Valérie Donzelli (L’Amour et les forêts) : "j’avais envie de m’amuser avec la mise en scène"

Valérie Donzelli (L’Amour et les forêts) : "j’avais envie de m’amuser avec la mise en scène"

Pour son nouveau long-métrage en tant que réalisatrice, Valérie Donzelli a choisi d'adapter, en collaboration à l'écriture avec Audrey Diwan, le roman d'Eric Reinhardt "L'Amour et les forêts" paru en 2014. Pour la première fois, elle s'aventure dans le genre néo-noir, aux frontières du thriller hitchcockien et met en scène une histoire d'amour destructrice portée par Virginie Efira et Melvil Poupaud. Nous l'avons rencontrée.

L'Amour et les forêts : rencontre avec Valérie Donzelli

Dans le livre d’Eric Reinhardt, l’histoire est racontée du point de vue de l’auteur, qui a été totalement effacé dans le film…

Il a à la fois été effacé mais aussi remplacé. Ce qui m'avait plu dans le livre c'était l'idée de la personne qui parle et de celle qui écoute, que je trouvais très intéressante. Ça a été repris dans mon film puisque Blanche raconte son histoire à quelqu'un qui l'écoute. C'était une manière de remplacer un peu le personnage de l'écrivain qui nous emmenait vers d'autres pistes dans le livre. C'est un livre difficile à adapter car il se passe beaucoup de choses, il est très dense et moi j'avais vraiment envie de raconter ce qu'il se passe avant que le livre démarre, c'est-à-dire toute la construction de cette relation amoureuse qui devient petit à petit une relation d’emprise.

Pour quelles raisons ?

Le roman d'Eric est exceptionnel mais il est tellement violent et tellement dur que je ne pouvais pas retranscrire ça au cinéma. C'est pas pareil d'écrire un livre, et de voir des images. Quand on écrit un roman, les images on se les fabrique, mais elles n'existent pas. Montrer ça c'est vraiment très compliqué je trouve. J'avais l'impression qu'il fallait donner à cette histoire d'amour une vraie crédibilité. Dans le livre, on a l'impression qu'elle ne l'aime pas vraiment, qu'elle ne l'a jamais aimé, et que c'est juste l'histoire d'un homme mal-aimé et que c'est pour ça qu'il est méchant. Moi je ne voulais pas du tout raconter ça.

Je voulais raconter une histoire d'amour qui se déglingue. Je voulais raconter comment la première emprise c'est l'amour. Quand on tombe amoureux de quelqu'un, on est sous l'emprise de l'amour. On n'a plus du tout de recul sur ce qu'on vit, on est embarqué dans un tourbillon, on idéalise l'autre, on est prêt à tout pour être aimé. Quand on est un amoureux de l'amour comme Blanche on est prêt à toutes les concessions, on veut que ça marche. On veut aimer, et on veut être aimé en retour.

Elle est débordée par ce sentiment-là, et très vite elle est emportée par cette histoire. Et petit à petit, elle va se rendre compte qu'il y a des choses compliquées, mais c'est peut-être un peu trop tard. Elle aurait dû déjà réagir, et puis elle réagit pas, parce qu'elle veut prendre sur elle, et qu'elle se dit que c'est pas si grave que ça, comme une réflexion sur une coupe de cheveux. Et petit à petit, elle commence à perdre confiance en elle, elle commence par ne plus savoir comment penser et surtout, elle a de l'appréhension sur tout. Elle vit dans la peur. Et c'est montrer comment cette chose invisible se construit. Car si c'était visible dès le départ, on n'irait pas, donc il faut bien qu'à un moment donné, il y ait quelque chose qui nous empêche de le voir. Et ce qui nous empêche de le voir, c'est évidemment le filtre amoureux, mais c'est aussi que ça ne se voit pas.

Blanche (Virginie Efira) et Grégoire (Melvil Poupaud) - L'Amour et les forêts
Blanche (Virginie Efira) et Grégoire (Melvil Poupaud) - L'Amour et les forêts © Diaphana

Vous avez également fait arriver rapidement la soeur jumelle de Blanche, Rose, qui n’arrive que très tard dans le roman. Pourquoi ce choix ?

