Waterworld : quand le film brisait une amitié et la carrière de Kevin Reynolds

Un film très coûteux pour Kevin Reynolds

Waterworld : quand le film brisait une amitié et la carrière de Kevin Reynolds

La super-production "Waterworld", avec son ambition démente, son tournage infernal et sa mauvaise réputation, a fait plus que simplement animer la légende de l'industrie hollywoodienne. En effet, le film a été l'ultime déclencheur d'une grave brouille entre le réalisateur Kevin Reynolds et l'acteur Kevin Costner.

Waterworld, le grand film malade des années 90

Écrit au milieu des années 80 par Peter Rader, Waterworld était à l'origine un film à petit budget, qui prendrait le contrepied des productions post-apocalyptiques de l'époque, à savoir un récit d'un monde submergé par les eaux plutôt que désertique. À partir de 1989, le script est réécrit plusieurs fois, avec un budget qui monte, nécessitant l'implication et l'investissement financier de son distributeur Universal Pictures à la production.

En 1992, Kevin Costner et Kevin Reynolds arrivent pour respectivement incarner le premier rôle et réaliser le film. Le budget est alors de 100 millions de dollars, mais va encore grossir, pur atteindre en fin de course et après un tournage infernal les 175 millions de dollars, soit le film le plus cher de l'histoire à l'époque.

Waterworld
Waterworld ©Universal Pictures

C'est qu'il faut construire un atoll artificiel au large d'Hawaï pour les gigantesques décors du film, fabriquer et mettre à disposition des milliers d'accessoires, construire sur-mesure deux trimarans, à 1 million de dollars l'unité, satisfaire aux demandes mégalomanes de Kevin Costner, logé à grands frais... Compliqué par un tournage en eaux vives, où toute l'équipe souffre du mal de mer, Waterworld est un projet monstrueux qui cristallise toutes les difficultés et pressions d'une production aussi importante. Projet d'une vie pour la superstar Kevin Costner, aussi producteur de Waterworld, celui-ci va progressivement prendre le pouvoir et s'embrouiller durablement avec le réalisateur Kevin Reynolds.

Contexte ? "It's complicated"

Pourtant, tout avait plutôt bien commencé pour les deux Kevin, avec une première collaboration en 1985 pour Une bringue d'enfer (Fandango en VO), premier long-métrage du réalisateur texan. Échec commercial, ce film trouve son succès grâce à son exploitation en vidéo, et est devenu culte au fil des années. En 1991, Kevin Reynolds dirige de nouveau Kevin Costner dans, cette fois-ci, le très grand succès aux États-Unis et dans le monde Robin des Bois, prince des voleurs.

Et, déjà, les deux amis connaissent leurs premières frictions. En cause : la performance d'Alan Rickman, qui joue le shérif de Nottingham, jugée supérieure à celle de Kevin Costner, et une préférence nette pour l'antagoniste lors de projections-test de Robin des Bois, prince des voleurs. Au-delà du film en lui-même, Kevin Costner sort tout juste de son immense succès commercial et critique Danse avec les loups, tourne au même moment dans JFK, et les producteurs veulent pouvoir exploiter au maximum son statut de superstar.

Robin des Bois, prince des voleurs
Robin des Bois, prince des voleurs @Warner Bros.

La décision est ainsi prise de réduire le temps d'Alan Rickman à l'écran, mais Kevin Reynolds proteste. C'est donc une nouvelle équipe envoyée au débotté par les producteurs qui procèdent à de nouvelles coupes. Devant le résultat, Kevin Reynolds quitte entièrement le projet alors que la post-production n'est pas encore terminée. Et en veut à Kevin Costner, dont le réalisateur estime au mieux n'avoir reçu aucun soutien, au pire le soupçonne d'avoir activement oeuvré à son éviction.

Réponse de l'acteur, évasif, rapportée par EW :

On a réglé le problème. Mais on ne l'a pas réglé d'une manière qui nous convienne à tous les deux. Il faut juste tenir. Il faut endurer. Se battre et s'en sortir comme on peut. (...)

À la question "êtes-vous toujours amis ?", Kevin Costner répond de manière laconique :

Oui. Mais nous n'avons pas vraiment parlé depuis. Je pense que ça a été douloureux pour lui comme pour moi.

