Alice Isaaz et Pascale Arbillot : "Il y avait une vraie communion sur le tournage de Vivants"

Alice Isaaz et Pascale Arbillot : "Il y avait une vraie communion sur le tournage de Vivants"

Alice Isaaz et Pascale Arbillot nous parlent du tournage de "Vivants", nouveau film d'Alix Delaporte centré sur une équipe de grands reporters. Un film inspiré de la propre expérience de la réalisatrice.

Vivants : les grands reporters à l'honneur

Près de dix ans après Le Dernier coup de marteau (2014), Alix Delaporte est de retour avec Vivants, un film intelligent et maîtrisé, centré sur une rédaction de grands reporters. Un récit en partie inspiré de la vie de la cinéaste, qui avant de passer à la réalisation, débuta comme stagiaire au sein de l'agence de reportages et de documentaires CAPA. Une expérience qui dura un peu plus d'un an et durant laquelle elle apprit le métier de caméraman aux côtés de journalistes.

Comme elle l'explique dans le dossier de presse, elle n'a "pas vécu ce que les journalistes de Vivants ont vécu, mais elle les a rencontrés, observés". C'est donc son regard sur ce monde qu'elle transpose dansson film en partant de Gabrielle (Alice Isaaz), une femme de 30 ans qui, après avoir été guide de haute-montagne, a décidé de changer de voie. La voilà donc qui débarque au sein d'une petite équipe menée par le rédacteur en chef Vincent (Roschdy Zem).

Vivants ©Pyamide Distribution
Vivants ©Pyamide Distribution

Une équipe qu'on sent fatiguée de devoir se battre constamment pour des sujets qui intéressent de moins en moins les audiences, mais qui reste soudée et passionnée. Parmi les membres de cette rédaction se trouve Camille (Pascale Arbillot), une mère pour certains, et le premier contact de Gabrielle à son arrivée. À l'occasion de la sortie de Vivants en salles (le 14 février 2024), nous avons rencontré les deux femmes qui les interprètent.

Vivants est inspiré de l'expérience d'Alix Delaporte au sein de CAPA. Avez-vous discuté avec elle de la partie réelle au sein de cette fiction ?

Alice Isaaz : Je savais que le film était largement inspiré de la vie d'Alix Delaporte. Mais le scénario a beaucoup évolué par rapport aux premières versions. Je savais aussi qu'Alix ne voulait pas faire de sa vie un événement, mais qu'elle voulait surtout traiter d'un sujet qu'elle connaît, qui la touche et qui permettait d'être le foyer pour une bande d'amis, une famille de journalistes. Il y avait quand même un peu de pudeur vis-à-vis de sa propre vie. Donc je n'ai pas insisté pour savoir ce qui était vrai ou romancé. Je l'ai laissé me dire ce qu'elle avait envie de me dire. J'ai été assez discrète et je n'ai pas voulu creuser plus.

On a beaucoup travaillé toutes les deux en amont, sur le texte. Elle m'a demandé surtout d'arriver chargée justement de ce passé. On a très peu d'informations sur le personnage de Gabrielle, mais je préfère ça. Je n'aime pas forcément qu'on me dise tout. J'aime que le réalisateur me dise quelque chose que, peut être, je serai la seule à savoir pour que ça me nourrisse.

Comment s'est passée votre préparation à chacune ?

A.I : Alix m'a fait passer deux-trois jours en haute montagne avec un guide de mon âge pour que j'approche de près le quotidien de Gabrielle. Et elle m'a demandé de me préparer physiquement. Même si dans le film il y a peut-être deux secondes où on me voit les bras nus, l'important c'est qu'on y croit. Et enfin j'ai été mise à l'écart de l'aspect documentation et de la rencontre avec des reporters, contrairement aux autres membres du casting.

Alice Isaaz - Vivants ©Pyamide Distribution
Alice Isaaz - Vivants ©Pyamide Distribution

Pascale Arbillot : Oui, pour ma part j'ai rencontré la personne dont mon rôle est inspiré. C'est Elisabeth Beuvain, qui était à l'origine de la création de CAPA et qui en est la directrice. Elle a connu vingt, trente ans d'émissions, de grands reportages. C'est quelqu'un qui a une vitalité incroyable. Quand elle en parle, on sent qu'elle pourrait repartir demain. Et en même temps, il faut s'arrêter à un moment donné, parce que ce n'est pas une vie. Et pourtant, c'est leur vie.

Par contre, je ne me suis pas forcément inspirée d'elle pour l'interprétation. C'est plutôt Alix qui m'a demandé d'être ancrée dans le sol. Elle voulait que je marche de manière lourde, comme un mec. Elle cherchait aussi à capter la vérité, la simplicité et le quotidien. Donc pour ça, il faut casser les habitudes d'acteur. Elle l'a obtenu aussi dans son placement de la caméra, en ne nous disant pas forcément quand on était filmé. Il faut être en jeu tout le temps.