Quand j'ai lu le roman et que j'y ai vu le potentiel cinématographique il y avait deux choses qui me plaisaient : la question de la personne qui parle et de celle qui écoute et aussi celle de la gémellité. Il n'y a rien de plus fort, je pense, qu'un lien entre frères et soeurs, qui plus est lorsqu’il s’agit de jumeaux. C'était important pour moi que ça soit la même actrice qui joue les deux soeurs jumelles alors que dans le roman d'Eric, ce sont des soeurs qui ne se ressemblent absolument pas. C'était intéressant pour moi car c'était presque un miroir d'elle. À chaque fois, c'est comme si elle se voyait elle dans une situation dans laquelle elle pourrait être mais dans laquelle elle n'est pas. Et comme je voulais que le film soit très mental, qu'on soit vraiment dans le point de vue de Blanche, de la victime, je trouvais ça plus intéressant que ça soit la même actrice qui joue les deux rôles.

C’est la première fois que vous vous aventurez dans le film néo-noir, presque thriller d’angoisse…

C'est venu d'un désir de cinéma, d'explorer quelque chose que je n'avais jamais fait, d'aller vers des terres inconnues. J'avais envie de m'amuser avec la mise en scène parce que c'est un genre de films qui nécessite une mise en scène précise et particulière. Je voulais que le film soit mental, et qu'il soit sensoriel, physique.

Grégoire (Melvil Poupaud) et Blanche (Virginie Efira) - L'Amour et les forêts
Grégoire (Melvil Poupaud) et Blanche (Virginie Efira) - L'Amour et les forêts © Diaphana

Comment avez-vous façonné ces scènes physiques, parfois très intimes ?

On les prépare en en parlant avec les acteurs, en réfléchissant à ce qu'on va filmer, comment on veut le filmer, et puis c'est comme les scènes de bagarre, on se jette à l'eau. Je n’en ai pas beaucoup filmées dans ma carrière car je trouve ça assez difficile à faire. Mais ce qui était important pour moi c'était de montrer la passion physique aussi, qu'il y avait une sensualité entre eux, qu'il y avait une jouissance dans leurs corps, dans leurs rapports physiques très importante.

Vous avez collaboré à l’écriture avec Audrey Diwan, et avez d’ailleurs travaillé avec son chef-opérateur, Laurent Tangy. Pourquoi ce choix ?

Pour ce film, j'avais besoin de travailler avec des gens que je ne connaissais pas. J'avais envie d'expérimenter autre chose. Et en regardant L'Événement d'Audrey Diwan, j'ai été assez surprise par le grand écart de Laurent par rapport aux autres films sur lesquels il avait travaillés, Le Grand Bain, BAC Nord etc, qui sont assez éloignés. Il fait vraiment le grand écart entre films intimistes et grand public.

Et ce qui m'a impressionnée dans le film d'Audrey, c'est comment il fait corps avec la caméra. J'avais trouvé ça aussi très impressionnant dans BAC Nord. C'est assez vertigineux. Je l'ai rencontré, et humainement j'ai aimé qui il était, j'ai trouvé qu'on avait des points communs. C'est quelqu'un qui comme moi n'a pas fait d'école, il s'est formé seul. On s'est vraiment bien entendus et compris et c'était très agréable comme partition.

Eric Reinhardt, Audrey Diwan, Valérie Donzelli et Virginie Efira à Cannes 2023 pour la présentation du film "L'Amour et les forêts"
Eric Reinhardt, Audrey Diwan, Valérie Donzelli et Virginie Efira à Cannes 2023 pour la présentation du film "L'Amour et les forêts" © Isabelle Vautier pour CINESERIE.COM

Parlons de la fin du film, qui est beaucoup plus lumineuse que celle du roman d’Eric Reinhardt…

C'était très important pour moi, d'abord parce que je suis quelqu'un d'optimiste qui croit en la résilience, en la beauté, la joie et la lumière. Je ne suis pas attirée par les ténèbres, je suis attirée par ce qui est solaire. J'aime être heureuse, être joyeuse, et mes films racontent toujours un peu ça même si on passe par des moments douloureux. Je pense que c'est important d'aller vers ce qui est bon humainement, ce qui est beau. C'était important que le film se termine sur quelque chose de très lumineux.