Waterworld, l'explosion finale

Robin des Bois, prince des voleurs est un premier et sérieux coup porté à l'amitié des deux hommes. Mais, suite au grand succès de cette seconde collaboration, et malgré de premières réticences de Kevin Reynolds, les deux hommes se retrouvent donc à la tête du projet Waterworld. Pour d'ultimes dérapages et la fin de leur amitié... En effet, les divergences artistiques sont nombreuses entre Reynolds et Costner et s'ajoutent à la pression d'une super-production, à une presse omniprésente à cause d'une crise conjugale que traverse Kevin Costner, à des dialogues sans cesse réécrits...

Waterworld
La marin (Kevin Costner) - Waterworld ©Universal Pictures

Alors, ce qui était arrivé sur Robin des Bois, prince des voleurs se reproduit : Kevin Reynolds est licencié au terme du tournage, et Kevin Costner lui-même assure la supervision du montage. Viré de son propre film, Kevin Reynolds aurait alors lâché : "Kevin Costner devrait seulement jouer dans les films qu'il réalise. Comme ça il peut travailler avec son acteur et son réalisateur préférés".

L'ambiance est donc glaciale lorsque l'acteur le raconte à Libération, lors du Festival du cinéma américain de Deauville 1995. Kevin Costner ouvre les hostilités d'emblée pour faire cesser les spéculations :

Une chose est sûre, c'est que nous ne sommes pas amis (avec Kevin Reynolds, ndlr). Mais cela ne nous a pas empêché, ni lui ni moi, de terminer le tournage. Nous sommes des professionnels.

Avant de détailler le conflit et d'expliquer pourquoi il a pris en main le montage final de Waterworld.

Pour remplacer des scènes d'action par un peu plus d'histoire et de personnages. Si on avait suivi Reynolds, la première bataille aurait duré dix-neuf minutes. Je l'ai réduite à neuf minutes, et je la trouve déjà longue. Je crois que le spectateur n'aurait pas supporté une minute de plus. Qu'aurait-on pu ajouter? Des morts? des explosions? Je préférais qu'on rallonge ce qui concerne la relation entre les personnages. Je voulais plus d'équilibre entre les autres protagonistes et le héros. Que tout le film ne soit pas centré sur mon personnage. Quand je lui ai dit tout cela, Kevin n'a rien voulu entendre. Il n'a pas voulu m'écouter, ni moi ni les autres producteurs. Tant pis pour lui.

Ce conflit ne m'opposait pas moi tout seul à Kevin, c'était un différend entre Kevin Reynolds et toute la production. Evidemment, pour sa publicité, il était plus pratique pour lui de laisser croire qu'il m'affrontait. Vous ne croyez pas qu'on lui aurait confié le film le plus cher de l'histoire du cinéma uniquement pour ses beaux yeux. Il fallait bien que quelqu'un l'ait soutenu. Et qui à votre avis?

Kevin Reynolds, échec et mat ?

Très mal accueilli par la presse, Waterworld s'avance comme un film maudit et logiquement échoue au box-office américain, avec seulement 88 millions de dollars de recettes. Il fait mieux à l'international, où il engrange 176 millions de dollars. Le film est finalement rentable, mais souffre d'une mauvaise réputation et est encore considéré comme un des plus célèbres échecs hollywoodiens de la fin du XXe siècle. Pour Kevin Reynolds, pris dans une tourmente personnelle et professionnelle, c'est le début d'une errance entre échecs et petits succès. Il présente en 1998 187 code meurtre, puis La Vengeance de Monte-Cristo en 2002. Ce dernier est jugé convaincant, mais pas son Tristan et Yseult de 2006, ni La Résurrection du Christ en 2015, reçu très fraîchement malgré un box-office honorable.

Quant à la relation entre les deux hommes, Kevin Costner et Kevin Reynolds se retrouvent poliment en 1998 pour le commentaire audio du DVD de Robin des Bois, prince des voleurs, et en 2012 pour la mini-série à succès Hatfields and McCoys. Un réchauffement progressif donc, comme le signifiait Kevin Reynolds à Den of Geek en 2008 :

Je pense qu'on s'est réconciliés, on est tous les deux un peu plus vieux et plus sages. On a mis certaines choses derrière nous et on a fait le commentaire audio de Robin des Bois, donc... Ce qui est sûr, c'est qu'on est très loins de l'aigreur post-Waterworld.