En effet, la mise en scène de Vivants est particulière, surtout pour les séquences au sein de la rédaction. On retrouve souvent l'équipe qui forme une sorte de cercle, et la caméra placée à différents angles.

P.A : Tout est placé. On sait très bien où on est, mais la caméra n'est pas forcément sur nous. En faut qu'il y ait une sorte de balai. Cela prend du temps à se mettre en place, mais cela permet de nous avoir en jeu ensemble. Et d'ailleurs, quand ça ne marchait pas, Alix disait "C'est pas vous, c'est moi qui déconne".

A.I : J'ai vraiment senti l'esprit de travail de groupe sur ce film, un peu comme une troupe de théâtre. Sur certains films, même quand on est nombreux pour une séquence, il y a quelque chose d'un petit peu plus individuel parfois. Là, on ne savait pas trop où la caméra allait se balader. Donc on était tout le temps tous ensemble. Et le plus étonnant, c'est qu'Alix pouvait avoir un plan sur Roschdy Zem, couper, et venir nous parler pour revoir notre réplique. On était hyper impliqués.

Justement Roschdy Zem marque les esprits lors d'une scène de danse remarquable où il se livre entièrement.

P.A : On savait qu'il allait danser, mais on ne l'avait jamais vu répéter. Mais c'était très beau. Car on voyait le personnage, ainsi que l'acteur, se mettre à nu. Il y a quelque chose de très impudique et donc de bouleversant.

Roschdy Zem - Vivants ©Pyamide Distribution
Roschdy Zem - Vivants ©Pyamide Distribution

A.I : C'est vrai qu'on était devant un Roschdy dans un état de vulnérabilité qui était vraiment beau. Il y avait une vraie communion à cet instant. Nous, on le regardait avec beaucoup de bienveillance. Je trouvais ça beau même qu'Alix fasse ça dans son film. Je l'ai vécu comme un moment de poésie et j'espère que le spectateur le vit comme ça en voyant le film. Mais c'est là où Alix est très forte dans l'écriture. Car rien n'est vraiment écrit, mais on ressent tout, on comprend tout. Sans que ce soit surligné. Il y a une sensibilité dans ce film, avec une économie de dialogues et une direction d'acteur.

Était-ce difficile de jouer, comme vous dites, avec une "économie de dialogues" ?

A.I : Gabrielle, c'est un personnage à l'état brut, naturel, sans artifice, avec peu de texte. On peut penser que c'est plus simple, mais au contraire, c'est super dur. Je me rends compte à quel point le texte parfois aide. Lorsqu'il n'y en a pas, être dans l'observation, c'est compliqué. Mais ce rôle, je l'aimais pour ça. Je peux être très expressif du visage. Et Alix me disait toujours d'arrêter. C'était dur de supprimer toutes mes mimiques, qui sont des réflexes. C'est la première fois que j'ai été amenée à travailler comme ça, avec peu de texte, tout en devant contrôler autant de choses.

P.A : C'est vrai qu'au début, j'essayais de faire quelque chose que je n'arrivais pas à faire. Sauf que c'est juste une question de confiance en soi et de maîtrise du texte. Et une fois que la première journée est passée, ça roule. C'est une espèce de chimie. Qui est passée par un truc inconfortable. C'est l'inconfort qui m'a permis de trouver l'interprétation. Du moins pour ce tournage.

Vivants évoque le bouleversement du métier de grand reporter et de cette rédaction. On peut faire un parallèle avec votre milieu à vous. On parle beaucoup en ce moment de l'avenir du cinéma, que ce soit la question de la salle par rapport aux services de streaming, ou la question de l'utilisation des IA dans la création.

P.A : C'est un peu bateau de dire ça, mais le progrès a ses défauts et ses qualités. Et chaque génération vit un bouleversement de fait. Je pense qu'il y a une question de pouvoir et de domination qu'il faut prendre en compte. Parce que parfois l'IA peut être exceptionnelle. Et d'ailleurs il y a peut-être une correspondance entre les acteurs et les journalistes par rapport à l'IA. On peut par exemple faire revivre Marilyn Monroe grâce à l'IA. Ce qui est à la fois beau et atroce quand on y pense. Mais ensuite, comme pour les journalistes, il y a une question de déontologie derrière.

A.I : C'est sûr que ça fait peur tout ça, parce que c'est encore tellement inconnu. On se rend bien compte qu'il peut y avoir des dérives et que ça peut venir bouleverser certaines choses. Sauf qu'en même temps, je pense qu'on évolue avec notre temps. Au final, il y a des choses qui pouvaient nous faire peur il y a quelques années avec l'arrivée des plateformes et on se rend compte que ça a aussi d'autres avantages. J'ai remarqué, par exemple, que la frontière entre la télévision et le cinéma, qui avant était assez marquée, est un peu tombé et je trouve ça chouette. Au final, on navigue un petit peu plus.

Vivants est à découvrir en salles le 14 février 2024.