer l’autre, on retrouve une construction proche du Seven de David Fincher, qui en 1995 re-définissait déjà les codes du genre. Et avec son ambiance rurale et poisseuse, Memories of Murder apparaît même comme un True Detective avant l’heure. Pour les adeptes du cinéma coréen, on peut également y voir une influence pour Na Hong-jin. Ce dernier livrant de la même manière, avec The Chaser, une vision particulièrement sombre et pessimiste, poussée ensuite à l’extrême avec The Strangers. Une noirceur dans laquelle Memories of Murder s’enfonce délicatement, jusqu’à atteindre un niveau de tragédie bouleversant dans son dernier tiers.

Une mise en scène à montrer dans les écoles

 

Mais alors que vient de sortir sur Netflix son dernier film, Okja, à la mise en scène bien trop plate, revoir Memories of Murder c’est aussi se rappeler que Bong Joon-ho est capable de grandes choses à ce niveau-là. À savoir, faire passer le récit par l’image et le montage. S’il réalise quelques travellings latéraux soignés (prémices de Snowpiercer, le transperceneige) et des plans d’extérieur visuellement somptueux, ainsi qu’une course-poursuite tendue, c’est surtout son attention qu’il prête au cadre qui reste un exemple. Bong Joon-ho réfléchit autant à ce qu’il place devant sa caméra que le hors champ. Et bien qu’il semble donner beaucoup de liberté aux acteurs (avec de longues scènes très dialoguées), il s’avère en réalité extrêmement précis dans le placement des protagonistes.

Ne serait-ce que sa manière de dépeindre la relation des inspecteurs serait à étudier dans les écoles de cinéma. Mettant d’abord Seo en retrait des autres inspecteurs pour signifier son mécontentement devant les méthodes de tortures employées, avant de le placer face à Park durant leurs confrontations, puis de les insérer ensemble dans le cadre une fois leurs différents mis de côté. Et pour finir de vous convaincre, on vous propose la bande-annonce version HD.

Pierre Siclier (3 juillet 2017)